Le renouveau des jeux de société: écologiques, européens, de seconde main
L’offre de jeux de société provient essentiellement de Chine. Mais désormais, une production européenne, sans plastique, se développe. Et le seconde main change aussi la donne.
Le fanatisme atteint même les toilettes, où des publicités trônent au-dessus des pissotières. Comme tous les ans au mois d’octobre, le parc des expositions d’Essen, en Allemagne, se transforme en temple mondial du jeu de société. Dès l’ouverture, certains visiteurs se précipitent vers les stands anglais, américains ou coréens pour tester en primeur une nouveauté, quand d’autres patientent dans d’interminables files pour bénéficier de réductions spéciales. Cette année, près de 1 300 jeux inédits sont présentés sur plusieurs centaines d’étals avec des thèmes parfois aussi surprenants que le développement des racines sous terre ou le fonctionnement du Parlement suédois.
Plusieurs éditeurs se lancent dans des gammes écologiques, mais beaucoup restent effrayés par les coûts de transport et les délais de livraison.
Depuis 2019, la valeur du marché du jeu de société et du jouet a augmenté de 11 %. Pour ce retour à la normale après deux éditions en mode Covid, le célèbre Spiel Essen entend donc poursuivre cette marche en avant. Au stand Gigamic, trois collaboratrices en tenue traditionnelle grecque présentent le tout nouveau «Akropolis». «Pour nous, le salon est l’occasion d’ouvrir nos titres à l’international», pose Ariane Floderer, responsable de la communication. Plus loin, à distance respectable des stands proposant des dés de toutes les couleurs, des tables spécifiques adaptées aux joueurs ou des bonnets à l’effigie de certains héros, Bioviva tranche avec une – relative – sobriété dans son décor et son stock. «Nous privilégions la production responsable et en quantité raisonnée, affirme Jelena Kuhn, l’attachée de presse du groupe montpelliérain. Tous nos jeux sont made in France, faits avec du papier et du carton labellisés FSC, et donc issus de forêts durablement gérées, et dans des formats optimisés pour éviter les pertes de matière.»
Bioviva est cependant un peu seul sur son île. De nombreux éditeurs de jeux utilisent encore beaucoup de plastique et leur matériel est massivement produit en Chine. «La majorité des joueurs ne sont pas vraiment sensibles aux lieux et aux méthodes de fabrication et restent, par exemple, farouchement attachés au cellophane qui entoure les boîtes», souligne François Baetens, du site d’informations ludiques Vin d’jeu.
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Et si les habitudes des joueurs sont fortement ancrées, il en va de même pour celles de la production. «Certaines compétences n’existent simplement plus en Europe et c’est la Chine qui en a le monopole, notamment la production d’aimants, ajoute Cannelle Charlet, chargée de développement chez le distributeur namurois Geronimo Games. Plusieurs éditeurs commencent à se lancer dans des gammes écologiques, mais beaucoup restent effrayés par les coûts de transport et les délais de livraison. Les choses bougent, mais ça prend du temps.»
Jeux de société: l’exemple belge
Céline Pieters et Raphaël Vanleemputten, eux, n’ont pas voulu attendre. Il y a cinq ans, cette doctorante en langues et lettres et ce chargé de communication ont créé la société Fika. Décliné en série, leur jeu «Intime Conviction» simule une délibération lors d’un procès et plonge les joueurs dans la peau des jurés. Sobre, le packaging se limite à une enveloppe en craft et quelques cartes en papier, point. «On voulait que ça soit le plus naturel possible, confirme Céline Pieters. On a donc tout de suite refusé de produire en Chine, c’était trop polluant et insensé en matière de transport.» Face à l’impossibilité d’obtenir un devis belge sans plastique, Céline et Raphaël se sont finalement tournés vers une imprimerie polonaise qui utilise du bois local. «Comme le placement des cartes dans l’enveloppe nécessite un travail manuel, ça nous coûte plus cher, mais on trouvait important de produire un jeu qui nous ressemblait. Finalement, c’est peut-être parce que l’on fait les choses de façon différente que l’on se fait une petite place.»
Installé à Forest, Byr Games revendique également cette authenticité dans sa ligne de conduite. Dégoûté par les exigences des éditeurs classiques au moment de sortir son jeu «The Belgian Beers Race» en 2021, Michaël Boutriaux a décidé de créer sa propre maison d’édition avec Stéphane Hemberg. Depuis, le duo décide seul des produits qu’il édite et des méthodes de fabrication, qu’il veut les plus vertes possibles. Mais il devra tôt ou tard faire un choix d’orientation. «Soit on envisage de vivre une expérience éphémère, soit on s’accroche, on multiplie les pubs et les présences en festival et on traque l’originalité, plaide Stéphane Hemberg. Vu le nombre de sorties, la priorité est de se démarquer des mécaniques et thématiques déjà existantes. Ce n’est qu’ ensuite que l’on peut envisager de convaincre le client de l’intérêt d’acheter un jeu fabriqué en Europe plutôt qu’en Chine.»
La deuxième vie
Entamé il y a plusieurs années, le développement du marché de la seconde main se poursuit dans le monde du board game via les échanges sur les réseaux sociaux ou la revente sur des sites comme Okkazeo. «Le jeu est moins personnel et détériorable que le vêtement et moins fragile que le vinyle. Ça le rend donc plus facilement réutilisable», glisse Stéphane Hemberg.
A Rochefort, le magasin La poule aux jeux d’or organise depuis mi-septembre le «pouly-troc», permettant à chaque client d’apporter un jeu complet et en bon état. S’il figure dans la gamme qu’elle propose, la gérante Anne-Cé Paul remet ensuite une offre de prix en bon d’achat. «Je voulais me diversifier et faire autre chose qu’achalander, précise-t-elle. Puis ça donne l’occasion à plus de monde d’accéder au bonheur procuré par le jeu.» Les titres repris sont disséminés dans les étagères, simplement affublés d’une étiquette discrète. Avec les neufs, donc. «Je ne voulais pas faire une brocante, insiste la gérante. Le prix de vente et d’achat est peut-être moins intéressant que par une autre filière, mais en tant que professionnel, on consacre autant de temps à donner des explications que pour un jeu neuf.»
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