Witsel, Hazard ou Deman: Tedesco a déjà changé les Diables
Domenico Tedesco n’aura pas attendu très longtemps pour imposer sa griffe, faite de jeu vertical et de bloc collectif. Quitte à froisser quelques susceptibilités.
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Des vestiaires exigus et austères de provinciales aux pièces ovales et luxueuses où se changent les joueurs de l’élite mondiale, le football a des lois immuables. La réunion de crise est l’une d’elles. Un groupe rassemblé derrière une porte fermée et un tour de parole exhaustif pour une catharsis souvent saluée comme salvatrice quand le résultat qui la suit est positif. Parfois, les footballeurs ressentent le besoin de «se dire les choses». Des mots qui peuvent faire mal, mais doivent servir de sparadrap. La presse régionale déborde de ces réunions caricaturales et de leurs débouchés heureux. A certaines occasions, c’est la scène mondiale qui se laisse contaminer.
Le Cercle, où joue le surprenant Olivier Deman, propose le jeu le plus intense de Belgique.
Battue par le Maroc lors de son deuxième match au Qatar, la sélection diabolique se réunit. Le match nul et vierge contre la Croatie ne suffira pas à éviter l’affront d’un retour précoce à la maison, mais sera autant une source d’améliorations que de regrets. «On dit toujours qu’avec des si, on peut refaire le monde, confie Axel Witsel. Mais là, si on avait fait cette réunion un peu plus tôt, ça aurait été bénéfique pour le groupe, et on aurait peut-être eu un autre résultat contre le Maroc.»
Le problème, paradoxal, c’est que l’entame fébrile contre le Canada s’est néanmoins conclue par trois points. Et que, comme l’explique Thibaut Courtois: «Une discussion de groupe, ça survient toujours après une défaite. Avant, ça n’avait pas été nécessaire.» Le résultat est le meilleur des médicaments face à la crise de foi. Quand les points vont chez l’adversaire, par contre, il ne reste plus beaucoup de choses en lesquelles croire. C’est ainsi que se terminent les cycles. Ainsi que démarrent les révolutions.
Tedesco vers une Belgique de concepts
Le cas de Roberto Martinez n’aura même pas nécessité de réunion. Dans la foulée du partage fatal contre la Croatie, le Catalan met lui-même un terme à ses six années de mandat. La conclusion aurait-elle été identique avec un Romelu Lukaku en forme dès le début du tournoi, lui qui a offert à la Belgique plus d’occasions en 45 minutes que l’ensemble de la nation lors des 225 précédentes?
«Avec des si, on peut refaire le monde», dirait Axel Witsel. La fin de l’histoire de la Belgique de Martinez s’est pourtant longtemps écrite au conditionnel. Une demi-finale de Ligue des nations contre la France d’abord sublime, ensuite cauchemardesque, finalement jouée au centimètre avec l’intervention de la VAR. Quelques mois plus tôt, un Euro quitté dès les quarts de finale, avec l’impression d’un jeu collectif dépassé couplée à la réalité d’un Kevin De Bruyne éclopé et d’un Eden Hazard blessé. Trop d’aléas pour une équipe qui, aux dires de Roberto Martinez à la fin de l’année 2021, «peut compter sur des talents individuels d’un très haut niveau et ne doit pas se baser sur des concepts, comme c’est inévitablement le cas quand on ne peut pas compter sur de tels talents.»
Epoumonée mais gagnante contre le Danemark en phase de poules, soufflée par l’Italie en quarts de finale, encore démantelée par des Pays-Bas rajeunis en Ligue des nations, la vieillissante Belgique est à la peine dans un football de sélections qui est passé à l’ère du pressing. Chaque adversaire impose désormais des courses à haute intensité, que ce soit en contre-attaque ou en prenant les Diables à la gorge dès les premières passes de leur relance. Au complet, les Belges peuvent encore rivaliser, mais chaque absence offensive de marque est un handicap gigantesque. L’échec qatari laisse place à la reconstruction, et la retraite internationale d’Eden Hazard est l’occasion de rebattre les cartes sur la phase sans ballon. Domenico Tedesco hérite d’un chantier, mais aussi de la possibilité de changer une équipe qui recommence à se poser des questions.
