Une série en enfer
Neuf ans après le choc de Frères d’armes, The Pacific est la nouvelle fresque produite par Steven Spielberg et Tom Hanks sur les combats de la Seconde Guerre mondiale.
En 2001, une poignée de soldats du 506e régiment d’infanterie parachutée déferle sur les écrans. Des millions de téléspectateurs se vautrent avec eux dans la caillasse normande, rampent sous les obus allemands, pleurent leurs amis déchiquetés par la mitraille. Pour un peu, ils auraient mal. Dire que Frères d’armes [Band of Brothers] est une claque dans l’univers télévisuel serait une litote.
La série, produite pour 125 millions de dollars par Steven Spielberg et Tom Hanks, rafle six Emmy Awards et un Golden Globe. Que le duo envisage de creuser le sillon n’a donc rien d’étonnant. » Ce n’est pas la seule raison, c’est aussi parce qu’on a reçu énormément de courrier de vétérans de la guerre du Pacifique nous demandant de parler de leur expérience « , précise Steven Spielberg. Il réalise alors qu’il n’y a pas eu de bons films sur cette période. Rien qui détaille la terreur, la rudesse et la monotonie des combats sous les ciels brûlés du Pacifique. Il décide d’en faire une série. Avec des gamins innocents jetés dans un enfer de balles, de la boue à en vomir, de la crasse, de la pluie qui pourrit l’âme et du soleil qui calcine jusqu’à la folie. Hanks et Spielberg collent cinq scénaristes sur l’affaire. Titre : The Pacific. Budget : 200 millions de dollars. Mot d’ordre : authenticité.
Authentiques ? Pas de problème. Les auteurs achètent des pyramides de bouquins, visionnent des tonnes d’archives, cuisinent des vétérans, embauchent un conseiller historique et un ex-marine. Après moult cogitations et des nuits blanches à pelleter leurs notes, ils choisissent trois figures emblématiques de l’époque en guise de personnages principaux : Eugene Sledge, auteur d’une autobiographie, With the Old Breed, Robert Leckie, qui a écrit ses Mémoires, Helmet for My Pillow, et John Basilone, un héros toujours célébré aux Etats-Unis sur lequel se sont penchés cent biographes. » On voulait raconter une histoire universelle, avec des personnages pris dans un tourbillon émotionnel auquel chacun pourrait s’identifier et susceptible de faire comprendre ce que cela coûte d’être un soldat, psychologiquement parlant « , explique McKenna. Pendant que les scénaristes peaufinent le script, Hanks et Spielberg supervisent les castings, la responsable des costumes a des mots avec les 20 000 mètres carrés de tissus à transformer en vêtements divers, des types sculptent des montagnes de corail pour recréer l’atoll de Peleliu et passent de la roche noire au mixeur pour fabri-quer le sable des plages d’Iwo Jima. Le capitaine Dale Dye, lui, se frotte les mains : » Ils vont en baver ! » jubile-t-il.
Il a fait le Vietnam et Beyrouth, il a récolté trois Purple Hearts (médailles militaires) et chopé des crises de beuglantes en regardant des films de guerre. Le capitaine Dale Dye, ancien marine de la 1re division, n’aime pas les amateurs. » Ces films me mettent en rogne. Ces gens n’y connaissent rien « , aboie-t-il, l’£il glacial sous son étoupe de poils blancs. Enfin, ça, c’était avant qu’il s’en mêle. A l’heure de la retraite, en 1984, le capitaine est allé harceler les réalisateurs hollywoodiens sur l’air de » J’vais vous montrer ce que c’est un marine, laissez-moi entraîner vos gars, z’allez voir c’que z’allez voir ! » Ou quelque chose d’approchant.
Oliver Stone lui refourgue alors Johnny Depp, Forest Whitaker, Tom Berenger et Willem Dafoe. Pour voir. Il a vu. Depp & Cie sont revenus hagards de leur entraînement aux Philippines. » Plus jamais ça « , suppliaient-ils. C’était pour Platoon. Depuis, Dale Dye est devenu le consultant militaire le plus recherché de Los Angeles. Pour Frères d’armes, il a embarqué 50 acteurs américains et 35 japonais dans le bush australien. Dix jours. » Je les ai épuisés jusqu’à ce qu’ils m’obéissent sans discuter. Ils ont pleuré, ils ont crié. Rien à foutre. Les acteurs pensent qu’ils sont le nombril du monde, je leur apprends la solidarité : c’est ça, être un soldat. » Il a hurlé sur les scénaristes pendant la préparation, engueulé les comédiens au camp d’entraînement, braillé sur les metteurs en scène au cours du tournage. » Il a tout supervisé, il nous a été extrêmement précieux « , susurre Bruce McKenna, légèrement tremblant.
Un soir, Dale Dye nous a donné des sachets de soupe en nous disant qu’on avait cinq minutes. J’ai avalé la poudre telle quelle : à la guerre, on n’a pas le temps de manger. J’ai perdu 6 kilos en dix jours « , se souvient Joe Mazzello, qui joue le rôle d’Eugene Sledge. » A l’entraînement, on a été brisés physiquement et émotionnellement, mais c’était nécessaire « , assure James Badge Dale, alias Robert Leckie. » On dormait deux heures par nuit ; le reste du temps, on courait, on rampait, on se battait, on tirait « , ajoute Jon Seda, qui interprète John Basilone.
Ils pensaient que le tournage serait du jardinage à côté du camp d’entraînement. Erreur. Les prises de vues ont duré dix mois, ils ont souffert pendant dix mois. Ils ont claqué des dents sous la flotte, cavalé entre les explosifs, maudit le cagnard, insulté la jungle. Et, » pendant les trois jours des scènes de barges, on a vomi, dixit Joe Mazzello. Tout cela nous a mis dans un état d’esprit particulier. On ne saura jamais réellement ce qu’ont traversé les soldats du Pacifique, mais on s’en est approché autant que possible « . Ne vous inquiétez pas, les gars : ça se voit.
Sandra Benedetti
» Il était inévitable qu’on se lance dans une série sur la guerre du Pacifique «
Steven Spielberg, producteur » On a tout fait pour être authentiques, des décors aux armes, en passant par le scénario «
Bruce McKenna, coscénariste » Les gars qui chouinent, je leur botte les fesses jusqu’à ce que leurs genoux leur rentrent dans les omoplates ! «
Le capitaine Dale Dye, conseiller militaire » On en a bavé ! «
James Badge Dale, Jon Seda, Joe Mazzello, acteurs principaux
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