Vertiges de l’amour
Les heurs et malheurs du mariage et de ses protagonistes sous le scalpel incisif d’Alice Ferney.
Cherchez la femme, par Alice Ferney. Actes Sud, 558 p.
Alice Ferney aurait pu titrer son neuvième roman » Cherchez la mère « , mais elle a opté pour Cherchez la femme. Va pour ce dernier. Pourtant, ce sont bien les mères qui ont le premier rôle dans ces histoires de couples. Des mères, présentes ou absentes, qui aiment trop ou pas assez, en tout cas mal. Dès le premier chapitre, intitulé » Fils de Nina « , les cartes sont sur la table. Serge aurait pu être le fils de Vladimir ou le futur mari de Marianne, mais il est surtout (et avant tout) le fils de Nina. C’est à travers ce prisme de la mère tentaculaire, autoritaire et possessive qu’à 51 ans l’auteure de La Conversation amoureuse (beau succès de librairie) nous conte, sans fleurette, l’union orageuse de Serge et Marianne, et celles de leurs parents respectifs. Le tout dans un roman foisonnant, tour à tour exaltant et épuisant, ressassant mille fois les événements, volontiers répétitif… à l’instar des mariages au long cours. Alice Ferney, c’est l’anti-Yasmina Reza. Là où la seconde met en pièces le couple en quelques pages, la première prend son temps, auscultant, comme dans une enquête de proximité, à la loupe et avec une impressionnante lucidité, les mécanismes de l’amour et de sa déroute. On est capté, happé par cette chronique des désamours annoncés, au terme de laquelle quatre leçons (ou constats) s’imposent, si l’on veut un tant soit peu tenter de sauver son union.
Leçon n° 1 : ne pas sous-estimer le déterminisme. » On ne se marie pas à deux, mais à six « , voire davantage. Serge, le normalien chef d’entreprise, n’est-il pas l’éternel fils prodige, porté au pinacle par des parents aveugles ? Nina, sa mère, fille et petite-fille de mineurs, mariée à 16 ans, désoeuvrée et velléitaire, est une femme de caractère qui façonnera son aîné à sa propre image, celle du paraître masquant l’être, de la séduction cachant le vide. Vladimir, l’ingénieur des mines, ne s’est jamais remis de la mort précoce de sa mère. Du lourd aussi du côté de la belle Marianne, brillante étudiante aux Beaux-Arts. Henri, le père, a depuis longtemps baissé les bras devant l’autoritarisme et la sévérité de Brune, sa femme perfectionniste, qui déterminera, à sa manière, le tempérament jusqu’au-boutiste de sa fille. Leçon n° 2 : se méfier de la réussite. Alice Ferney, diplômée de l’Essec et admiratrice de Voltaire et de Lewis Carroll, se montre des plus sévères à l’égard du succès de l’entreprise, très » in « , de Serge, ingénieur-conseil et conférencier, dont l’intelligence réside essentiellement dans la captation du savoir des autres. Mais le pire est à venir : lorsque les sacs de Marianne, styliste de renom, commencent à se vendre comme des petits pains, » le maître est en colère « . Comment justifier alors l’inégalité de la répartition des tâches domestiques ? souffle la romancière, auteure d’une thèse sur la division du travail dans la famille.
Leçon n° 3 : parler, toujours. La conversation – pas forcément amoureuse – reste le maître mot d’Alice Ferney. Là encore, peu de progrès en ce XXIe siècle. Incapables de se confier, de dire les choses afin de ne pas laisser s’envenimer les situations et prospérer les malentendus, les héros de Cherchez la femme se réfugient dans des substituts : Nina boit, Vladimir rit, Henri travaille, Serge gagne de l’argent. Seule Marianne prend la parole, pose les bonnes questions, s’interroge…
Leçon n° 4 : faire des efforts… mesurés. Aucun des protagonistes de ces huis clos familiaux ne tente de comprendre l’autre, de se remettre en question. Là encore, Serge, immuable insatisfait ( » vouloir ce que l’on possède était une faveur du ciel que Serge n’avait pas reçue « ), se distingue par son indolence, tandis que Marianne, la pasionaria du mariage, bataille tambour battant. Trop peut-être. Y aura-t-il un vainqueur ? Réponse au-delà de la 500e page.
MARIANNE PAYOT
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