Carte blanche
Appel en soutien aux mobilisations pour la Palestine sur les campus universitaires (carte blanche)
Dans une carte blanche, 29 enseignants à l’ULB marquent leur soutien à l’occupation de l’université, sur fond de conflit israélo-palestinien. En parallèle, ils rejettent l’accusation de déni d’antisémitisme subie par leur établissement.
Face au désastre en cours à Gaza, la mobilisation de la jeunesse dans les universités américaines, partout dans le monde et dans notre propre université constitue pour nous une lueur d’espoir. Partout également le mouvement d’occupation des universités pour manifester l’opposition à la guerre menée par Israël et pour la défense des droits des Palestiniens est stigmatisée et criminalisée comme antisémite. Les détracteurs des occupations ne cessent de sommer les autorités universitaires de requérir les forces de l’ordre pour faire évacuer les campus. Par cet appel, nous voulons dénoncer l’instrumentalisation honteuse de l’accusation d’antisémitisme pour désigner le soutien de la jeunesse à la cause palestinienne et l’accusation de déni d’antisémitisme à l’encontre des autorités académiques pour n’avoir pas livré le campus aux forces de police.
Les détracteurs ne voient dans l’indignation étudiante face au massacre de plus de 35.000 Palestinien·nes, dont une majorité de femmes et d’enfants, qu’une passion anti-israélienne antisémite, et dans le refus de la rectrice et des autorités académiques de le réprimer « un syndrome de déni d’antisémitisme ». Ils se rallient inconditionnellement au récit sioniste qui célèbre l’histoire des uns et nie celle des autres, et aboutit à légitimer les pires crimes et abus au nom de supposés principes moraux. Ils présentent en conséquence des décennies de colonisation, d’occupation militaire, de harcèlement et de violence comme de l’autodéfense et disqualifient de ce fait toute résistance palestinienne.
En instrumentalisant ainsi l’antisémitisme pour la défense d’Israël, ils le vident de son sens
L’antisémitisme, instrumentalisé et donc vidé de son sens
Comme l’a récemment écrit l’ancien secrétaire d’État états-unien au Travail, Robert Reich, qui est par ailleurs juif, « une fois que nous commençons à faire l’amalgame entre l’antisémitisme et les protestations contre la brutalité de masse, comme le massacre à Gaza, nous invitons à l’aveuglement face aux injustices dont les États-Unis sont complices» (nous pouvons remplacer ici E.U. par Belgique ou Union Européenne).
De plus, identifiant la lutte contre l’antisémitisme à la défense d’Israël et en l’opposant à la défense des droits des Palestiniens, ils vident l’antisémitisme de son contenu raciste. Nos détracteurs reprochent à la rectrice de l’ULB de ne pas avoir « dénoncé ni condamné spécifiquement l’antisémitisme », alors pourtant qu’elle prend soin d’associer dans un communiqué le racisme et l’antisémitisme. En instrumentalisant ainsi l’antisémitisme pour la défense d’Israël, ils le vident de son sens, privent cette notion de tout contenu raciste.
La lutte contre l’antisémitisme ainsi défini est d’ailleurs devenue le mot d’ordre de tous les mouvements postfascistes et d’extrême droite qui appellent à se battre contre la « barbarie islamique », sans avoir abandonné pour autant leurs préjugés antisémites. Ces mouvements peuvent même, bien qu’antisémites, être pro-sionistes, comme le sont certains groupes évangélistes. C’est notamment en raison de cette instrumentalisation du concept d’antisémitisme au profit d’un gouvernement d’extrême droite, suprémaciste et corrompu que l’antisémitisme, historiquement en recul, connaît à présent une résurgence.
«Les manifestations sur les campus peuvent faire preuve parfois de sectarisme ou paraître outrancières»
«Les manifestations sur les campus ne sont pas parfaites, mais nous en avons désespérément besoin»
Il y a vingt ans, Edward Saïd, comme le rappelle Enzo Traverso, pensait qu’un État binational et laïc, capable de garantir à ses citoyens juifs et palestiniens une totale égalité de droits, était la seule voix possible vers la paix. C’est le sens historique du slogan « Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre » que revendiquent aujourd’hui les manifestant·es, dont grand nombre de juifs et juives, que nos détracteurs, comme certains médias dominants, persistent à considérer comme antisémite. Ce slogan est surtout un appel à l’égalité des droits, individuels, sociaux, nationaux et religieux, que ce soit sous forme de deux États ou d’un État commun binational, fédéral ou confédéral, dans l’espace du Jourdain à la Méditerranée.
«Les manifestations sur les campus ne sont pas parfaites, écrit Peter Beinart, mais nous en avons désespérément besoin». Elles peuvent faire preuve parfois de sectarisme ou paraître outrancières et il n’est pas exclu que des actes commis à leur périphérie puissent avoir des relents d’antisémitisme. De tels actes doivent être condamnés.
Le contexte, hystérisé par les soutiens de la politique israélienne
Dans un contexte hystérisé par les soutiens de la politique israélienne, malgré les pressions et les attaques scandaleuses, les autorités de l’ULB n’ont cédé ni aux pressions, aux attaques et provocations et ont œuvré, dans la tradition libre exaministe et engagée de l’université, à maintenir les conditions d’un débat libre et ouvert. Contrairement aux exigences incessantes de certains détracteurs de l’occupation, l’ULB n’a eu aucun besoin de recourir à la police contre cette occupation étudiante pacifique d’un bâtiment, a permis l’expression de la solidarité à l’égard de la Palestine et montre vouloir prendre part à la discussion par l’organisation d’une conférence débat le 3 juin sur la guerre que mène l’État d’Israël à Gaza.
«Nous ne pouvons soutenir la demande de censure qui représente une préjudiciable atteinte à la liberté de parole»
À propos de cette conférence, son organisation peut certes faire l’objet de critiques, dont certaines nous apparaissent légitimes, mais nous ne pouvons soutenir la demande de censure qui représente une préjudiciable atteinte à la liberté de parole.
Nous tenons, en tant qu’enseignant·es, à marquer notre soutien à la rectrice et aux autorités de l’ULB face aux accusations de déni d’antisémitisme et nous exprimons notre solidarité avec le mouvement d’occupation des étudiant·es pour la défense des droits du peuple palestinien.
Mateo Alaluf, Thomas Berns, Aline Bingen, Francine Bolle, Olivier Corten, Didier Debaise, Chloé Deligne, Philippe Donnen, Jacques Englebert, Corinne Gobin, Mejed Hamzaoui, Matteo Gagliolo, David Gall, Perrine Humblet, Heinz Hurwitz, Pierre Klein, Vaios Koutroulis, Anne Lagerwall, Pieter Lagrou, Esteban Martinez, Carla Nagels, Christian Olsson, Damien Scalia, Jihane Sfeir, Sybille Smeets, Isabelle Stengers, Corinne Torrekens, Michel Tytgat, Christophe Wasinski.
Tous les signataires sont professeur.e.s à l’ULB
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