Télévisions de proximité
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Galant présente son plan de réforme aux télévisions de proximité: «Le but est avant tout idéologique»

Si économiquement, la réforme des télévisions locales semble «cohérente», selon Frédéric Antoine, spécialiste de l’économie des médias, ce plan cache aussi un but politique.

C’est un rendez-vous qu’ils ont certainement entouré de rouge dans leur agenda: les dirigeants des douze médias de proximité que compte la Fédération Wallonie-Bruxelles sont attendus ce mardi matin à la première heure par la ministre des Médias pour leur présenter son plan de réforme du secteur. Fusions, synergies avec la RTBF, implication d’acteurs privés…: Jacqueline Galant (MR) avait annoncé la couleur à l’automne dernier en affichant son ambition de réduire de moitié le nombre de médias de proximité, anciennement connus sous le nom de «télévisions locales».

Les douze chaînes sont financées par la FWB à hauteur d’un peu plus de treize millions d’euros par an. La distribution géographique de ces médias varie toutefois sensiblement d’une province à l’autre, avec, par exemple, quatre télés locales dans la seule province du Hainaut contre deux dans celle de Liège. Pour Jacqueline Galant, l’heure est venue de rationaliser le secteur avec l’objectif assumé de faire des économies vu la situation budgétaire compliquée de la FWB. «Tout le monde doit participer à l’effort, insiste son cabinet. L’objectif n’est toutefois pas de détruire, mais de faire beaucoup mieux.»

Un secteur médiatique en difficulté

Les médias de proximité vivent une passe difficile. La moitié d’entre eux sont actuellement en déficit, avec des réalités très différentes. Leur structure de financement varie en effet d’une entreprise à l’autre, avec des subsides (inter)communaux (ou provinciaux) fort inégaux. Parfois, ils bénéficient de sources alternatives de financement; parfois pas. Le secteur pâtit aussi aujourd’hui de recettes des câblo-opérateurs en repli. Autre signe de sa fragilité: une grande partie du personnel des médias de proximité dépend des aides à la promotion de l’emploi (APE), un outil lui aussi récemment rationalisé.

«Il y aura un peu moins de diversité, mais le pluralisme sera sans doute toujours un peu là, car il existera toujours des médias locaux.»

Frédéric Antoine

Face à ce constat, la ministre voudrait voir à l’avenir les médias de proximité mutualiser davantage leurs moyens. Des incitants financiers pourraient les y encourager. Elle souhaite aussi une collaboration plus étroite avec la RTBF. Outre l’ambition de rationalisation, le projet de réforme de la libérale s’accompagne aussi d’un large volet de simplification administrative, avec pour objectif notamment d’alléger les contraintes fixées dans les contrats de gestion des médias de proximité.

Sur base de différents échanges avec les médias locaux et la RTBF, Jacqueline Galant a élaboré un texte «très précis», présenté ce mardi à leurs responsables. La ministre n’a pas souhaité en dévoiler le contenu pour l’instant. Après présentation de son projet et concertation avec les acteurs, celle-ci déposera un avant-projet de décret à son partenaire de gouvernement. Aucun calendrier pour la réforme n’a été communiqué.

La fin du pluralisme médiatique?

Par leur existence, les douze médias de proximité de la FWB contribuent au pluralisme des médias. Ensemble, ils rassemblent une audience quotidienne de quelque 600.000 téléspectateurs et attirent plus de trois millions de visiteurs uniques sur leurs sites web, selon des chiffres fournis par le Réseau des médias de proximité.

Une possible fusion de certaines de ces télévisions locales pourrait-elle mettre à mal le pluralisme médiatique? Il est difficile de répondre à cette question, selon Frédéric Antoine, professeur émérite à l’UCLouvain, spécialiste des médias. Si fusion forcée il y a, les quelques médias restants devront couvrir des zones géographiques plus grandes. Par endroit, comme en province de Hainaut, où cohabitent plusieurs télévisions de proximité, «il y aura un peu moins de diversité, mais le pluralisme sera sans doute toujours un peu là, estime l’expert. Car il existera toujours des médias locaux».

«Les télévisions de proximité sont clairement plutôt un concept de gauche lié à la culture telle qu’on la voit au PS ou chez Ecolo.»

Frédéric Antoine

Si, économiquement, la réforme voulue par la ministre Galant est «cohérente», selon Frédéric Antoine, les télévisions coûtant cher à la Fédération Wallonie-Bruxelles, leur fusion n’est pas forcément une bonne chose. Premièrement, car inévitablement des emplois «doublon» seront supprimés. Deuxièmement, parce que les téléspectateurs des médias locaux veulent avant tout s’informer sur ce qu’il se passe au plus près d’eux. Or, «plus un média couvre une zone importante, moins il peut aller en profondeur et plus le traitement est général», expose le professeur louvaniste.

Un modèle de l’ultra-proximité qui s’est déjà étiolé au fil des ans, selon lui. Au milieu des années 1970 sont apparues les premières télévisions communautaires inspirées de ce qui se faisait au Canada. «Elles s’adressaient à des petites communautés perdues au milieu des étendues du Québec et animaient la vie de celles-ci», résume le spécialiste des médias. «TV Com, par exemple, était la télévision communautaire d’Ottignies-Louvain-la-Neuve. Elle était toute petite, mais a fini par couvrir un arrondissement plus grand. C’est le cas de beaucoup de ces médias de proximité.»

Un but économique… et politique

La morphologie des télévisions de proximité a déjà beaucoup changé au fil des décennies. De média communautaire, les chaînes locales se sont peu à peu muées en télévisions régionales, voire provinciales. L’écart entre elles et la RTBF qui, à côté des informations nationales et internationales, couvre déjà l’actualité locale, et possède même des antennes dans certaines villes provinciales, s’est réduite. Ces chaînes télévisées ont même un autre point commun: la ministre libérale leur demande de se serrer la ceinture.

«Les télévisions de proximité sont clairement plutôt un concept de gauche lié à la culture telle qu’on la voit au PS ou chez Ecolo, commente le professeur de l’UCLouvain. On demande de faire des économies, mais le but est avant tout idéologique par rapport à ce que représentent la RTBF et les télévisions de proximité.» Selon lui, il est souvent reproché aux télévisions locales leur proximité avec le pouvoir politique en place, lequel n’est pas forcément le même qu’à l’échelle régionale ou fédérale. «Plus on met de distance entre les élus et les médias de proximité, plus on les inscrit dans des tendances qui ne sont plus celles liées au fief politique dans lesquels ils sont ancrés», commente Frédéric Antoine.

Contacté par Le Vif, le Réseau des Médias de proximité n’a pas souhaité faire de commentaire à ce stade.

(Avec Belga)

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