Zakia Khattabi
Dérogations pour des pesticides interdits: « Nous avançons trop lentement »
Même si certains pesticides sont interdits en Europe, des Etats membres continuent à accorder des dérogations. La Cour de justice de l’Union européenne vient de se prononcer sur le sujet, l’occasion pour Zakia Khattabi (Ecolo) de souhaiter avancer plus rapidement sur un dossier « crucial ». « Tous les signaux sont au rouge ».
Suite à une action introduite par Pesticide Action Network Europe, son organisation membre Nature & Progrès et un apiculteur belge auprès du Conseil d’État pour la suspension immédiate de l’autorisation d’insecticides, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur les dérogations que les États membres continuent d’octroyer, années après années, pour des pesticides interdits d’utilisation en Europe.
Dans un Arrêt publié jeudi dernier, la Cour confirme que les dérogations sont octroyées de manière abusive, et que les États ne peuvent déroger aux interdictions expresses de mise sur le marché et d’utilisation de semences traitées à l’aide de produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes que dans des circonstances exceptionnelles et pour une durée déterminée. À savoir lorsque la production est menacée ou lorsque des alternatives dites raisonnables manquent.
Cet Arrêt est un signal important, le Ministre français de l’Agriculture a d’ailleurs dans la foulée signifié qu’il n’octroierait plus aucune dérogation pour des semences enrobées aux néonicotinoïdes. Soulignons par ailleurs que le recours systématique à ce système de dérogations n’incite ni à l’utilisation, ni à la recherche d’alternatives…
Ces dernières années, bien que de nombreux reportages et articles soient venus appuyer les rapports sans équivoques du monde scientifique (« Les vêtements de protection contre les pesticides ne fonctionnent pas : les agriculteurs risquent-ils de contracter la maladie de Parkinson ? », « La Belgique, leader européen pour la présence de pesticides nocifs dans les fruits », « Trop de pesticides sur les enfants de Mol, Dessel et Retie », « Des députés européens avec des pesticides dans les cheveux », pour ne citer que quelques-uns parus en 2022), force est de constater que nous avançons trop lentement sur un dossier pourtant d’une importance capitale tant ses effets dramatiques sur la santé humaine, animale et environnementale sont largement documentés. La Belgique a ainsi octroyé six dérogations successives à l’utilisation de néonicotinoïdes, cet insecticide tueur d’abeilles, depuis son interdiction en 2018.
Si les agriculteurs sont, en raison de leur contact direct avec ces produits, les premières victimes des dégâts occasionnés par les pesticides sur la santé humaine, nous y sommes tous exposés
Des chercheurs de l’université Harvard ont par ailleurs récemment modélisé l’impact du défaut de pollinisation sur la production agricole, les prix et les effets induits sur l’alimentation et la santé et avancent qu’ à l’échelle mondiale, l’impact alimentaire du défaut de pollinisation des cultures serait responsable de près d’un demi-million de morts prématurées par an.
Si les agriculteurs sont, en raison de leur contact direct avec ces produits, les premières victimes des dégâts occasionnés par les pesticides sur la santé humaine, nous y sommes tous exposés. Que ce soit en inhalant, en buvant ou en ingérant (indirectement) des pesticides de façon quotidienne. Tant la contamination de l’air, de l’eau et de la nourriture est importante.
L’accord de gouvernement fédéral ne s’y est d’ailleurs pas trompé puisqu’il stipule, dans son chapitre dédié à l’environnement à la biodiversité, qu’ »un ambitieux plan de réduction des pesticides » sera réalisé. Que « l’innovation substitutive et la réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques seront également encouragées pour tendre résolument vers toujours plus de respect de l’environnement et de la santé, notamment pour ce qui concerne les produits relevant de la politique agricole ». Le tout, de manière concertée avec les régions.
La Belgique s’inscrit par ailleurs dans le Green Deal européen qui propose de réduire de 50 % l’utilisation et le risque des pesticides chimiques, ainsi que l’utilisation des pesticides les plus dangereux, d’ici 2030. Un objectif que la Commission européenne a réaffirmé ce mardi 24 janvier, avec la publication de la révision de l’initiative européenne sur les pollinisateurs. Enfin, en décembre 2022, la conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP 15) qui s’est tenue à Montréal a décidé de « réduire de moitié au moins le risque global lié aux pesticides et aux produits chimiques hautement dangereux ».
Un changement de cap s’impose donc en vue de respecter pleinement ces engagements dont la mise en œuvre est, aujourd’hui, loin d’être garantie. Tous les signaux sont au rouge ! Il est temps de placer au centre de nos choix l’intérêt collectif et le principe « Un monde, une santé ». D’abord au nom de la santé des premiers utilisateurs, mais également de notre santé humaine collective et de la santé de notre environnement.
Zakia Khattabi, ministre fédérale de l’Environnement (Ecolo)
Le titre est de la rédaction.
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