Carte blanche
COP27 : la justice climatique s’impose dans les négociations… mais à quel prix ?
La COP27 s’est achevée dimanche 20 novembre 2022 dans un climat tendu et mitigé, selon Rebecca Thissen (CNCD-11.11.11.). D’un côté, une victoire historique pour les pays en développement qui attendaient depuis plusieurs décennies la reconnaissance d’un financement pour les pertes et préjudices. D’un autre côté, les décisions finales occultent largement l’urgence d’accélérer la sortie de toutes les énergies fossiles.
On peut sans aucun doute qualifier l’ambiance de la 27ème conférence climatique de compliquée. Tant les sujets sur la table que l’attitude ambiguë de la Présidence égyptienne ont débouché sur un climat extrêmement tendu en fin de négociations. Certains parlaient même de la possibilité de non-accord, ce qui ne s’est produit qu’une seule fois dans l’histoire des sommets sur le climat : lors de la COP6, à La Haye (2000). La COP27 a donc joué les prolongations du vendredi soir jusqu’au petit matin du dimanche pour aboutir finalement sur un accord en demi-teinte : un signal fort arraché pour les pays en développement et plus largement pour la justice climatique, mais au détriment des autres dossiers, principalement de l’ambition climatique et de la sortie des énergies fossiles.
La sortie des énergies fossiles stagne
Alors que les émissions mondiales issues des énergies fossiles atteignent des records, le « Plan de mise en œuvre de Charm el-Cheikh » n’a pas réussi à nommer l’éléphant dans la pièce. Dans un compromis a minima, les Parties se sont entendues pour répéter ce qui avait été décidé lors de la COP26 de Glasgow, parlant de « sortie graduelle du charbon ». Ceci alors qu’une coalition de plus de 80 Etats du Nord et Sud s’était formée, à l’initiative de l’Inde, pour pousser la mention de toutes les énergies fossiles, incluant donc le pétrole et le gaz, dans la décision finale.
Ce message fut également porté par la « High Ambition Coalition », groupe de pays qui publie chaque année des déclarations pour tenter de pousser les négociations vers plus d’action. Cependant, cette demande ne s’est pas retrouvée dans le texte final. D’aucuns analyseront ce blocage au regard de la position très ferme de l’Egypte de faire du gaz une « énergie de transition ». D’autres affirmeront que l’attitude inflexible de l’Arabie Saoudite et de la Russie, voulant uniquement parler des émissions de gaz à effet de serre sans en mentionner la source, aurait également freiné toute formulation plus ambitieuse sur la question des énergies fossiles.
Notons toutes fois que la question d’une transition énergétique juste a eu sa place dans le texte final. Dans ce cadre, les pays ont convenu que la « transition énergétique juste et équitable » devait être basée sur les priorités nationales de développement et inclure des mesures de protection sociale et de solidarité, comme la mise en place de programmes de reconversion et de soutien aux travailleurs du charbon affectés par la transition. La COP27 a aussi décidé d’établir un programme de travail sur la transition juste et de convoquer une table ronde ministérielle annuelle dans le cadre de ce processus.
Une fois encore, le compromis aura atterri sur le plus petit commun dénominateur : priorité à la souveraineté nationale, refus d’objectifs précis et programme de travail adopté jusqu’en 2026
En parallèle de la question épineuse des énergies, les Etats devaient également se mettre d’accord sur un programme de travail sur l’atténuation des émissions (« Mitigation Work Program », en anglais), tel qu’annoncé à Glasgow. Les pays développés et les plus vulnérables souhaitaient que le champ de discussions soit spécifique et sur un temps long (jusqu’en 2030). Les économies émergentes, quant à elles, voulaient qu’il soit général et dure le moins de temps possible (jusqu’en 2023 ou 2024 au maximum). Une fois encore, le compromis aura atterri sur le plus petit commun dénominateur : priorité à la souveraineté nationale, refus d’objectifs précis et programme de travail adopté jusqu’en 2026. En outre, la mention d’un pic des émissions mondiales pour 2025 a finalement été retirée. Ce maigre accord a laissé amers les pays les plus vulnérables et la majorité des pays développés, qui n’ont pas caché leur déception lors de leurs prises de parole de clôture.
Le financement climat aux abonnés absents
En parallèle, qui dit COP africaine dit agenda des plus vulnérables. Pour les pays africains en particulier, la question de l’adaptation et de son financement devait faire l’objet d’avancées majeures en Egypte. Pourtant, la promesse de doubler les financements alloués pour l’adaptation faite lors de la COP26 semble déjà lointaine. La demande des pays en développement était pourtant claire : un plan d’action pour mettre en œuvre l’engagement pris à Glasgow et une mise à l’agenda de ce point pour permettre une discussion récurrente lors des négociations. Le Plan de Charm el-Cheikh se contente de proposer un rapport sur l’état des lieux du financement pour l’adaptation.
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Autre point à l’ordre du jour : la définition de l’objectif mondial sur l’adaptation (« Global goal on adaptation », en anglais). Dans ce contexte, les Parties ont convenu d’élaborer un cadre de travail pour guider la réalisation de l’objectif et suivre les progrès accomplis. Il tiendra compte de la vulnérabilité des pays et de leur capacité à faire face, prendra en considération une série de secteurs, dont l’eau, l’alimentation, l’agriculture et la pauvreté, ainsi que des mesures et des objectifs fondés sur des données scientifiques.
