Carte blanche

Conflit social au CHU St Pierre: les réponses inadaptées de la direction (carte blanche)

Un conflit social est en cours au CHU Saint-Pierre, depuis que la direction de l’hôpital a tenté de contrer une initiative de référendum de la CGSP. Un collectif d’académiques donne son point de vue.

Le contexte

Dans une note titrée « Le référendum de la CGSP : une réponse inadaptée » adressée à l’ensemble du personnel du CHU Saint-Pierre quelques jours avant l’organisation d’un Référendum à l’Initiative des Travailleurs.euses sur la question de la privatisation de son service de gardiennage, la direction a tenté de dissuader les membres du personnel de cet hôpital public de participer à cette action collective soutenue par une des délégations syndicales. En dépit de cette forte pression, un tiers de travailleur.euses a participé au référendum et s’est exprimé massivement contre la privatisation de ce service. Après avoir voulu empêcher l’expression de la voix des travailleurs.euses, la direction n’a, à ce jour, toujours pas donné suite à ce résultat qui va à l’encontre de sa décision. Elle considère le faire au nom d’un « mieux » pour tou.tes, or celui-ci est défini sans consulter les premiers concernés : les travailleurs.euses de l’hôpital. Une action en référé a été lancée par la CGSP ALR et un agent du service de gardiennage contre la direction pour non-respect de ses obligations de concertation sociale. Quelle que soit la décision du juge, les signataires de cette carte blanche considèrent que la direction a largement montré son mépris pour la voix des travailleurs.euses et de leurs représentant.e.s sur la question de la privatisation, mépris qu’elle a exprimé à nouveau avec force tout au long du processus de l’organisation du référendum.

Le Référendum à l’Initiative des Travailleurs.euses (RIT) organisé ces 14, 15 et 16 juin au CHU Saint-Pierre sur la question de la privatisation du service de gardiennage fut un succès. Succès en termes de participation et de mobilisation, succès en termes d’expérience démocratique et en termes de solidarité.

Annoncés lors d’un rassemblement de plusieurs dizaines de personnes devant le CHU Saint-Pierre ce jeudi 16 juin, les résultats de ce Référendum à l’Initiative des Travailleurs.euses sont sans appel. Ils montrent de la part des membres du personnel un refus catégorique de la privatisation du service de gardiennage et une volonté criante de prendre part aux questions qui les concernent.

En effet, à la question “Êtes-vous pour ou contre la privatisation du service de gardiennage du CHU Saint-Pierre ?”, 661 membres du personnel sur 767 votants se sont prononcés contre, 32 pour, 69 se sont abstenus, et 5 bulletins étaient nuls. À la question “Êtes-vous pour ou contre plus de participation des travailleurs.euses aux grandes décisions du CHU Saint-Pierre?”, 649 personnes ont dit être pour, 36 contre, 69 personnes se sont abstenues et 13 bulletins étaient nuls. Le dépouillement a été opéré par une équipe d’académiques, faisant partie de la centaine de signataires de la carte blanche publiée ce 8 juin dernier en soutien à cette initiative des travailleurs.euses, selon la méthodologie élaborée par l’équipe organisatrice et garantissant l’absence de fraude.

Le taux de participation, que l’on peut estimer à près d’un tiers de l’ensemble des membres du personnel (environ 2400),a été remarquable vu les conditions particulières qui ont présidé à son organisation. En effet, il s’agit tout d’abord d’une initiative lancée par la base, ainsi dépourvue des moyens institutionnels de mobilisation. Ensuite, il a eu lieu dans une institution de soin, où la particularité des horaires prestés n’a pas permis à l’ensemble des travailleurs.euses de pouvoir aller voter sur ces trois jours. Mais surtout, ces 767 membres du personnel sont venus voter malgré l’inadmissible pression exercée par la direction et les responsables hiérarchiques des différents services pour les dissuader de participer au référendum.

En effet, une note de service intitulée « Le référendum de la CGSP : une réponse inadaptée » avait été envoyée quelques jours avant le début du référendum par la direction du CHU Saint-Pierre à tous les membres du personnel de l’institution, les enjoignant explicitement à ne pas aller voter. Elle a été signée par tous les supérieurs hiérarchiques des différents services, ce qui, aux dires de plusieurs travailleurs.euses, est totalement inédit, visant très clairement à faire forte impression sur ses destinataires. Nous, chercheurs et chercheuses académiques présent.e.s sur place, avons d’ailleurs observé pendant ces journées de référendum qu’un nombre important des membres du personnel avait tout simplement peur d’aller voter et fuyait les urnes pour ne pas s’attirer de problèmes.

Que la direction ne participe pas au référendum sur une question qu’elle considère être de sa prérogative est une chose. Mais qu’elle utilise sa supériorité hiérarchique pour distiller parmi le personnel la peur de voter sur les questions qui les concernent est indigne d’un service public. En effet, se prévaloir d’une gestion par la peur semble pointer la déconnexion de la direction par rapport à la philosophie du service public, en ce compris la garantie du bien-être au travail.

