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Les plans de la Belgique pour contrer l’IPTV illégale: tout est prêt pour l’offensive
Le streaming et la TV pirate, en pleine expansion, sont dans le viseur des autorités, qui comptent désormais sur des procédures ultrapides pour régler le problème. Les ayants droit entendent, eux, faire aussi plier Google et consorts. Le préjudice est estimé à au moins 189 millions d’euros par an.
C’était le 26 novembre dernier: une opération policière XXL dans une dizaine de pays européens, de la France à l’Allemagne en passant par la Suisse et le Royaume-Uni, tentait de «mettre fin», sous l’égide d’Europol, à «l’un des plus grands réseaux illégaux de diffusion en continu opérant à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE». Grâce à des moyens de coopération hors norme, elle a porté ses fruits.
Dans le détail, «l’enquête visait 102 suspects, dont onze ont été arrêtés, pour distribution illégale de matériel provenant de services de diffusion en continu en ligne, y compris des films et des séries. Ils avaient également piraté plus de 2.500 chaînes de télévision, telles que des diffuseurs sportifs, et les avaient mises à la disposition de plus de 22 millions d’utilisateurs dans le monde sans le consentement des titulaires du droit d’auteur», ont communiqué les enquêteurs, qui font état «d’indices de crimes supplémentaires, tels que le blanchiment d’argent et la cybercriminalité».
La fronde ne fait que commencer
En Belgique, la lutte contre l’IPTV illégale (pour «Internet Protocol Television», qui permet à un utilisateur de consommer du contenu sans rémunérer l’opérateur qui en détient les droits) prend aussi de l’ampleur. L’Alliance européenne contre la piraterie audiovisuelle (Apaa), qui représente les entreprises impliquées dans la fourniture de services audiovisuels protégés, estime que 5,4% des spectateurs belges, soit plus de 400.000 personnes, consomment ce type de contenus, générant un manque à gagner évident pour les ayants droit. Une première injonction d’ampleur, réclamée par la chaîne Eleven Sports, détentrice à l’époque des droits de la Pro League chez nous, avait conduit un juge, en mai dernier, à ordonner aux fournisseurs d’accès la fermeture de 80 sites illégaux de streaming.
Désormais, «le système mis en place permet au juge, dans le cadre d’une procédure unilatérale et ultrarapide, de donner des injonctions aux intermédiaires dont les services sont utilisés pour accéder en Belgique à du contenu accessible en ligne en violation du droit d’auteur», dixit le service du SPF Economie chargé de la lutte contre la piraterie en ligne. Estimation du préjudice à ce jour: au moins 189 millions d’euros annuels. Préjudice qui concerne, toujours d’après le SPF, six acteurs économiques distincts: les agrégateurs de contenu, les sociétés de gestion de droits d’auteur, les organismes de télédiffusion, les services de streaming payants, le secteur du sport et… l’Etat. Le manque à gagner pourrait être plus important encore, selon le SPF Economie.
«La clé est d’être le plus rapide possible dès le moment où il y a atteinte à nos droits.»
Benoît Cordemans, chef du développement chez Dazn Belgium.
Cultiver l’effet de surprise
Depuis juin dernier, dans la foulée de l’injonction requise par Eleven Sports, la procédure accélérée a été mise en place et annoncée en grande pompe. Mais tout «dépend du mandat donné par le juge», explique-t-on du côté du SPF, soulignant que «le système repose donc sur une coopération entre la justice et l’administration, sur l’autorégulation et sur l’information».
Reste que tout est prêt pour l’offensive: le service antipiraterie a «préparé les procédures, lettre standard, projets informatiques, liés à l’exercice de ses missions, y compris le suivi des injonctions données par le juge aux intermédiaires. Le service a été informé des intentions de plusieurs ayants droit importants d’introduire des requêtes, mais les requêtes n’ont pas encore été déposées en raison du temps nécessaire pour identifier les cibles et constituer les preuves.»
Des requêtes qui semblent n’être qu’une question de temps. «Nous allons accélérer», assure-t-on chez Dazn Belgium (qui a racheté Eleven Sports). «Pour nous, la clé, c’est de pouvoir être le plus rapide possible dès le moment où il y a atteinte à nos droits, anticipe Benoît Cordemans, le chef du développement. Si quelqu’un fait du streaming illégal de notre contenu –chez nous, il s’agit essentiellement du live sportif–, c’est important d’avoir un effet de surprise et de pouvoir agir vite.»
Les géants de la tech dans le viseur
La fronde contre l’IPTV et le streaming illégal pourrait même dépasser les simples fournisseurs d’accès jusqu’ici visés par des injonctions judiciaires. «Maintenant, l’objectif est de s’appuyer sur l’aspect dynamique décrit dans la loi pour étendre cela aux sites miroirs, poursuit Benoît Cordemans. Nous voulons nous attaquer aux services de streaming illégal mais aussi aux plateformes IPTV, chaque maillon ayant un rôle clé dans cette lutte contre le piratage de contenu: les services de paiement, les acteurs du référencement, les hébergeurs d’applications (app store, etc.), les fournisseurs d’accès à Internet, les fournisseurs de service DNS, etc.»
Traduction: il existe une volonté nette des ayants droit d’élargir la fronde contre le piratage à de plus gros poissons. Mais lesquels, précisément? Un indice: en Espagne, la puissante Liga s’est fendue d’un rapport ciblant notamment Google, X et Cloudflare comme des «facilitateurs» de piratage, par exemple en renâclant à déréférencer les sites de streaming illégal. Un serpent de mer vieux comme le Net, en matière de piratage en ligne…
Que risque le consommateur?
L’IPTV n’étant pas toujours illégale et le consommateur pouvant être mal informé, les risques de poursuite à son encontre sont relativement faibles. Toutefois, en Belgique, la loi «punit celui qui porte atteinte aux droits des auteurs, aux droits sur les logiciels, […] d’une peine d’emprisonnement d’un an à cinq ans et d’une amende de 500 à 100.000 euros majorée des décimes additionnels», prévient la police fédérale, qui ajoute que pour être inquiété, «il suffit par exemple de regarder un match de foot sur une chaîne captée illégalement. Toutefois, la loi exige aussi que le fait ait été commis avec une intention méchante ou frauduleuse, ce qui n’est pas établi d’office.»
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