Zakia Khattabi
À quand des budgets réellement verts ?
En 2022, les émissions de gaz à effet de serre en Belgique ont atteint leur niveau le plus bas en raison de la crise énergétique. Soit 4 % de moins que l’année précédente. Ceci s’explique notamment du fait que les ménages ont réduit considérablement leur consommation d’énergie. Si cette diminution est positive, elle n’est hélas pas le résultat de politiques climatiques ambitieuses. Pour poursuivre cette tendance de manière structurelle, sans nuire à nos économies et à notre qualité de vie, nous n’avons pas d’autre choix que d’investir dans des politiques environnementales fortes.
Une récente étude de McKinsey indique que 415 milliards d’euros d’investissements sont nécessaires si nous souhaitons rendre la Belgique climatiquement neutre d’ici 2050, et que 40% de ce montant doit être dégagé avant 2030. Une bonne moitié concerne le parc immobilier.
Les avantages d’une telle vague d’investissements pour la Belgique sont bien connus : ils permettraient de créer jusqu’à 80.000 emplois supplémentaires, d’accroître la compétitivité des secteurs industriels et d’améliorer la qualité de l’air. Mais il faut se rendre à l’évidence : dans le contexte actuel de hausse des taux d’intérêt et des querelles des gouvernements sur l’avenir énergétique, le boost d’investissement ne se fera pas tout seul. Il est urgent d’accélérer !
La réforme fiscale avortée du gouvernement fédéral contenait 3 mesures susceptibles d’encourager les investissements verts : le verdissement de la déduction pour investissement, qui permet aux entreprises d’amortir plus rapidement ces investissements. La suppression progressive des subventions pour le diesel professionnel, qui rend les camions fonctionnant à l’électricité ou à l’hydrogène plus compétitifs plus rapidement.
Enfin, le transfert des droits d’accises de l’électricité aux énergies fossiles. Cette dernière mesure pouvant donner un coup de fouet à l’installation de pompes à chaleur et d’autres sources de chaleur verte. Avec l’échec de la réforme fiscale, ces mesures n’ont pas pu se concrétiser. Elles sont pourtant essentielles à la politique climatique fédérale et à « la prospérité » des budgets de l’État ! Raisons pour lesquelles je les remettrai sur la table du gouvernement lors du conclave budgétaire.
Le premier impact est fondamental : si nous n’investissons pas suffisamment en faveur de la décarbonation et que nous laissons donc le dérèglement climatique se poursuivre, les dégâts des phénomènes météorologiques extrêmes ne feront qu’augmenter considérablement. L’été 2023 en a été une douloureuse illustration. Au total, les assureurs ont par exemple versé 2 milliards d’euros d’indemnités pour la catastrophe climatique de 2021, dont 1,05 milliard sera finalement remboursé par les gouvernements.
Dans son deuxième « stresstest climatique », la Banque centrale européenne a conclu que réduire les gaz à effet de serre « rapidement et drastiquement » est de loin l’option la plus intéressante économiquement. Bien entendu, nous ne sommes pas seuls face à la crise climatique, la réponse à y apporter engage aussi bien d’autres que nous. La Belgique, ou l’Europe à elle seule, ne peut pas par ses efforts ralentir suffisamment le dérèglement. Mais inversement, la neutralité climatique mondiale qui peut arrêter le dérèglement climatique, n’est réalisable que si tous les continents deviennent climatiquement neutres, y compris l’Europe donc.
Un deuxième effet est évident : une mesure qui rapporte est bonne pour le budget. Le gouvernement fédéral a encore dépensé 1,2 milliard d’euros pour le diesel professionnel en 2020. Diminuer le remboursement de ces accises est une économie immédiate pour le budget de l’état. Mais le transfert des droits d’accises, pour rendre l’électricité moins chère, peut également être neutre sur le plan budgétaire.
Il existe par ailleurs une dimension financière qui est encore trop peu (re)connue. Chaque tonne de CO2 économisée vaut actuellement environ 90 euros. Prenons l’année 2022 : en raison de la crise énergétique, les émissions de gaz à effet de serre étaient inférieures de 2,3 millions de tonnes à la trajectoire de réduction belge convenue en Europe. Une manne inattendue de 207 millions d’euros ! Inversement : par son manque d’ambition climatique, le gouvernement flamand en réduisant moins d’émissions de gaz à effet de serre que ce qui est requis nous engage dans une facture à payer d’un milliard d’euros en droits d’émission. En résumé : une politique climatique faible aujourd’hui coûtera au gouvernement des centaines de millions dans quelques années.
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J’ai constaté ces dernières années que cette donne n’a pas encore suffisamment pénétré les esprits. C’est pourquoi j’ai intégré à la loi fédérale climat, adoptée en première lecture avant l’été, un mécanisme de financement. En prenant en compte le prix des droits d’émission, en plus du prix de l’énergie, nous obtenons une vue d’ensemble pour tous les investissements ou les dépenses publiques qui sont bons à la fois pour le climat et pour le budget.
Ainsi, les trois mesures climatiques que je mettrai sur la table du conclave budgétaire pourraient générer 12 millions de tonnes de réductions d’émissions d’ici 2030. En bref, cela permettra aux gouvernements de notre pays d’économiser l’achat obligatoire de quotas d’émission pour un montant de plus d’un milliard d’euros. Je déplore dès lors que cette approche ne trouve pas davantage d’écho dans le cadre du débat public en général et des débats budgétaires en particulier. Il est temps de mettre le turbo en ce sens si nous voulons voir évoluer les chiffres du rouge vers le vert.
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