Axel, Eden et l’énergie
Homme clé de la possession belge lors de ses plus belles heures, le désormais ancien joueur du Real Madrid était devenu un obstacle majeur à la mise en place d’une Belgique compacte en perte de balle. C’est cette équipe déstructurée que Domenico Tedesco pointe d’emblée du doigt, devant la task force mise en place par la Fédération, à l’heure de situer les problèmes majeurs rencontrés par les Diables au Qatar. D’ailleurs, contrairement à son insistance pour convaincre Toby Alderweireld de poursuivre sa carrière internationale, l’Italo-Allemand n’a jamais couru après Eden Hazard depuis son entrée en fonction. Une manière de valider indirectement les propos de Thomas Meunier, interrogé dans la presse francophone sur l’hypothèse d’une retraite internationale et signalant que «la plupart des joueurs (NDLR: qui ont mis un terme à leur carrière internationale) ont sans doute voulu quitter d’eux-mêmes la sélection pour ne pas perdre cette étiquette, peut-être un peu par fierté, de joueur important. Ils ont voulu sortir par la grande porte avant qu’on les mette de côté.»
Egalement submergé par l’intensité sur les pelouses qataries, Axel Witsel, régulateur du milieu de terrain des Diables depuis une décennie, s’est retrouvé écarté de la première liste du nouveau sélectionneur au mois de mars dernier. Au cœur du jeu, Domenico Tedesco lui préfère les profils plus dynamiques d’Amadou Onana et surtout Orel Mangala, l’une des révélations du rassemblement du début du printemps. Le signal d’une Belgique au football plus vertical, validée par les chiffres d’une possession qui finissait par ronronner ces dernières années. Au Qatar, plus de la moitié des phases de possession des Diables Rouges (52%) duraient plus de dix secondes. Face à la Suède puis en Allemagne, ce sont les possessions de moins de dix secondes qui sont devenues majoritaires (58%). Un changement de style radical incarné par le nouveau rôle en vue de Dodi Lukebakio, profil rapide et percutant capable de faire souffrir de nombreuses défenses sur les phases de transitions.
«Contre la Suède ou l’Allemagne, on a vu que les jeunes pressaient haut, confirme Thibaut Courtois. Ils courent parce qu’ils ont encore toute cette énergie. C’est toujours une histoire de cycles. Un cycle s’est terminé et on en a entamé un nouveau.» Le dernier rempart du Real Madrid s’imagine bien faire partie jusqu’en 2026 de cette nouvelle aventure qui lui paraît prometteuse, lui qui avait déjà confié par le passé qu’il ne continuerait pas avec les Diables s’il n’y voyait plus la perspective de jouer un rôle majeur dans le money time des grands tournois. Les premiers pas de l’ère Tedesco et l’appétit affiché par les nouvelles têtes – bien que tous, à l’exception de Johan Bakayoko, connaissaient déjà le groupe pour avoir été sélectionnés par Roberto Martinez dans le passé – ont vraisemblablement fini de le convaincre.
Vétéran du groupe et doyen du nombre de sélections sous la tunique diabolique, Jan Vertonghen confirme un changement de paradigme dans le jeu belge. «Je pense que notre équipe avait déjà beaucoup de talent, mais l’accent était mis sur le talent individuel, avoue le capitaine d’Anderlecht dans Het Laatste Nieuws. Ici, on essaie de mettre la pression en tant que collectif. L’accent est désormais mis sur l’équipe.»
Peut-être parce que la plus magnétique des individualités nationales a rangé les crampons dans la foulée du Mondial.
Deman, double symbole
Entre continuation de la mise en pratique de ses idées de jeu et poursuite de sa revue des troupes, Domenico Tedesco a surpris en rouvrant la porte diabolique à Hans Vanaken et Michy Batshuayi – écartés en mars – et, surtout, en offrant une première sélection à Olivier Deman. Ni ses sept apparitions chez les Diablotins (NDLR: la sélection belge espoirs, réservée aux joueurs de moins de 21 ans) ni ses trois mille minutes de jeu pour le compte du confidentiel Cercle de Bruges cette saison n’avaient suffi à sortir de l’ombre celui qui s’apprête à découvrir le groupe belge.
