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Combien de personnes mourront, cet hiver, faute d’avoir pu se chauffer ? (carte blanche)

Remplir sa cuve à mazout, payer sa facture de gaz: voilà la première préoccupation de nombreux Belges d’ici cet hiver, selon Christophe de Brouwer,ancien président de l’école de Santé publique. Pour qui la précarité énergétique devrait (enfin) être un phénomène pris au sérieux par les politiques.

Discutant dernièrement avec l’un de mes voisins dont la maigre pension rendait aléatoire chaque fin de mois, il me confiait sa crainte de l’hiver à venir à cause de l’inflation et du coût de l’énergie. Et en effet, en laissant traîner l’oreille autour de moi, les gens ne parlent plus de l’Ukraine sinon pour fustiger le comportement de quelques réfugiés. Non, ce dont ils s’inquiètent concerne l’hiver. « Comment vais-je remplir ma citerne », « Comment vais-je payer mon gaz », « Comment vais-je manger, me laver, me vêtir » pour certains. L’achat de poêle à bois, à pellet est en forte hausse, mais là aussi le prix du combustible suit le mouvement. Et on reverra, moi qui habite dans une telle région, sur les anciens terrils, les sceaux se remplir à nouveau de morceaux de charbon rejetés par le triage d’une autre époque.

Il y a là comme un désespoir, beaucoup se sentent coincés, réduits à l’impuissance par des circonstances qui les dépassent : que faire ?

En décembre 2018, on a modélisé, sur base des données de l’Office national de statistique du Royaume-Uni, un niveau incroyable de 17 000 décès attribuables au froid pour l’hiver 2017-18 pour l’Angleterre, un record. Une publication de l’OMS de Janet Rudge, pp 81-95, estime à environ 30 % l’excès de mortalité constatée en hiver à cause de l’insuffisance du chauffage. Ce n’est pas tant le chiffre qui est important (l’attribution de la mortalité à la cause « froid » est difficile à réaliser) que ce qu’il indique. La précarité énergétique ou « fuel poverty » est une réalité qui touche un grand nombre d’entre nous. Le calcul de son étendue se base sur trois éléments : les revenus, le coût de l’énergie et les besoins énergétiques de l’habitation.

En Angleterre, le rapport 2022 portant sur 2020, publié par son Office national de statistique, chiffrait très officiellement que 13,2 % des ménages (soit 3,16 millions de ceux-ci) étaient en précarité énergétique (« fuel poverty ») selon les critères retenus.

Une énergie accessible, propre et peu coûteuse améliore fortement un des trois critères de la précarité énergétique. Malheureusement, aujourd’hui, aux deux autres éléments (revenus que l’inflation grignote, besoin énergétique), s’ajoute le problème d’une énergie coûteuse, de moins en moins propre et disponible.

Gordon Brown, ancien premier ministre de Grande-Bretagne (2007-10), vient de lancer un cri d’alarme dans le « Gardian » de ce 6 août 2022 : « La précarité énergétique crée une génération laissée pour compte qui ne se remettra jamais des cicatrices ».

Les prévisions sont en effet peu réjouissantes pour son pays : « Aujourd’hui, 35 millions de personnes dans 13 millions de ménages – un chiffre sans précédent de 49,6 % de la population du Royaume-Uni – sont menacées de précarité énergétique en octobre. »

Il ajoute : « Dans mon comté de Fife, je vois des scènes qui rappellent ce que j’avais lu concernant la famine des années 1930 – des enfants allant à l’école mal vêtus et sous-alimentés, des retraités devant choisir : manger ou payer la facture d’électricité, des infirmières devant quitter le chevet de leurs patients après de longs quarts de nuit éreintantes pour faire la queue à leur propre banque alimentaire. Les organisations caritatives locales s’approvisionnent en couvertures, couettes, sacs de couchage et bouillottes alors qu’elles se préparent au pire hiver de mémoire d’homme. Les églises me disent qu’elles offriront leurs salles chaudes comme centres de chauffage et les médecins demandent comment ils peuvent utiliser la prescription sociale pour aider les enfants souffrant de malnutrition et empêcher les retraités de geler. »

Car il n’y a pas que la mortalité, ce n’est que la partie visible de l’iceberg. Il a raison de souligner les dégâts que le « fuel poverty » cause aux enfants, aux jeunes adultes, à cette société de « laissés pour compte » dont divers mouvements sociaux ont dernièrement montré l’importance et la souffrance. Plusieurs études soulignent l’impact de santé de cette situation : par exemple ici ou ici ou ici.

500 000 enfants supplémentaires seront plongés dans la pauvreté absolue au cours des prochains mois

Neena Modi

Il n’y d’ailleurs pas que Gordon Brown à tirer la sonnette d’alarme. Dans le British Medical Journal, Neena Modi, professeur de néonatalogie à l’Imperial College de Londres, titrait déjà le 8 avril une tribune sans ambiguïté : « Rising costs spell disaster for the nation’s health » (La hausse des coûts [inflation et énergie] crée un désastre pour la santé de la nation). Il prévoit ainsi que, notamment, 500 000 enfants supplémentaires, dans son pays, seront plongés dans la pauvreté absolue au cours des prochains mois. Il ajoute, c’est sa compétence, que cela sera catastrophique sur le plan de la santé.

Heureusement ce ne sont que des « prévisions », mêmes si ce sont de terribles prévisions.

Mais cela veut dire aussi que des mesures de fond sur le moyen et long termes et des mesures sur le court terme devront être prise. Car croire que ces prévisions – qui font froid dans le dos – ne sont que pour nos voisins d’outre-manche serait une position politique profondément injuste et déloyale pour  beaucoup de nos concitoyens. Sinon à laisser la générosité d’un grand nombre d’entre nous, ce dont je n’ai aucun doute, soulager, un peu, cette misère annoncée, la question urgente, octobre est à notre porte, doit être clairement posée : notre personnel politique sera-t-il capable de sortir des postures politiciennes, des jeux de rôle, des bons coups médiatiques et autre comportements lamentables dont ils sont, semble-t-il, devenus friands, pour regarder la réalité en face et prendre les difficiles mais nécessaires mesures afin d’éviter cette catastrophe annoncée ?

Oui, c’est possible, mais il est temps, encore faut-il réellement le vouloir …

Christophe de Brouwer, professeur honoraire et ancien président de l’École de Santé publique de l’Université libre de Bruxelles.

Le titre est de la rédaction. Titre original: « De quoi notre hiver sera-t-il fait ? »

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