Sébastien Boussois
Dans la tourmente, l’Iran cherche à contrer la relation montante de l’Azerbaïdjan avec la Turquie et Israël
Focus sur les relations (tendues) entre l’Iran, l’Azerbaïdjan, la Turquie et Israël, par Sébastien Boussois
Alors que Tel Aviv et Bakou ont renforcé dernièrement leur collaboration, avec la nomination d’un ambassadeur azerbaïdjanais en Israël, l’Iran en pleine tourmente depuis le début des manifestations menace aujourd’hui directement l’Azerbaïdjan et s’inquiète de la montée en force de deux pays ennemis dans la région : la Turquie et Israël.
Ayant des relations diplomatiques depuis plus d’un siècle, l’Iran et l’Azerbaïdjan, tous deux membres de l’Organisation de la Coopération Economique et de l’Organisation de la Coopération islamique, partagent des atouts communs, à commencer par le gaz dans la région de la mer Caspienne. Depuis la guerre qui opposa l’Iran à la Russie entre 1826 et 1828, Téhéran a perdu de l’influence et une partie du contrôle de territoires stratégiques du Caucase-Sud. Ce sont la Russie et la Turquie qui ont alors pris la main. Encore plus aujourd’hui.
Car depuis deux ans, les relations entre Téhéran et Bakou se sont tendues. Tout d’abord, parce que Téhéran est inquiet des ambitions d’Ankara et de Bakou dans la région du Caucase-Sud. Depuis la victoire de l’Azerbaïdjan sur l’Arménie dans la reconquête du Karabakh en 2020, la Turquie qui a apporté un large soutien à Bakou pendant la guerre reprends pied dans la région. Ce n’est pas pour plaire à l’Iran qui a haussé le ton et commencé à faire pression sur l’Azerbaïdjan. Et le régime iranien a un atout de poids : il abrite 35 millions d’Azéris dans ses frontières, en faisant la seconde minorité du pays et constituant une force ethnique et démographique importante pour Bakou. Rappelons que la population totale de l’Azerbaïdjan est d’à peine 10,4 millions d’habitants. L’Iran a rappelé récemment qu’il ne tolérerait aucun changement de ses frontières pensant bien sûr au lien naturel et culturel entre Azerbaïdjan du Nord (la République azerbaïdjanaise), et l’Azerbaïdjan du Sud (la province occupée majoritairement par les Azéris dans le nord de l’Iran). Il faut remonter à 1828 pour assister à cette division du territoire azéri entre la Russie et l’Iran. Aujourd’hui la frontière entre les deux pays court sur près de 690 km.
Téhéran ne peut cautionner une emprise plus grande de l’Etat hébreu dans sa zone d’influence. Or, Bakou a franchi le Rubicon. Désormais, l’Iran hausse le ton. Preuve en est : dans un clip récent du régime iranien, l’on voit des enfants iraniens chanter en azéri sur un pont, symbole de la frontière entre l’Azerbaïdjan et l’Iran, accusant cette fois Bakou de bouleverser les équilibres régionaux par sa coopération avec Israël. Notons que Tel Aviv a aussi apporté son soutien à l’Azerbaïdjan lors de la seconde guerre du Karabakh en octobre 2020 et que depuis, l’Iran fulmine. L’affaiblissement de l’Arménie, d’une part, a poussé Téhéran à soutenir Erevan mais aussi car les deux pays ont ce projet de construction du corridor énergétique reliant le Golfe persique à la mer Noire.
Une fois encore, que ce soit dans le Caucase ou au Moyen-Orient, les alliances se font et se défont. Mais beaucoup de pays à la taille médiane cherchent l’appui de grandes puissances ou d’alliés de circonstances. L’Azerbaïdjan est en train aujourd’hui de pleinement profiter, pour se faire respecter de la Russie – sous le coup de laquelle elle ne veut plus retomber et du voisin iranien cherchant à étendre son influence -, de la réconciliation l’année dernière d’Israël et de la Turquie. Et la boucle est bouclée pour Bakou.
Sébastien Boussois, docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient et relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l’OMAN (UQAM Montréal) et de SAVE BELGIUM (Society Against Violent Extremism)
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