Du côté du financement climat international, l’enjeu était double : renforcer le message politique autour du retard dans l’atteinte de l’objectif des 100 milliards par an dès 2020 (pour rappel, les chiffres tourneraient autour de 83 milliards seulement pour 2020) et avancer la définition du nouvel objectif pour la période post-2025, à adopter lors de la COP29 en 2024. Ce fut la douche froide pour l’un comme l’autre. Les rappels du retard et du besoin d’augmenter les contributions pour le financement climat se sont faits à demi-mot dans la décision finale. Par ailleurs, les discussions techniques ont très peu avancé sur la question de la définition du nouvel objectif, freinée par les pays développés qui ne souhaitaient pas entrer dans les détails et ont donc repoussé ces négociations en suggérant un « processus de discussion à définir début 2023 ».
Un festival d’annonces pour les pertes et préjudices…
Au niveau du financement des pertes et préjudices, personne n’ignorait que ce serait l’enjeu qui déterminerait le succès de la COP27. Cela s’est confirmé dès l’entame des négociations avec la tension autour de sa mise à l’agenda. Parallèlement aux discussions formelles, on a également pu constater une salve d’annonces volontaristes sur le sujet. Ainsi, de l’Irlande en passant par l’Allemagne, la France, l’Ecosse, la Wallonie, la Belgique ou le Canada, ce sont plusieurs centaines de millions de dollars qui ont été mis sur la table pour les pertes et préjudices au cours de la COP27.
Si ces démarches ont évidemment contribué à créer une dynamique positive et démontrent une réelle avancée sur le dossier, elles sont à appréhender avec prudence. D’une part, en termes de choix de financement, certaines privilégient des partenariats bilatéraux (comme l’Ecosse par exemple) mais la majorité a préféré se tourner vers des initiatives multilatérales, principalement le « Global Shield ». Ce fonds international d’assurance et de gestion de risques a été mis en place par le G7, rejoint en cours de route par le Forum des pays les plus vulnérables (« Climate Vulnerable Forum », en anglais). Cette proposition a suscité beaucoup de commentaires, notamment parce qu’elle était utilisée par les pays développés pour justifier leur réticence à la mise en place d’un fonds spécifique dans le cadre de la COP, plaidant que le Global Shield était déjà existant et fonctionnel.
Par ailleurs, un autre élément à prendre en compte dans l’analyse de ces contributions est le fait qu’elles ne sont majoritairement pas additionnelles à l’aide au développement. Cela revient dans les faits à requalifier de l’argent déjà mis sur la table, pour des projets d’adaptation par exemple, en financement pour les pertes et préjudices, sans s’engager à de l’argent supplémentaire. C’est notamment ce qu’a fait le gouvernement belge dans le cadre de son annonce de 2,5 millions d’euros pour les pertes et préjudices au Mozambique.
… et une victoire historique pour les victimes des changements climatiques
La priorité restait néanmoins d’obtenir un mécanisme de financement spécifique pour les pertes et préjudices dans le cadre de la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et de l’Accord de Paris. Après de nombreux rebondissements et de longues heures de négociations, la COP27 a conclu à l’établissement d’un fonds pour les pertes et préjudices. Pour les pays en développement et la société civile internationale, c’est le signal politique attendu. Cependant, il faut bien reconnaître qu’au-delà du symbole, tout reste à faire. La majorité des questions contentieuses ont été transférées à un comité de transition, qui a pour mandat de mettre le fonds sur pied en amont de la COP28 en 2023.
L’un des points de tension était de savoir qui pourrait bénéficier des financements. Pour les pays développés, particulièrement l’Union européenne, le fonds devait être érigé pour répondre aux besoins des pays les plus vulnérables. La formulation de compromis rend éligibles « les pays en développement, particulièrement ceux vulnérables aux effets du réchauffement climatique ». Cette proposition permet de ne pas réduire le champ d’application du fonds aux seuls pays moins avancés (PMA) ou aux petits Etats insulaires en développement (PEID), mais de l’étendre à tous les pays en développement, tout en reconnaissant que la notion de vulnérabilité restait centrale et qu’elle devait être affinée.
D’autre part, se posait la question de savoir qui allait contribuer à ce fonds : les pays développés, responsables historiques ? Ces mêmes pays, rejoints par les plus gros émetteurs tels que la Chine ou l’Inde ? La question de l’élargissement de la base des contributeurs n’est pas nouvelle et s’invite régulièrement lors des négociations climatiques. Ce serait également au comité de transition de suggérer les modalités de financement pour le futur fonds.
Ambition et solidarité ne peuvent être opposés
En conclusion, dans un contexte international extrêmement compliqué et dans un climat de plus en plus chamboulé par les événements météorologiques extrêmes, on ne peut qu’être soulagés d’avoir obtenu un accord politique fort pour les pays les plus vulnérables. Cependant, la reconnaissance de l’aide aux victimes du réchauffement ne peut être une fin en soi : on ne peut faire l’économie de mettre tous les efforts à contribution pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C. Au risque de voir les dégâts déjà présents aujourd’hui se démultiplier et donc le nombre de victimes augmenter de manière exponentielle. Il est donc important de sortir des oppositions dogmatiques sur les différents piliers de l’action climatique et d’œuvrer pour qu’ils soient traités et concrétisés ensemble.
Rebecca Thissen, chargée de recherche sur la justice climatique au CNCD-11.11.11.
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