Voodoo child

Philippe Cornet Journaliste musique

Le beau livre photo de Gaël Turine voyage entre Afrique, Haïti et Amérique, pour témoigner à chaud, dans un noir et blanc humide, d’une transe appelée vaudou.

3 Dans la salle de bains de la maison d’Ixelles de Gaël, un agrandissement rappelle les années passées à constituer Voodoo, chic bouquin sur ce rite puissant et magique qui dope les fantasmes occidentaux. L’image saisit des corps de femmes voluptueuses dans l’effervescence d’une spectaculaire cascade. C’est tout juste si on n’entend pas le bruissement infernal de l’eau fondu aux cris de jouissance. On est sur les hauteurs de Ville-Bonheur, au site de Saut d’Eau, autrement dit, au milieu du nulle part haïtien, mais en plein c£ur de cette croyance venue d’Afrique, essaimée dans les mystères de l’île meurtrie des Caraïbes :  » En 2005, j’ai découvert le vaudou en accompagnant un ami photographe qui allait sur les pèlerinages du genre et j’ai pris quelques rouleaux : Le Vif/L’Express et Knack ont publié des pages. Je me suis alors rendu compte de mon désir d’aller en amont de cette quête identitaire où l’objet même de la cérémonie de la transe est d’être chevauché par un esprit qui va emplir le vaudouisant de messages des ancêtres.  »

Grâce à une généreuse bourse de la Fondation de la vocation, Gaël remonte le courant, visite d’abord Haïti – pile majeure de l’énergie vaudoue – puis repart de l’origine, Bénin et Sénégal, pour aboutir à la migration extrême que sont les Etats-Unis version haïtienne, en Floride notamment. Témoin blanc dans un sujet ô combien noir, il doit discuter, négocier pour, in fine, pouvoir prendre des photos. Le diplômé de l’école bruxelloise du 75 assouvit ses propres obsessions, restant à l’écart du numérique, pour consacrer  » entre 450 et 500 films, et huit voyages  » à cette exploration transie. C’est évidemment moins une question de statistiques que d’immersion, le professionnel laissant parfois ses boîtiers Leica au repos pour simplement humer l’expérience mystique, lui qui se certifie  » athée « . Au fil des 198 clichés sélectionnés – ponctués de 6 images couleurs – le culte se précise : visages possédés, élégance de la croyance, potions et serpents, corps visités par un esprit qui n’annonce jamais sa couleur. Au propre comme au figuré, certaines images, telle celle de la femme dénudée de la page 105, amènent dans la zone brûlante des incertitudes glorieuses.

On peut vivre le bouquin de Turine – tiré à 2 500 copies – comme un roman photo exotique, mais il est plus juste de le regarder à la manière d’un miroir plus ou moins déformant de nos (in)certitudes spirituelles. Elevé par des parents cinéastes/littéraires/radiophoniques, le Bruxellois à gueule romantique n’a jamais oublié l’année de break de la famille aux Comores :  » On est parti à quatre, avec mon frère. J’avais 8 ans et je me retrouvais sur cette île grande comme Bruxelles dans l’océan Indien, je pense que c’est à ce moment-là que j’ai eu la volonté de découvrir le monde par moi-même.  » Du coup, à 38 ans, ce père de trois enfants, justifie pleinement ses mérites de  » photodocumentariste « . Le mot n’est pas terrible, les photos, si.

Voodoo, 224 pages, aux éditions Lannoo.

PHILIPPE CORNET

UN MIROIR PLUS OU MOINS DÉFORMANT DE NOS (IN)CERTITUDES SPIRITUELLES

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