Carte blanche
Cet hiver risque d’être le carrefour de toutes les crises, faute d’action politique (carte blanche)
Les politiques peuvent-ils vraiment s’étonner de la crise énergétique actuelle ? Pour Nicolas Derobert, politologue, ils paient surtout leur inaction climatique depuis des années.
Nos préoccupations quant à notre capacité à nous chauffer l’hiver prochain se justifient sans l’ombre d’un doute. L’inflation du prix de l’énergie et les risques de pénurie aux heures de pic menacent notre cohésion sociale, tout comme l’aggravation du dérèglement climatique dont les canicules, feux de forêt à répétition et la sécheresse ont été quelques uns de ses manifestations dramatiques en Europe cet été. Ces deux fléaux – chamboulement du climat et du marché de l’énergie – sont en fait les deux faces d’une même pièce : l’incapacité de nos politiques à anticiper et à agir sur le long terme. En résultent la flambée des prix et des températures moyennes que nous subissons.
Gouverner, c’est prévoir. Vraiment ?
Cette situation, aggravée par la guerre Russo-ukrainienne, est largement imputable à des politiques qui n’ont pas été assez pro-actives pour réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, dont le corollaire est la sortie rapide des énergies fossiles incluant le gaz, et la transition, elle aussi rapide, vers les énergies renouvelables. Nos décideurs feraient bien de se rappeler la bonne vieille maxime datant du XIXème siècle – « Gouverner, c’est prévoir » – formulée par le journaliste et homme politique français Émile de Girardin. L’avantage d’une meilleure anticipation aurait été double: éviter un dérèglement du climat encore plus catastrophique, ainsi que réduire notre dépendance aux importations d’hydrocarbures polluantes et au tout-nucléaire dangereux et hors de prix.
Si nos chefs d’Etat et de gouvernement avaient mis leur parole en acte dès les accords de Paris, nous serions sans doute moins dépendants du gaz aujourd’hui, et donc moins vulnérables aux mesures de rétorsion du Kremlin. Notre approvisionnement dépendrait beaucoup moins du bon fonctionnement de centrales nucléaires obsolètes et dont l’entretien devient de plus en plus dispendieux pour le contribuable. S’ils avaient davantage développé les énergies renouvelables, et ainsi diversifié nos sources de production, nous aurions certainement bien plus de marges de manœuvre que dans l’état actuel des choses où des pénuries cet hiver ne sont plus à exclure.
Le poison n’est pas un remède
L’inflation des prix de l’énergie n’est que l’arbre qui cache la forêt d’un coût encore plus grand : celui du changement climatique avec son cortège d’événements météorologiques extrêmes, et l’impact de ces derniers pour l’ensemble de nos infrastructures qu’il nous faut désormais adapter urgemment. Il ne faudrait donc pas que dans l’urgence, nos politiques s’obstinent à continuer de prendre le poison pour le remède. Subventionner les énergies fossiles pour amortir le choc inflationniste est certes nécessaire pour soulager les ménages et les entreprises sur le court terme. Mais on le sait, cela ne fait que nourrir la bombe à retardement climatique, dont les plus vulnérables aujourd’hui seront les principales victimes demain.
On lit ici ou là qu’il nous faut espérer que le réchauffement du climat fera le travail cet hiver… un comble ! Et si ce n’est pas le cas, nombreux sont ceux qui se sont déjà rués sur l’achat de groupes électrogènes à essence, plus abordables que leurs versions solaires mais nocifs pour nos bronches et le climat. C’est comme boire de la vodka pour faire passer le mal de tête… un non-sens.
Le Green Deal : bon pour le climat, mais pas que…
Plus que jamais, le Green Deal européen doit rester la priorité de toute politique publique. Le développement massif de l’éolien et de l’énergie solaire, tout autant que les efforts à fournir pour augmenter l’efficience énergétique notamment par l’isolation des bâtiments, sont non seulement un « must » pour le climat, mais aussi pour notre sécurité d’approvisionnement, notre indépendance énergétique, et l’accès à une énergie durable à prix abordable.
A force de remettre à plus tard les investissements nécessaires pour décarboner notre économie, aujourd’hui la compétitivité des entreprises et la cohésion sociale dans son ensemble se trouvent menacées. Aux politiques désormais de s’assurer que les plus modestes ne s’appauvrissent encore davantage, et d’empêcher la classe moyenne et des entreprises déjà en difficulté de sombrer…
Cet hiver risque de se transformer en carrefour de toutes les crises, faute de prévention, faute d’avoir accompagné les promesse faites à Paris d’un véritable plan d’action pour accélérer drastiquement la transition énergétique. Plus de « bla bla bla » comme dit l’activiste Greta, place à l’action. Notre cohésion sociale, notre indépendance énergétique et notre prospérité économique en dépendent.
Nicolas Derobert, politologue et professionnel de la communication publique
Le titre est de la rédaction. Titre original: « Crise de l’énergie : le prix de l’inaction climatique«
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