Carte blanche
Brassard « One love »: pourquoi tant de haine ?
Selon le comédien Benjamin Sion (Tiche Comedy), les joueurs de la Coupe de monde devraient porter le brassard « One love », malgré l’interdiction.
La COUPE32, c’est parti depuis le 20 novembre : 32 nations s’équipent pour bien des raisons. Roberto Martinez a pris sa crème solaire pour aller au clash, Charles De Keteleare son survet à cause de la clim des stades, Eden Hazard ses jambières. Qui a pris le brassard « One Love » ? Dans un contexte plus pentu que lors des éditions précédentes, les buvettes du plat pays s’emparent de la question. Cette fois la coupe est pleine, alors que de faux supporters indiens chantent « Waar is de feestje » avec un accent qu’on comprend seulement à Bruges. Mettez ce brassard, pour ne pas couler.
A la dernière minute, la FIFA a donc taclé tout le monde par derrière au Qatar au sujet de l’amour pour tou.te.s : elle a interdit le brassard floqué « One Love » pour les capitaines. Car l’amour, ce n’est pas sportif. Sept fédérations, dont celle qui plaisait à César, se disent venues pour voir et vaincre avec un brassard multicolore. Des irréductibles prêtes à subir des amendes, donc donner ce dont elles ne manquent pas, mais pas risquer de voir un joueur jaunit – pour une autre raison que la douf. Au bout de prolongations interminables, en un mot, les étoiles sont pour le mur de l’hôtel, peut-être le maillot, mais pas dans les yeux. Pas de brassard du jardin secret pour Eden. On pense au prime time ou au temps des primes, pas aux demandes du public dont des jeunes qui appellent au boycott et semblent plus affûtés en zone de finition. Dans le même tournoi, face à l’Angleterre, l’équipe d’Iran perce l’écran par son bon sens : un hymne national sous silence au vu de ce que traverse son pays, en face d’un Harry Kane qui avait finalement trop chaud au bras. Alors que les Iraniens risquent leur vie, l’Occident peut-il risquer un carton jaune ?
Dispositif de jeu
Pas de démonstration non sportive : la FIFA se base sur son code disciplinaire – qui s’applique aux autres. « Tu saisis ? », aurait dit Raymond la Science, bien que le débat soit plutôt philosophique : porter ou non un symbole dans un contexte sportif ? La même FIFA qui invite pourtant à soutenir « No discrimination » et parfois telle ou telle action. Apparemment, il y a de bonnes promos. Quand le président Gianni Infantino lit sa liste de course en conférence et dit se sentir arabe, travailleur immigré et gay, il joue sans doute à « Qui suis-je », alors que tout le monde a la réponse. « Gianni n’avait pas ses lunettes », aurait dit Claudy Focan. Même Hadja Lahbib, ministre belge des affaires étranges, qui a dit venir pour avoir une discussion franche, déclare à la mi-temps comprendre la règle ; « J’ai marqué mon goal », portant le fameux brassard devant la caméra de ses anciennes couleurs. Le football, c’est créer des occasions.
La presse belge s’empare de la question et oublierait presque le sport et son dilemme « Hazard à 100% ? Trossard pour le dire » faisant couler plus d’encre que les liquides de refroidissement des stades. En conférence, les journalistes passent la question en profondeur aux joueurs, qui remettent en retrait. A Belgique vs Canada, on est donc arrivés curieux, pour ne constater aucun ‘brassard’ ou autre geste avant la noyade. Et après le match caduc face aux Canucks, la victoire aussi est cynique. La ruse de Poutine était salée, et les Diables, dans le gaz, n’ont pas les toutes frites dans le même sachet. Tout ça pour ça. Si Michy Batshuayi tweet de suite que « l’amour gagne toujours », on est soulagé qu’il n’ait pas célébré le goal en tapant poteau comme en 2018. Car le vrai spectacle, c’est que le ciel gris du plat pays qui est le mien devient la moue pour tou.te.s : on inspecte les couleurs, à se demander si les Rasta Rocket troqueraient leurs bobs pour le chapeau de Bobbejaan. C’est un parc d’attractions avec lesdites nations des droits de l’Homme – de la Personne, dit-on au Québec pour être inclusif. Le brassard est pourtant exclu, et le ciel sans arc de triomphe. Et le marquage belge n’est pas meilleur au 2ème bras de fer, contre le Maroc : incolore, la génération d’or est plaquée, sans rendre un essai.