Là aussi, les mots du sélectionneur pour justifier sa présence dans le groupe de 24 témoignent du changement de style désiré par l’Italo-Allemand: «Il évolue à une position intéressante (NDLR: il arpente tout le flanc gauche devant une défense à trois). Pour le dernier match, il était remplaçant, il était bon qu’il souffle un peu alors que je savais que j’allais le sélectionner. J’ai observé son échauffement et en quinze minutes, il a multiplié les sprints. C’est le signe d’une très bonne mentalité.» Impressionnant dans la répétition des efforts, Olivier Deman est devenu un joueur clé du Cercle lors d’une saison amplement réussie et conclue à la sixième place. Surtout, l’autre équipe de Bruges affiche des données de pressing qui la placent sur le podium des équipes les plus agressives du Top 8 européen à l’heure de récupérer le ballon. A ce titre, Deman est presque un porte-drapeau. Un témoignage que les idées prônées par le Cercle séduisent le sélectionneur. Le coach des Vert et Noir, Miron Muslic, est bosnien mais a grandi en Autriche, un pays à la source des nouvelles tendances footballistiques du pressing très intense.
Au-delà de son profil technique, Olivier Deman est également le symbole d’un championnat belge qui fait son retour en force au sein de la sélection. En mars, seuls les Anderlechtois Jan Vertonghen et Zeno Debast faisaient partie de la liste, malgré la saison décevante de leur club. Trois mois plus tard, alors que le jeune Debast n’est pas dans les 24 en raison de sa sélection pour l’Euro des espoirs disputé en parallèle en Géorgie, la Pro League compte cinq représentants au sein du groupe dévoilé par Domenico Tedesco: Deman, donc, mais aussi le gardien du Standard Arnaud Bodart, le double Soulier d’or Hans Vanaken, l’éternel Jan Vertonghen et le créatif Mike Trésor, récemment élu meilleur joueur de la saison belge par ses pairs. En mars, son absence de la liste malgré un total exceptionnel de passes décisives avait fait fulminer Genk, son club. «Sélectionner systématiquement des Diables de l’étranger est un mauvais signal pour la Pro League. S’il faut quitter la Belgique pour avoir une chance d’être repris en équipe nationale, ce n’est pas bon pour nos clubs», a encore récemment déclaré Peter Croonen, le président des Limbourgeois, dans une interview accordée à la RTBF.
Si l’opération planifiée de Leandro Trossard, ancien de Genk aujourd’hui à Arsenal, est probablement la justification principale du changement de posture de Domenico Tedesco quant à une sélection de Trésor, la pommade semble désormais passée. Parce que même les révolutions peuvent parfois se faire en douceur.
La liste de Domenico Tedesco
Gardiens: Arnaud Bodart (Standard), Thibaut Courtois (Real Madrid, Esp), Thomas Kaminski (Blackburn, Eng), Matz Sels (Strasbourg, Fra)
Défenseurs: Ameen Al-Dakhil (Burnley, Eng), Sebastiaan Bornauw (Wolfsburg, All), Wout Faes (Leicester, Eng), Arthur Theate (Stade Rennais, Fra), Jan Vertonghen (Anderlecht)
Milieux de terrain: Leander Dendoncker (Aston Villa, Eng), Orel Mangala (Nottingham, Eng), Youri Tielemans (Aston Villa, Eng), Mike Trésor (Genk), Hans Vanaken (Club Bruges), Aster Vranckx (AC Milan, Ita)
Joueurs de flanc: Johan Bakayoko (PSV Eindhoven, P-B), Yannick Carrasco (Atlético de Madrid, Esp), Timothy Castagne (Leicester, Eng), Olivier Deman (Cercle Bruges), Jérémy Doku (Stade Rennais, Fra), Dodi Lukebakio (Hertha Berlin, All), Alexis Saelemaekers (AC Milan, Ita)
Attaquants: Michy Batshuayi (Fenerbahçe, Tur), Romelu Lukaku (Inter, Ita), Loïs Openda (RC Lens, Fra)
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