Une famille dans l’Histoire

Louis Danvers Journaliste cinéma

La Meglio Gioventu narre quatre décennies de la vie d’une famille italienne, pour un spectacle aussi passionnant que hors norme (six heures au total !), signé Marco Tullio Giordana

L’art de la chronique familiale recoupe volontiers celui de la fresque historique. Avec La Meglio Gioventu ( La Meilleure Jeunesse en V.F.), Marco Tullio Giordana combine l’un et l’autre avec un art admirable, une rare évidence, une simplicité lumineuse et une remarquable générosité. Ce film hors norme, d’une durée totale de six heures et présenté en deux parties également passionnantes, est l’événement le plus fort, le plus inattendu aussi, de cette rentrée cinématographique. Présenté en avant-première au dernier Festival de Cannes (dans la section  » Un certain regard « ), La Meglio Gioventu y avait déjà fait très forte impression, malgré sa durée inhabituelle qui incita nombre de journalistes à renvoyer à plus tard sa nécessaire découverte. Le tout récent Festival de Gand a offert l’occasion de voir dans des circonstances plus calmes et plus adéquates ce qu’il faut d’emblée appeler un petit chef-d’£uvre du cinéma contemporain. Un distributeur aussi courageux que lucide a décidé de sortir le film de Giordana ; la première partie paraît mercredi prochain (5 novembre) et la seconde, une semaine plus tard (le 12). Gageons que son audace sera récompensée, tant le bouche-à-oreille devrait faire de La Meglio Gioventu le succès qu’il mérite de devenir, sa longueur et ses ambitions ne l’empêchant nullement de pouvoir séduire bien au-delà des seuls rangs cinéphiles.

Nicola et Matteo Carati sont frères. Inséparables depuis l’enfance, ils partagent idées et amitiés, espoirs et engouements culturels. La rencontre d’une jeune fille au profil psychologique tourmenté va involontairement leur faire prendre des chemins divergents. Les troubles et la personnalité de Giorgia auront sur les deux frères une influence capitale, Nicola décidant de se consacrer à des études de psychiatrie, tandis que Matteo s’en va rejoindre les rangs de… la police. Le scénario de Sandro Petraglia et Stefano Rulli suivra les chemins désormais séparés des frères, en multipliant autour d’eux des personnages mémorables, des parents et des s£urs (l’aînée, Giovanna, et la cadette, Francesca), en passant par les amis et, bien sûr, les amours, et singulièrement celui de Giulia qui donnera naissance à deux filles ayant elles aussi un rôle dans la suite des événements… Au fil des jours, des semaines, des mois et des années, tout ce petit monde brillamment croqué dès les premières apparitions de tel ou telle à l’écran va évoluer dans une Italie appelée à connaître, durant quatre décennies, une histoire mouvementée. La Meglio Gioventu inscrit ses personnages dans cette évolution d’un pays saisi (des années 1960 à nos jours) d’espoirs révolutionnaires puis de dérives terroristes, où la prospérité industrielle fit place à la crise, où la domination mafieuse fut enfin battue en brèche, où la modernisation de l’Etat et de l’économie n’alla jamais de soi et réserva quelques mauvaises surprises… Mais le film ne manque pas non plus d’évoquer certains faits divers retentissants, quelques catastrophes naturelles (dont l’inondation de Florence) et, bien évidemment, les matchs de football les plus marquants, événements toujours passionnels au pays du  » calcio  » !

Un monde meilleur

Attachés aux pas de Luigi Lo Cascio (Nicola) et Alessio Boni (Matteo), remarquables de justesse comme toute la distribution, nous sommes les témoins privilégiés d’une famille et d’un monde qui changent, où les inévitables déceptions n’empêchent pas de chercher à rendre les choses un peu meilleures. Marco Tullio Giordana ne fait jamais de ses personnages des emblèmes sociopolitiques. Il réussit à merveille le mariage de l’intime et de la fresque, donnant à son film une densité humaine qui ne faiblit pas un seul instant, malgré la longue distance qu’il s’est chargé d’accomplir. La Meglio Gioventu est un bonheur de film, et un film important. Le fait qu’il soit produit par la RAI souligne à quel point la télévision de service public peut et doit savoir conjuguer création et mission populaire.

Louis Danvers

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