En outre, cette pression exercée sur les travailleurs.euses pour les dissuader de participer à une action collective soutenue par la délégation syndicale de la CGSP ALR constitue à nos yeux une atteinte grave à la liberté d’action syndicale. Cette action collective est directement visée dans le titre-même de la note de la direction “Le référendum de la CGSP : une réponse inadaptée”. Si une direction, y compris les chefs de services, avait fait pression sur des travailleurs.euses pour qu’ils et elles ne participent pas à une assemblée syndicale, cela aurait provoqué, à raison, un véritable tollé. Pourquoi cela serait-il différent en ce qui concerne la participation à un référendum ? Nous y voyons donc une attaque contre l’organisation des travailleurs.euses et contre le déploiement d’actions pour faire valoir leurs intérêts : la direction entend remettre en question la liberté de choix des syndicats de leurs modes d’actions et de consultation des travailleurs.euses, et par là, de manière plus générale, le rôle de l’organisation syndicale qui ne se limite pas à siéger dans les organes de concertation, a fortiori lorsque la négociation aboutit à une impasse. 

Dans ce sens, il est essentiel de rappeler que l’organisation de ce référendum a également été rendue nécessaire, étant donné que la décision de privatisation a été prise de manière unilatérale par la direction pendant une concertation sociale en cours sur l’organisation du travail dans le service durant laquelle la privatisation n’avait jusque-là jamais été mentionnée.

Il est en outre déplorable que la réponse de la direction n’ait porté que sur la forme (tentant de discréditer l’initiative en la qualifiant de “dérive populiste”, de démagogique, etc.) et ait totalement éludé la question de fond

Ainsi, la direction a elle-même créé les conditions d’une intervention particulière – le RIT – qui devait être déployée en urgence face au refus de consulter les délégations syndicales sur le principe de la privatisation – elles ne furent invitées à négocier que sur les seules conséquences sociales de cette décision – dans un contexte où de nombreuses actions, manifestations, grèves, interpellations et pétitions avaient déjà été menées par les travailleurs.euses pour exprimer leur opposition à cette privatisation et ses conséquences sur le fonctionnement ordinaire de l’hôpital, sur les conditions de travail de l’ensemble des membres du personnel, mais également quant aux relations qui vont se nouer avec les patient.e.s de l’hôpital : avoir un service de gardiennage interne, lié structurellement au CHU Saint-Pierre et sur lequel celui-ci a la mainmise, paraît essentiel pour les travailleurs.euses de cet hôpital qui, en tant qu’hôpital public dans un quartier populaire du centre-ville, accueille des publics en situation de précarité sociale, économique et psychologique.

Il est en outre déplorable que la réponse de la direction n’ait porté que sur la forme (tentant de discréditer l’initiative en la qualifiant de “dérive populiste”, de démagogique, etc.) et ait totalement éludé la question de fond sur les pratiques d’externalisation et de privatisation dont de nombreux chercheurs et chercheuses ont mis en avant les effets négatifs sur les conditions de travail et la qualité des services offerts. 

Réponse hostile

Mais il est surtout inquiétant que la direction et le conseil d’administration aient conservé une attitude aussi inflexible, refusant de remettre sa décision en question malgré les mobilisations de son personnel depuis plusieurs semaines et, dernièrement, les résultats écrasants – qui méritent donc d’être entendus – du référendum s’opposant à la privatisation. Que cela soit les travailleurs.euses, leurs organisations syndicales, ou bien les académiques qui ont supervisé le processus démocratique, personne n’a jamais eu de réponses à ces diverses interpellations, hormis la réponse hostile que constitue la note de la direction. 

Nous continuons ainsi à soutenir la légitimité de ce Référendum à l’Initiative des Travailleurs.euses dans le cadre de ce conflit social. Nous encourageons la direction à écouter ce signal fort de la part des travailleurs et travailleuses contre la privatisation et en faveur de plus de participation aux décisions qui les concernent, et à négocier avec leurs représentant.e.s sur cette question de la privatisation. Dans un contexte de crise démocratique et sociale, nous encourageons les partis politiques responsables de ce service public à écouter la voix du personnel qui fait vivre cette institution pour ne pas perdre sa confiance, ni celle de ses usagers et usagères ou du public. 

Le comité académique de suivi du référendum, composé des professeur.e.s et chercheurs.euses suivant.e.s : 

Mateo Alaluf, professeur émérite de l’ULB

Francine Bolle, maîtresse de conférences en histoire à l’ULB

Florence Delmotte, chercheuse en science politique et professeure, F.R.S.-FNRS/Université Saint-Louis – Bruxelles

Elise Dermine, professeure de droit du travail à l’ULB

Corinne Gobin, maître de recherche FNRS à l’ULB

Serge Gutwirth, Professeur de droit à la VUB

Natalia Hirtz, docteure en sociologie et chercheuse au Gresea

Carla Nagels, professeure en criminologie, ULB

Nouria Ouali, professeure à la Faculté de Philosophie et Sciences sociales de l’ULB

Maria Cecilia Trionfetti, doctorante en sociologie du travail à l’ULB

Sixtine Van Outryve d’Ydewalle, doctorante en droit à l’UCLouvain

Pierre-Etienne Vandamme, chercheur en théorie politique à l’ULB

Jean Vandewattyne, professeur à l’UMONS 

Laurent Vogel, professeur honoraire à l’ULB

Marcelle Stroobants, sociologue, professeure à l’ULB

Le titre est de la rédaction. Titre original: Référendum à l’initiative des travailleurs-euses: une succession de réactions inadaptées de la part de la direction du CHU Saint-Pierre

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