Maintenant que l’arbitre a sifflé le coup d’envoi de notre mondial, peut-on aussi siffler et envoyer un coup ? Certains prônent de se concentrer sur le foot – en tous cas plus que notre onze de départ : mais est-ce le bon choix tactique ? Car dans un monde où tout se calcule, il y a de nombreux avantages à jouer avec engagement. Arrêtons l’attaque-défense, et voyons lesquels.
Jouer l’avantage
Pourquoi porter le brassard et aller au pressing avec la tenue complète, ou au moins faire un geste ?
- Le mondial des Médias : le retour médiatique serait énorme. N’est-ce pas là l’essence de ce sport ? Dont l’ambiance est plombée… Mettez ce brassard et le monde le verra, bien plus que Noa Lang ne croit que l’on remarque sa technique. Un contrôle réussi serait de tout comprendre à la puissance des médias de cette coupe 2.0 : imaginons ce que le brassard donne comme bras de levier journalistique, et les retombées plus visibles que celles de Neymar ! Dans un sport où l’on parle de jouer dans l’impact sans trop savoir ce que cela veut dire, c’est presque un cadeau offert par la FIFA… officiellement.
- Geste commercial : un précédent projet de village de fans à Vilvoorde, « The Desert », portait bien son nom puisqu’il a été annulé faute de public. Que dire de l’écran géant de la gare maritime « Believe Arena » à Bruxelles : Believe, but not in One Love ? Dans un contexte d’interdits et d’inflation, un geste courageux redonnerait de la ferveur aux consommateurs. Les ventes de Panini n’ont pas démarré à la hausse, comme les maillots officiels dont le prix nous fait croire qu’on gagne le soulier d’or. Leur second jeu doit même être adapté pour cacher la mention « love » du col et ne pas être banni : l’équipementier appréciera. Même s’il est difficile de le plaindre, tant il semble avoir troqué le chou de Bruxelles pour le chou-rave lors de cette sainte conception. Avant Noël, in the land of Tomorrow, le consommateur veut un geste pour braver la drache et aller voir le match. Le public lève le coude pour ceux qui ne lèvent pas le pied.
- Injecter un booster : un geste fort peut booster les troupes, en bravant l’interdit et risquant l’impossible. La Belgique est outsider, dit-on : qu’elle le soit jusqu’au bout ! A la manière des articles de presse critiques que l’entraîneur Felice Mazzù collait dans le vestiaire carolo, l’idée du contrecourant peut faire traverser des océans, même de sable, dont les marchands ne peuvent pas encore tout contrôler. Ainsi, l’enjeu redeviendra sportif, et le boost public : on se souvient par exemple de l’accident malheureux de Christian Eriksen au dernier Euro 2021 et de la sympathie générale pour l’équipe danoise. Qui sait, les battements de cœur de nos joueurs peuvent s’attirer un soutien majeur, non montré du doigt. Montré de Doha, Martinez lui-même évoque la peur et les tensions dans le vestiaire : qu’ils en sortent alignés avec la presse comme sur le terrain !
- La carotte : la FIFA brandit le bâton, et ce n’est pas celui du berger, mais la presse belge semble unanime et motive ses gamins. Alors que l’âne de Saint Nicolas approche, les joueurs savent quel est l’attendu au pays, et ce n’est pas que du massepain et des jeux. Est-ce trop à porter pour un capitaine en polyester ?
- Les petits poids : l’idée d’un lourd poids porté par le bras d’un capitaine repose sur ses épaules tant qu’il n’a pas mis en jambes la responsabilité collective. Un simple geste, même une seule fois, je dirais même plus, un geste simple une fois, et il laissera le poids à d’autres. A l’arbitre, le choix de donner le carton, à la presse de presser, aux politicien.ne.s de rester sur le banc ou de monter au jeu, à la Fédération de faire l’appel et au Tribunal du Sport de donner l’assist. Le capitaine, lui, récoltera le charisme. Comme disait Jean-Luc Dehaene, c’est dix minutes de courage politique. Et surtout, cette victoire-là est certaine.
