Wallace et Gromit voient grand !

Louis Danvers Journaliste cinéma

(1) Ces trois perles d’humour et de charme visuel sont réunies sur un indispensable DVD, intitulé Les Incroyables Aventures de Wallace et Gromit.

De notre envoyé spécial à Bristol

Il en a fait du chemin, le petit gars de Bristol ! Celui dont l’anniversaire tombe le jour de la Saint-Nicolas, et qui aura 47 ans le 6 décembre prochain, a quelque peu mûri, a pris aussi quelques kilos, et acquis une facilité d’expression qui lui faisait défaut dans ses jeunes années. Mais Nick Park a conservé cette allure juvénile et presque enfantine de passionné timide, d’artiste et bricoleur de génie, de rêveur éveillé auquel le succès et l’aisance financière n’ont pas enlevé sa spontanéité ni sa faculté û communicative û d’émerveillement. Le créateur des épatants Wallace et Gromit, héros de pâte à modeler dont les aventures animées réjouissent petits et grands spectateurs, s’était fait connaître en réalisant les animations inventives du clip vidéo de Sledgehammer, la chanson de Peter Gabriel, en 1987. Quatre ans plus tard, son premier court-métrage mettant en scène Wallace, le vieux garçon anglais, et son chien philosophe Gromit fut nominé à l’oscar du meilleur court d’animation. Wallace and Gromit : a Grand Day Out (réalisé en 1989) ne gagna pas, mais les deux films suivants, Wallace and Gromit : the Wrong Trousers et Wallace and Gromit : a Close Shave, remportèrent la prestigieuse statuette, respectivement en 1994 et en 1996 (1). Les deux héros de plasticine avaient consacré dans le monde entier le talent ayant germé dans le studio Aardman de Bristol, lequel ne tarda point à signer un bon et bel accord de partenariat avec la compagnie hollywoodienne Dreamworks, création de Steven Spielberg, David Geffen et Jeffrey Katzenberg, ex-responsable de l’animation chez Disney. Chicken Run, coréalisé par Nick Park et son compère Peter Lord en 2000, fut le premier long-métrage né de cette collaboration. Mais Park rêvait surtout d’offrir un grand film à ses amis Wallace et Gromit. C’est désormais chose faite, et Wallace and Gromit : the Curse of the Were-Rabbit (coréalisé avec Steve Box) sortira chez nous le 19 octobre prochain…

Sus au lapin-garou !

Nous étions l’autre jour dans les studios Aardman où s’achevait presque le tournage de cette  » malédiction du lapin-garou « , par référence au loup-garou des vieux films d’épouvante auxquels Park et son complice ont emprunté quelques idées et ambiances pour les détourner comiquement.  » Dans le scénario, expliquait l’aimable Nick lors d’une pause, Wallace et Gromit exercent le métier de dératiseurs dans une petite bourgade rurale où sévit un animal mystérieux, dévorant les légumes amoureusement cultivés par les habitants…  » Et de nous emmener visiter les nombreux plateaux et décors (32 au total !) servant à la mise en £uvre, aussi précise et inspirée que lente et fastidieuse, d’un film dont les chiffres donnent le vertige. En effet, 300 lapins, 10 000 légumes, plus de 30 têtes et autant de paires de mains par semaine rien que pour les deux personnages principaux auront été utilisés par les quelque 260 artistes, artisans et techniciens employés sur le tournage…

Devant et autour de chaque décor, les animateurs placent les protagonistes en pâte à modeler, qu’ils filment ensuite image après image (24 pour faire une seconde de film !), en modifiant entre chaque  » clic  » tantôt la position des membres, tantôt l’expression des yeux ou la forme de la bouche, pour donner l’illusion du mouvement, des sentiments, de la parole.  » Les marques de fabrique de Aardman, ce sont les yeux rapprochés et les grandes bouches… sauf pour Gromit qui n’en a pas, de bouche… « , explique Nick Park avec un clin d’£il.  » Ici, poursuit-il, chaque animateur est aussi acteur, car c’est lui qui fait  » jouer  » le personnage. Le film étant, par ailleurs, à mes yeux, un vrai film d’action en miniature.  »

Si les références du long-métrage se situent en partie du côté du cinéma d’horreur, rien de bien terrible n’y arrivera, le spectacle étant destiné à un public familial où l’enfant comme l’adulte se voient offrir du plaisir avant toute chose. Un plaisir d’autant plus grand que The Curse of the Were-Rabbit s’inscrit dans la tradition du cinéma d’animation  » fait main « .  » Il n’y aura pas plus de 3 à 4 % d’images de synthèse, précise Park, et les plus attentifs des spectateurs pourront remarquer à l’un ou l’autre endroit des empreintes de pouce des animateurs sur la pâte à modeler… Nous avons délibérément choisi de donner à ce film un aspect moins fini, moins brillant en surface, que Chicken Run.  »

Il aura fallu plus de trois ans de travail, dont neuf mois d’écriture, pour mener à bien la nouvelle entreprise du studio britannique. Un stade crucial fut celui des tests de voix, avant même que les acteurs envisagés soient prévenus !  » Nous avons animé quelques scènes en utilisant des extraits de dialogues appartenant à d’autres films, explique Nick Park, pour voir et entendre si nos choix de départ convenaient. Une fois ces essais réalisés et déclarés convaincants par l’équipe, nous avons demandé aux comédiens s’ils voulaient bien nous rejoindre…  » C’est ainsi que des interprètes célèbres comme Ralph Fiennes et Helena Bonham-Carter se sont retrouvés embarqués dans l’entreprise, le premier jouant les aristocrates  » pompeux et pompant « , la seconde incarnant une riche lady à la coiffure inquiétante mais au c£ur d’or.

De vieux compagnons

Park ne masque pas l’immense tendresse que lui inspirent Wallace et Gromit, compagnons d’une petite vingtaine d’années déjà.  » Ces deux-là sont des amis que je chéris comme s’ils étaient réels « , confie le réalisateur avant de reposer sa tasse de thé, retourner au travail et achever la journée de tournage.  » Ils ont évolué dans le passé, ils évoluent encore dans le long-métrage, poursuit-il : une évolution physique dont je suis certain que les plus attentifs des spectateurs découvriront les détails. Parfois, Wallace et Gromit me surprennent, ils résistent à une idée que j’ai, ou alors ils me font comprendre que telle ou telle autre idée leur irait tellement mieux. Des romanciers, et non des moindres, ont fait cette expérience avant moi, de constater à quel point certains personnages que l’on a créés manifestent comme une existence propre, et se mêlent du processus dont on est l’auteur. Moi, il arrive que je perçoive dans le regard de Gromit comme un doute, une consternation amusée. Je me sens alors comme doit se sentir Wallace quand son chien, bien plus malin que lui, désapprouve une idée un peu trop bête qui lui est passée par la tête. Dans ces cas-là, je n’insiste pas, je fais mon autocritique. Pourtant, Gromit n’est fait que de plasticine…  »

Louis Danvers

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