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Uni(a)s contre la haine

Joyce Azar Journaliste VRT-Flandreinfo et co-fondatrice de DaarDaar

 » On ne fait pas la paix avec ses amis, mais bien avec les personnes qui pensent différemment.  » A travers cette logique, Selahattin Koçak illustre une initiative qui en a surpris plus d’un : l’ancien échevin SP.A de Beringen, d’origine turque et de confession musulmane, a décidé de s’allier à Michael Freilich, rédacteur en chef du mensuel Joods Actueel, et représentant de la communauté juive de Flandre. Ensemble, les deux hommes veulent former un front contre la haine communautaire, plus particulièrement celle qui infeste la Toile. Leur mission : combattre les discours fielleux, en contrant les trolls sur le Net, ou en organisant des voyages en Israël et au Maroc. Freilich et Koçak partent de l’idée que  » Mohamed se laissera plus facilement réprimander par Youssouf que par Pierre « . Et que juifs et musulmans sont davantage unis que divisés.

Il y a quelques années pourtant, tout séparait les deux hommes. A commencer par leurs positions politico-religieuses. En 2011, une plainte pour diffamation avait même été déposée par l’ex-échevin, que le rédacteur en chef de Joods Actueel avait accusé d’antisémitisme et de négationnisme. Les deux protagonistes affichent aujourd’hui leur volonté de prouver qu’une réconciliation est possible. Même s’il faudra affronter des critiques de tous bords : dès l’annonce de cette union sacrée, Selahattin Koçak s’est fait traiter de  » Judas « . Certains de ses coreligionnaires considèrent, en effet, que Michael Freilich est un conservateur sioniste opposé à toute critique envers Israël. Koçak se défend :  » Si je dois avoir honte d’une collaboration avec quelqu’un que j’ai moi-même un jour médit, arrêtez dès lors de m’affirmer que les religions peuvent mener à la paix.  »

Michael Freilich aussi croit au projet. Dans les médias, il avance avoir déjà obtenu l’appui de la secrétaire d’Etat à l’Egalité des chances, Zuhal Demir (N-VA). Bart De Wever lui aurait pour sa part promis d’ouvrir les portes de son hôtel de ville lors du lancement du mouvement, en septembre prochain. Ce soutien politique n’a rien d’étonnant : à peine hissée à son poste de secrétaire d’Etat, Zuhal Demir s’en était directement pris à Unia (le Centre interfédéral pour l’égalité des chances et la lutte contre les discriminations), martelant que l’instance  » ne défend qu’un seul groupe cible, celui des personnes d’origine allochtone « . Demir ne faisait que suivre la ligne de la N-VA, qui prône une scission du centre. Le nouveau mouvement de lutte contre la haine, lancé par deux Flamands de surcroît, serait-il l’occasion idéale de mener à bien certaines ambitions politiques ? Michael Freilich ne s’en inquiète pas :  » Unia se concentre surtout sur le racisme envers les musulmans et juge l’antisémitisme comme non prioritaire. Heureusement, le politique cherche une solution « , affirme l’ancien candidat… à la direction d’Unia, dans De Zondag.

Entre stratégies politiciennes et instincts religieux primaires, la division plane. Et un morcellement des efforts serait contreproductif. D’après un récent rapport d’Unia, le nombre de dossiers concernant des messages haineux liés aux convictions religieuses est en hausse. Une unification des forces s’avère nécessaire pour faire front commun contre la haine, qu’elle soit de nature antisémite ou islamophobe. Pour que, comme le dit Michael Freilich, on ne fasse pas les mêmes erreurs que dans les années 1930. Pour que l’on puisse prouver que juifs et musulmans sont capables de s’entendre. Et pour que cette initiative salutaire ne fasse pas  » pschitt  » avant même d’avoir vu le jour.

Joyce Azar

 » Il y a quelques années pourtant, tout séparait les deux hommes. A commencer par leurs positions politico-religieuses  »

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