- « J’y étais, fils » : la sélection belge pourrait patiner sans atteindre le tour suivant, aux dires de la presse internationale. Il est vrai que Steven Bradbury n’est pas belge, et que le tournoi ne tombe pas à pic et redistribue les cartes des grandes nations qui semblent jouer au « valet qui pue ». Certains cadres seront plutôt accrochés au mur des anciennes gloires à la prochaine compétition. A son concert à 23 millions, on aimerait chanter « KDB, tu ne vas pas crever » mais le métronome lui-même estime le groupe trop vieux pour jouer la partition finale. Un bémol pour la confiance à la jeunesse et en tous cas, à ses idées ? Ainsi, sans repartir avec l’or, cette génération a là l’occasion de marquer l’histoire par son engagement ailleurs que dans le jeu. Après Berlin en 36 et l’Argentine en 78, la VAR se souviendra peut-être de ce nouvel évènement pour les prises plutôt que le respect des positions sur le terrain.
Transversale : Les hommes portent le brassard, les femmes la culotte
Regardons bien les actions qui mènent au but et l’on verra que non, agir n’est pas impossible.
Pourquoi ne pas prendre cette carte en début de match, et même s’arranger entre les capitaines de chaque équipe ? Un joueur en fin de match, ou onze en fin de tournoi, telle une remontada ? On a les a vus jouer au jeu du suspendu pour moins que ça. Le pendu ne tombera pas de son sus si le porteur du brassard, ou d’un autre accessoire, change : imaginons le buzz d’un petit jeu qui séduirait les médias à chaque rencontre… où certains ont suggéré que deux diables se donnent une baise. L’équipe allemande n’aurait pas pu car, soutenue par sa fédération, elle se couvrait la bouche sur la photo officielle, comme muselée. « Ils auraient mieux fait de gagner » : il n’y a qu’Eden Hazard pour critiquer les inventeurs du hamburger ; on aurait préféré que notre ancien farceur commente l’image d’un « tire sur mon doigt » en allemand, avant de les retrouver en huitièmes, ou les nippons, ni mauvais, à moins que ce ne soit l’Espagne qui le presse au Real Madrid. Rappelons aussi que Cristiano Ronaldo avait à l’Euro 2021 caché un soda en conférence de presse et lancé le mouvement « Drink water » – ce qui amènera Romelu Lukaku à plaisanter en appelant du pied ce sponsor, alors qu’il peut boire ce qu’il veut sur le banc en ce moment. Cette semaine, c’est bien CR7 qui a inauguré sa statue Tussauds en plein Times Square malgré sa situation sportive difficile. Le public reconnaît un sire quand il en voit un.
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Agir n’est donc pas impossible et à vrai dire, des exemples frappants existent surtout au jeu des dames. Rapide entre-deux : si l’on pense que le foot féminin n’est pas comparable, cela revient à dire que des stars masculines en position plus forte ont moins de pouvoir. Hors-jeu.
La reine du football brésilien Marta (6 fois meilleure footballeuse FIFA de l’année) inspire l’émancipation d’une génération de jeunes filles, notamment dans la communauté lesbienne. L’américaine Megan Rapinoe (ballon d’or 2019) est engagée dans plusieurs luttes contre les discriminations, y compris celle du fameux brassard, a tenu tête à Donald Trump, et porté la bataille juridique amenant sa fédération à l’égalité salariale avec les joueurs. La norvégienne Ada Hegerberg (ballon d’or 2018) a refusé de participer au mondial 2019 en France pour cette même différence avec la sélection masculine, dont vous n’avez pourtant presque pas entendu parler. La prochaine coupe du monde féminine est en 2023 : vous savez laquelle montrer aux enfants.
Ainsi, le coach John Herdman de Canada vs Belgique a beau réunir ses joueurs à la fin du match pour les féliciter en montrant ses parties, on les cherche encore au sein de ces deux nations des Human Rights. Le même coach qui parlait de b**ser l’adversaire Croate suivant, sans brassard ni cravate – au pays, on boira l’image de l’Anglais jusqu’à la lie. Avant d’avoir la monnaie de sa pièce de théâtre, en euros, après une prestation décolorée comme celle des belges qui face à Rabat, n’avaient plus de joie. Pour s’en battre les Kevin de Bruyne, encore faut-il porter la culotte.
