VOLKSWAGEN, quelle histoire !

Rien ne va plus pour le géant automobile, coupable d’avoir truqué les émissions polluantes de ses moteurs Diesel. Retour sur l’incroyable saga de cette entreprise phare du made in Germany. Un symbole de la domination économique et technologique du pays, dont la légende a survécu à plus d’une sortie de route.

« Volkswagen, c’est l’Allemagne ! Volkswagen, c’est nous tous !  » Ce cri du coeur, lâché par un économiste sur le plateau de la chaîne de télévision ARD, donne la mesure de cette étonnante symbiose. Coupable de tricherie sur ses moteurs Diesel, Volkswagen vacille, et c’est toute l’Allemagne qui est ébranlée. Car, outre-Rhin, le géant de Wolfsburg est bien plus que la première entreprise nationale et le n° 1 mondial de l’automobile, fort de 600 000 employés, 12 marques et 202 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Il incarne avant tout l’image flatteuse que le pays adore voir dans son miroir : celle de sa puissance économique, de sa supériorité technologique, de son fameux modèle social. L’image, aussi, d’une résilience d’acier forgée au fil des décennies et des épreuves.

L’ombre du IIIe Reich pèse sur la naissance de Volkswagen. Le 7 mars 1934, le chancelier Adolf Hitler visite la 24e Exposition automobile internationale de Berlin. Le Führer dévoile sa nouvelle marotte : il veut un véhicule populaire capable de convoyer une famille à 100 kilomètres/heure, le tout pour moins de 1 000 Reichsmark, soit six mois de salaire d’un ouvrier. Une  » Volkswagen « , une  » voiture du peuple « . Ce pari fou, c’est l’ingénieur Ferdinand Porsche qui est chargé de le relever. S’inspire-t-il des travaux d’un mécanicien juif de génie, le jeune Josef Ganz, jeté en prison un an plus tôt ? Les formes rondes de la Standard Superior, dessinée par celui-ci, ont beau évoquer irrésistiblement la future Coccinelle, jamais Ganz ne parviendra à prouver le plagiat…

Le 26 mai 1938, Hitler pose la première pierre de la nouvelle ville atelier, près du château de Wolfsburg, dans l’actuel Land de Basse-Saxe. Elle est baptisée  » KdF-Stadt « , Kraft durch Freude, la  » force par la joie « , du nom de l’organisation qui régente les loisirs de l’Allemagne nazie. Mais les clients ne verront jamais le volant des autos commandées. Effort de guerre oblige, l’usine doit se reconvertir dans l’armement. Des chaînes de KdF, sur lesquelles triment 20 000 travailleurs forcés, prisonniers de guerre et déportés, sortent deux véhicules dessinés par Ferdinand Porsche, la voiture militaire Kübelwagen et sa cousine amphibie, la Schwimmwagen, ainsi que des missiles V1, des chars, des munitions et des moteurs d’avion.

Après la défaite de 1945, la ville, désormais appelée Wolfsburg, tombe aux mains des Britanniques, bien décidés à piller ses équipements industriels au nom des réparations de guerre. Cependant un major de 29 ans, Ivan Hirst, ingénieur dans le civil, découvre un prototype de Coccinelle au fond d’une remise et persuade ses supérieurs de relancer la production. En 1946, 1 000 exemplaires sont livrés au personnel de la zone d’occupation britannique.

 » L’emblème du miracle économique allemand  »

En 1949, lorsque les administrateurs de Sa Majesté veulent céder les lieux, aucun repreneur ne se porte volontaire. Selon un rapport d’expertise, la voiture made in Germany, avec son moteur à l’arrière, est  » bruyante et laide « . En désespoir de cause, les clés de l’entreprise sont confiées à la région de Basse-Saxe. Les cassandres du marketing en sont pour leurs frais : la Coccinelle, simple et robuste, fait un malheur. En 1950, Wolfsburg franchit la barre des 100 000 modèles produits. Celle du million d’unités, trois ans plus tard. Au début des années 1950, la gamme s’élargit au  » combi  » Volkswagen, future icône du mouvement hippie. Des usines siglées  » VW  » sortent de terre un peu partout, de l’Allemagne au Brésil, en passant par le Mexique.

En 1960, l’entreprise, florissante, est privatisée. La Basse-Saxe conserve 20 % des parts. Et s’octroie, au passage, un droit de veto sur toutes les décisions majeures, moyennant l’adoption d’une  » loi Volkswagen « , qui interdit à tout actionnaire, quel que soit le montant de sa participation, de contrôler plus de… 20 % des votes. Cinquante-cinq ans plus tard, cette disposition est toujours en vigueur, malgré les efforts de la Commission européenne pour obtenir son abrogation au nom de la libre circulation des capitaux.

La Coccinelle n’est plus une simple voiture.  » Elle est devenue l’emblème du Wirtschaftswunder, le miracle économique allemand « , rappelle Hervé Joly, historien et sociologue. Mieux : c’est une star. En 1968, les studios Disney en font la vedette du film The Love Bug (Un amour de Coccinelle), premier d’une série de sept longs-métrages. L’année suivante, le chanteur brésilien Gilberto Gil fredonne une ode à celle que possédait son père, Volks-Volkswagen Blue. Une Coccinelle bleue, comme celle que conduisait le jeune et fringant lieutenant Mouammar Kadhafi, aux grandes heures de sa révolution panarabe de 1969. Quarante ans plus tard, pour le 40e anniversaire de la Jamahiriya libyenne, une  » Cocci  » géante gonflable glisse sur la scène où se rejouent les hauts faits de l’épopée kadhafienne.

