Carte blanche

Dette africaine: pourquoi les pays du continent ne peuvent plus attendre un allègement hypothétique

Renforcer les institutions et la transparence est devenu crucial pour l’Afrique. Au-delà des négociations internationales qui doivent parvenir à un allègement de la dette africaine, des réformes locales pourraient transformer durablement l’accès au financement et l’efficacité du continent.

La dette africaine a atteint 1.800 milliards de dollars en 2022, soit une augmentation de 183% par rapport à 2010. Le nombre d’Etats africains en situation ou en risque de surendettement a doublé entre 2014 et 2024. Les paiements d’intérêts de la dette de l’Afrique ont également augmenté, passant de 61 milliards de dollars en 2010 à 163 milliards de dollars en 2024.
Même si la dette publique a également augmenté dans d’autres régions comme l’Asie et l’Océanie, l’Amérique latine et les Caraïbes, ce n’est qu’en Afrique qu’elle a dépassé la croissance du PIB. Entre 2019 et 2021, l’Afrique a dépensé plus pour le service de la dette que pour la santé et l’éducation.

La situation actuelle de la dette de l’Afrique est alarmante. Les causes avancées pour cette situation, comprennent notamment un besoin de financement pour le développement pendant que les recettes fiscales restent faibles, ne représentant que 16% du PIB, des crises inattendues tels que la crise financière mondiale de 2008, la pandémie de Covid-19 de 2020 qui ont obligé des Etats à emprunter pour faire face à ces chocs extérieurs. D’autre part, une proportion croissante de l’aide au développement de l’Afrique est octroyée sous forme de prêts alors qu’une plus grande partie des prêts du continent provient de créanciers privés, qui prêtent à des taux d’intérêt très élevés.

Appels pour l’allègement de la dette

L’appel le plus récent du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) propose, à la quatrième conférence internationale sur le financement du développement, qui se tiendra en juin, de se concentrer sur trois domaines clés pour réformer le financement à tous les niveaux. Il s’agit de l’accès à un mécanisme efficace de restructuration de la dette pour tous les pays en développement en cas de besoin, l’allègement systémique de la dette pour les pays les plus pauvres et une baisse des coûts d’emprunt excessivement élevés pour les économies en développement. Les anciens chefs d’Etat africains ont fait une proposition similaire en marge du sommet G20 des ministres des finances qui s’est tenue en Afrique du Sud en février. Comme lors de l’initiative d’allègement destinée aux pays pauvres très endettés, qui a réduit la dette des pays africains dans les années 2000, les décisions dépendront de la bonne volonté des Etats développés ou créanciers.

«Les Etats africains doivent assumer leur responsabilité pour résoudre cette crise.»

Plan d’action

Les Etats africains doivent assumer leur responsabilité pour résoudre cette crise notamment en luttant contre les flux financiers illicites, qui sont des mouvements transfrontaliers des fonds gagnés, transférés et/ou utilisés de manière illégale. L’arrêt de ces flux financiers illicites pourrait rapporter à l’Afrique un montant estimé à 89 milliards de dollars par an.

Les gouvernements africains doivent également réévaluer les dépenses fiscales destinées à attirer les investissements. Pour la seule année 2019, les pays d’Afrique subsaharienne ont renoncé à plus de 46 milliards de dollars de recettes fiscales soit 2,5% de leur PIB en raison des congés fiscaux accordés pour stimuler les investissements directs étrangers en Afrique. Ce montant est plus que ce qu’ils devaient en paiements de service de la dette l’année prochaine (35 milliards de dollars).

Ils doivent également s’attaquer à l’inefficacité des dépenses publiques, qui est plus prononcée en Afrique qu’ailleurs. Elle coûte aux pays africains plus de 2,5% de leur PIB chaque année. Les données recueillies entre 2000 et 2017 montrent que les fuites dans les dépenses d’éducation et d’infrastructure en Afrique ont entraîné une perte de plus de 40 milliards de dollars par an.

Adopter une plus grande transparence en matière de leurs dettes est crucial. Des études montrent que les pays plus «transparents» tendent à obtenir de meilleures cotes de crédit, à bénéficier de coûts d’emprunt moins élevés et à attirer plus facilement les investissements directs étrangers. Selon la Banque Mondiale, seuls le Burkina Faso et le Bénin sont transparents et ont satisfait à toutes les exigences en divulguant les chiffres et les documents relatifs à la dette sur les sites web de leurs gouvernements en 2024.

«Les pays plus “transparents” tendent à obtenir de meilleures cotes de crédit, à bénéficier de coûts d’emprunt moins élevés et à attirer plus facilement les investissements directs étrangers.»

Toutes ces réformes exigent que des nations africaines renforcent leurs institutions et leur gouvernance. Les institutions faibles sont l’un des éléments qui contribuent aux flux financiers illicites tandis que la mauvaise gouvernance des institutions publiques sont des facteurs d’inefficacité dans les dépenses en Afrique. Si cette situation était rectifiée, les nations africaines pourraient éventuellement bénéficier de plus de 50% du rendement des investissements dans les infrastructures et réduire les primes de taux d’intérêt attribuables à la perception par les marchés de la faiblesse de la gouvernance sur le continent africain.
Ces actions ne suffiront pas à elles seules à régler le problème de l’endettement en Afrique. Toutefois, elles constituent un premier pas pour l’Afrique, indépendamment de la conclusion ou non d’un accord global sur l’allègement de la dette.

Aimé Muligo Sindayigaya, économiste

(Le titre est de la rédaction. Titre original: «Les pays africains ne peuvent pas se contenter d’attendre l’allègement de leur dette»)

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