Prolongations: plus de foot
Certains tacleront qu’il vaut mieux se concentrer sur le football. « Mes joueurs sont là pour shooter, pas pour chanter » disait Marc Wilmots à l’époque. Vraiment ?
Si ce discours est logique en match, il ressemble à une occasion galvaudée en général, tant on connaît l’univers non footballistique d’un jeu où l’on ne reçoit plus de pain fermenté. Ne pas faire de politique : remise en jeu ou botte en touche ? S’ils ne peuvent être au four et au moulin, ils ajouteront peut-être, comme Thomas Meunier, qu’il est trop tard pour agir car l’on savait cela il y a 12 ans. Après les prescriptions médicales, celles de justice : on ne change pas une logique qui ne gagne pas. Laissons-lui qu’il a reconnu être mal placé pour faire une émission contre un Cheikh, tant le wallon parisien était sous l’Charme dans la ville des lampes – à pétrole.
En conférence de presse, on peut se demander qui s’exprime vraiment. D’ailleurs, le président de l’Union Belge, qui ne fait pas la force, déclare pour tout le monde souscrire aux règles du forfait Al-in du mondial, car il craint que la sanction ne soit finalement un carton rouge. A Bordeaux ou ailleurs, on parle de joueurs dans le giron d’une fédération, mais qui protège réellement qui ? Certaines clauses les empêchent probablement de parler de la maison. Dans un monde où l’expression est considérée comme non essentielle, ils signent un contrat comme tout travailleur manuel, avec leurs pieds, et poings liés – et même leur langue. Si personne ne se risque à une déclaration sur un coup de coin de table, tout le monde finit par se regarder comme dans une défense en zone, même acquiescer d’un applaudissement stalinien, ce qui n’est pas de bon ton dans la pêche actuelle aux informations.
Non, le joueur n’a pas d’obligation morale individuelle de défendre une cause, comme Black Lives Matter l’a montré alors que certains n’appréciaient pas de mettre un genou au sol. Mais l’on comprend difficilement qu’il obéisse un jour aux injonctions, un jour non, à moins qu’il n’ait aussi ses idées fixes. Astérisque : en dehors d’un contrat. Dire comme Jan Vertonghen qu’on ne peut rien dire de peur d’une suspension tout terrain, et que le but personnel est de jouer sans rouler sa bosse, rebondit alors comme plus honnête et carré. Mais attention, car si les pieds le sont aussi, au lieu de faire la fête à Liège, la critique aura l’impression qu’on a joué avec les siens.
On peut attendre d’une équipe qu’elle représente une Nation, sans tomber ni dans la complaisance avec le Qatar, ni dans la propagande occidentale. Mais à trop parler, attention à la réputation d’hypocrisie de l’Ouest car, non, tout n’est pas uniquement sportif, lorsque l’équipe type des Diables Rouges joue au Koweït 3 jours avant le début de la coupe du monde, ni lorsque les représentants politiques aiment que la sauce modère avant tout les liens entre la Belgique et le Qatar. Je dirais même plus : Tintin est bien venu pour l’or, mais lequel ?
Coup de sifflet final: « One love, fieu »
Au-delà de la philosophie, et quitte à prendre une sanction volle pétrole, le jeu en vaut la chandelle pour se chauffer en hiver. Dans un sport où l’on juge les fautes sur base de l’intention, mettez ce brassard sans laisser le bras le long du corps, pour saisir une carte : celle du monde. Diable ! Là, vous serez dans votre temps, sans même devoir être dans le tempo. Certes, nous sommes à une époque où même écrire un article est une prise de risque mais, pour gagner, on ne joue pas en 5-5-0. On peut s’attendre à d’autres actions dans le tournoi : qui seront les premiers défenseurs, et qui le dernier homme ? D’autres ont joué le contre avant vous, et vous êtes en position de conclure. Que la génération d’or ne soit pas doublée sur sa côte sans voir « l’éléphant dans la pièce ». Après tout, un arc-en-ciel a besoin de pluie. Pourquoi pas une belge histoire : « One Love, fieu » ?
Benjamin Sion ou « Tiche Comedy », auteur-interprète en Belgique et en Afrique, coach professionnel et diplômé en biologie, économie et sciences politiques. Inspiration arc-en-ciel
Le titre est de la rédaction. Titre original: « One love, fieu »
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