Mais l’emblématique créature de Ferdinand Porsche s’essouffle. On ne lui pardonne plus sa tenue de route aléatoire et son habitacle inconfortable. Les ventes reculent d’année en année, et les nouveaux modèles développés par l’entreprise n’arrivent pas à l’essieu de la mythique Coccinelle. Heureusement, le constructeur bavarois Audi et ses ingénieurs sont tombés, en 1964, dans l’escarcelle de Volkswagen. En s’appuyant sur leur savoir-faire, le groupe de Wolfsburg renouvelle sa gamme de voitures : il lance la Passat en 1973, puis la Golf, un an plus tard. Avec celle-ci, la firme a trouvé sa nouvelle poule aux oeufs d’or. Deux ans et demi plus tard, elle célèbre déjà son millionième exemplaire, paré de peinture dorée pour l’occasion.

Au nez et à la barbe de ses concurrents, VW met une roue en Chine, où le groupe noue, dès 1982, des accords de production avec une société de Shanghai. Trois ans plus tard, il inaugure sa première usine à Anting. En 1986, le constructeur espagnol Seat passe sous pavillon VW, suivi par le tchèque Skoda. L’allemand a-t-il eu les yeux plus gros que le ventre ? Au début de 1993, alors que la récession frappe l’Europe, rien ne va plus à Wolfsburg. La productivité est en berne, les bénéfices, aussi.

Le salut viendra du nouveau patron de Volkswagen : l’austère Ferdinand Piëch (petit-fils de Ferdinand Porsche), issu de la filiale Audi. L’ingénieur autrichien savoure sa revanche. Voilà trois décennies que ce surdoué de la mécanique est en guerre contre ses cousins Porsche. En 1931, avant de se lancer dans l’aventure Volkswagen, leur grand-père avait fondé une société de construction de voitures de sport, à laquelle il avait donné son propre nom, Porsche. Jusqu’en 1972, Piëch a travaillé avec ses quatre cousins dans l’entreprise familiale de Stuttgart. Evincé cette année-là, il a refait sa vie et sa carrière chez Audi, dont il a fini par prendre les commandes. Son bonheur sera complet en 2012, lorsque VW vassalisera Porsche.

 » Sa superbe lui a fait tourner la tête  »

En 1993, l’ordonnance rédigée par le Dr Piëch est sévère : suppressions de postes, refonte de l’organigramme, réorganisation de la production.  » A Wolfsburg, ils m’attendaient avec un fusil, mais je ne leur ai pas laissé le temps de tirer « , dira-t-il plus tard. Pour limiter la casse sociale en Allemagne, il met en place la semaine de quatre jours avec le soutien d’IG Metall, le puissant syndicat des métallos : 28,8 heures de travail hebdomadaire et des salaires un peu réduits, mais pas trop. VW repart à l’assaut des marchés mondiaux.

 » Le parcours remarquable de Volkswagen, depuis ces années-là, a installé l’entreprise dans une superbe qui lui a fait tourner la tête « , observe l’économiste Bernard Jullien, spécialiste de l’automobile. Les ventes et le chiffre d’affaires s’envolent. Comme les primes versées chaque année aux salariés. Le géant VW avale les berlines de Bentley, les bolides de Bugatti et de Lamborghini, les camions de Scania et les motos de Ducatti. Un gigantesque parc d’attractions à la gloire du groupe, Autostadt, ouvre ses portes à Wolfsburg – c’est aujourd’hui le deuxième site le plus visité du pays.

Pourtant, quelques affaires embarrassantes pour Volkswagen défraient la chronique : la démission de l’un des dirigeants, accusé d’avoir dérobé des secrets industriels à son ancien employeur, l’américain General Motors, pour en faire bénéficier VW ; les salaires indûment versés à six députés ; le détournement de fonds orchestré par deux cadres dirigeants ; les parties fines, voyages et cadeaux offerts aux syndicalistes du conseil d’entreprise – l’entité qui codirige le groupe dans la pure tradition allemande de cogestion. Cette scabreuse affaire coûtera son poste au directeur des ressources humaines du groupe, Peter Hartz, célèbre outre-Rhin pour avoir élaboré les douloureuses réformes sociales mises en oeuvre par son ami le chancelier Gerhard Schröder.

 » Comme ces scandales en cascade l’ont montré, Volkswagen souffre d’une insuffisance de contrôles internes, analyse Ferdinand Dudenhöffer, professeur à l’université de Duisburg et expert du secteur. Notamment parce que le conseil de surveillance et la direction sont dominés par les représentants syndicaux, qui y font la pluie et le beau temps.  »

La série noire n’est pas terminée. En ce mois de septembre 2015, le constructeur de Wolfsburg a dû reconnaître qu’il avait truqué les tests antipollution de ses véhicules Diesel aux Etats-Unis, grâce à un logiciel caché dans leurs moteurs. Et voilà que le groupe est rattrapé par son histoire au Brésil, où il est accusé de collaboration avec l’implacable dictature militaire, au pouvoir de 1964 à 1985. Le 22 septembre, le Forum des travailleurs pour la vérité, la justice et la réparation, épaulé par des syndicats, des avocats et des militants des droits de l’homme, a déposé une plainte contre VW. Celle-ci mentionne 12 salariés arrêtés et soumis à la torture dans l’usine de São Bernardo do Campo, près de São Paulo, ainsi que plusieurs dizaines d’ouvriers placés sur liste noire.  » Il est pourtant facile de ne pas se tromper « , affirmait la publicité pour la Golf GTI en 1976…

Par Vincent Hugeux et Anne Vidalie

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