Carte blanche

Conflit en Ukraine: y aura-t-il des voix pour plaider l’apaisement plutôt que la rhétorique de guerre?

L’économiste Pascal Warnier s’interroge sur l’extension, dans certains pays européens ces dernières semaines, de la rhétorique de guerre plus centrée sur la préparation à la guerre que sur la recherche de solution pacifique.

« Si nous voulons la paix, il faut nous préparer à la guerre (…) sinon nous serons les suivants», plaide Charles Michel, président du Conseil européen, dans une récente tribune. Il évoque l’entrée de l’UE dans une « économie de guerre ». Emmanuel Macron envisage lui aussi de plus en plus ouvertement ces dernières semaines l’entrée en guerre de son pays, d’une manière ou d’une autre, et sa rhétorique est passée de celle de la colombe à celle du faucon comme le titrait récemment le journal Le Monde. Au même moment, dans une interview diffusée par la télévision suisse RSI, le pape François invitait Kiev à hisser le « drapeau blanc » et à «négocier» avec la Russie. « Je crois que le plus fort est celui qui voit la situation, pense au peuple, a le courage de hisser le drapeau blanc, pour négocier, (…) avant que les choses ne s’aggravent». Cette négociation, il la décrit comme « le courage de ne pas provoquer le suicide du pays ». Mais François est bien seul à parler de paix, il est bien seul à vouloir une logique de négociation pour éviter que le coût humain, déjà intolérable, ne s’alourdisse encore et encore.

Il est en effet frappant de constater que depuis le début du conflit ukrainien, tous les pays occidentaux ont été progressivement aspirés par la logique de guerre du président russe. Et aujourd’hui, la possibilité d’un conflit de la Russie avec un ou plusieurs pays baltes ou caucasiens se répand dans nos médias et avec lui l’inéluctabilité de la logique de guerre voulue par Vladimir Poutine. Aucune initiative de paix d’ampleur n’a été entreprise par les grandes puissances. Au contraire, le conflit est alimenté sans relâche par les armes occidentales et par 30 % du budget total de l’Etat russe. Mais la mise en place d’un processus de paix, nul ne s’en est fait l’écho, ou si peu, à l’exception du pape dont la franchise a été raillée et du président Erdogan.

On peut se demander pourquoi le langage des armes a progressivement étouffé celui de la diplomatie? Il y a dans cette guerre, comme dans toutes les guerres, des enjeux prodigieux d’influence stratégique et économique qui rendent son règlement difficile. Pour autant, faut-il se cantonner à une lecture antagoniste de la réalité et considérer que ce conflit ne pourra être réglé que par la défaite russe plutôt que de prendre en compte et d’accepter dans sa complexité l’enjeu symbolique et identitaire que représente, pour la fédération de Russie, les pays d’Europe de l’est adossés à sa frontière et qui sont désormais aux portes de l’OTAN et de l’UE. Moscou déclare depuis des décennies qu’il ne veut pas de l’OTAN à ses portes. Qu’a-t-on fait de cette exigence? L’ancien conseiller diplomatique du président français Jacques Chirac, M.Maurice Gourdault-Montagne, raconte comment les Américains ont sabordé une proposition de « neutralisation » de l’Ukraine faite par la France en 2006. Il était question d’une protection croisée de l’Ukraine par la Russie d’un côté, et par l’OTAN de l’autre, gérée par le conseil OTAN-Russie créé début des années 2000. C’était une manière de rendre l’Ukraine « neutre » tout en la protégeant dans son intégrité territoriale et dans sa souveraineté. Le conseiller diplomatique russe s’était montré favorable. Par contre, la secrétaire d’Etat américaine y était tout à fait opposée prétextant du fait que la France voulait bloquer l’adhésion de la deuxième vague des pays d’Europe centrale à l’OTAN. « C’est là que nous avons compris que l’intention américaine était d’intégrer l’Ukraine à l’OTAN » conclut le diplomate français. En dépit du bon sens qui eut été de ménager la Russie sur son flanc occidental et de trouver une solution équilibrée et durable à la sortie de la guerre froide. La situation actuelle n’est que le résultat du pourrissement des relations russo-occidentales depuis 20 ans. Ce témoignage montre que des solutions diplomatiques restent toujours possibles mais pour cela il faut avoir le courage de s’y impliquer et être prêt à en payer le prix. Or, aujourd’hui, la spirale de guerre emporte tout sur son passage. Les demandes précipitées d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne et à l’OTAN n’ont fait que souffler sur les braises du conflit armé. Faire du président russe un bouc émissaire ne servira que son projet expansionniste et despotique, et plus la logique de guerre se renforcera, plus il sera confirmé dans son rôle de sauveur de la nation face à l’occident.

N’est-il pas temps, dans nos démocraties européennes, de plaider pour un sursaut en faveur de la paix  et d’affirmer notre autonomie stratégique et diplomatique ? Pourquoi donc ne pas afficher un authentique désir d’apaisement ? Ce n’est pas une idée saugrenue ou naïve que celle-ci. Elle pourrait être portée avec force, tout en indiquant à la Russie, avec la plus grande fermeté et en remusclant dans le même temps notre capacité militaire, les limites que le monde occidental ne voudra jamais voir dépassées. En indiquant également à l’Ukraine la nécessité de penser dès aujourd’hui les conditions de la paix, autre que la défaite russe et son retrait du territoire ukrainien, au demeurant de plus en plus hypothétiques.

La guerre est une boucherie. Elle a déjà tué les populations civiles par dizaines de milliers et les soldats par centaines de milliers et endeuillé autant de familles. Les peuples ne veulent jamais la guerre car en définitive, c’est eux qui en paient le plus lourd tribut et pas leurs élites. Y aura-t-il des voix pour plaider l’apaisement plutôt que la confrontation et l’escalade meurtrière? La pulsion de mort du Kremlin n’a-t-elle déjà pas fauché assez de vies ? Faudra-t-il encore attendre que l’ours russe envahisse la Transnistrie, l’Abkhazie, l’Ossétie du Sud ou l’Estonie pour s’impliquer courageusement dans des pourparlers de paix et être moteur d’une pacification du conflit ? Il n’est pas trop tard mais il est grand temps si nous voulons éviter le pire.

Par Pascal Warnier, économiste et diplômé en sciences de l’éducation

Le titre est de la rédaction. Titre original: Ne laissons pas nos esprits être colonisés par la rhétorique guerrière !

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