« Une bonne élève pour le Royaume-Uni »
Les accords du Touquet de 2003 impliquent un contrôle britannique des migrants en territoire français. Ils bénéficient donc surtout au Royaume-Uni.
Virginie Guiraudon est directrice de recherches CNRS au Centre d’études européennes de Sciences Po Paris. Spécialiste des questions migratoires, elle décrypte les tenants et aboutissants de la coopération franco-britannique sur le dossier des migrants.
Les récriminations de la France à l’encontre du Royaume-Uni (désaccord sur la pêche, « détournement » du contrat de sous-marins pour l’Australie… ) peuvent-elles en partie expliquer les dissensions autour des migrants entre les deux pays?
Je ne pense pas du tout que la France se serve des migrants comme d’une arme diplomatique. La France est plutôt une bonne élève pour le Royaume-Uni. Depuis 2003 et la signature des accords du Touquet, elle déploie énormément de moyens pour empêcher les départs de migrants. Elle a démantelé en 2016 ce qu’on appelait « la jungle », un campement situé à Calais. Elle empêche la reconstitution de ce type de concentration en déchirant les tentes, en prenant les affaires des gens, en les empêchant d’avoir accès à de la nourriture, à de l’eau. Il n’y a pas de laxisme. Non seulement la France sert de garde-frontière pour le Royaume-Uni. Mais elle déploie aussi des moyens pour le sauvetage des migrants. Les migrants ne sont pas utilisés par la France comme une arme diplomatique, non. En revanche, les contextes nationaux dans les deux pays jouent peut-être un rôle. La France est en pleine période électorale. Tous les jours, on traite des questions de sécurité, d’immigration, de frontières sur les plateaux télé… Au Royaume-Uni, on ne se prive pas, comme d’habitude, de rejeter la faute sur le partenaire et de jouer sur une fibre anti-française.
Eric Zemmour ne parle guu0026#xE8;re de Calais parce que cette situation est u0026#xE0; l’inverse de celles qu’il peut exploiter.u0022 Virginie Guirandon, directrice de recherches CNRS.
La zemmourisation du débat politique influence-t-elle la position du président et du gouvernement?
Pour Emmanuel Macron, ce n’est pas Eric Zemmour le problème dans ce dossier, c’est Xavier Bertrand, le président de la région des Hauts-de-France qui englobe Calais et est un des candidats potentiels des Républicains à la présidentielle. Même si celui-ci n’a pas toujours été très clair sur la situation des migrants à Calais. Il a affirmé qu’il fallait remettre à plat les accords du Touquet, mais il n’a jamais dit qu’il fallait arrêter les contrôles. Une autre question, dont on parle assez peu dans les médias nationaux, est l’aspect économique du dossier. Il peut expliquer pourquoi la France veut bien être le garde-frontière du Royaume-Uni. La très forte concurrence entre les ports européens pousse les Français à faire un maximum d’efforts pour assurer la fluidité des activités à Calais. Le Royaume-Uni peut s’en servir comme un moyen de pression en agitant la menace de délocaliser une partie du trafic en Belgique ou aux Pays-Bas. Eric Zemmour ne parle guère de Calais parce que cette situation est à l’inverse de celles qu’il peut exploiter. Les migrants du Calaisis veulent quitter la France pour aller au Royaume-Uni.
Les accords du Touquet fixent-ils un bon cadre pour la coopération franco-britannique?
Je ne sais pas si c’est un bon cadre. En tout cas, il faut se poser la question de savoir quel intérêt la France avait à les signer. Pourquoi a-t-elle accepté d’être l’acteur du contrôle frontalier d’un autre Etat? Cette mission a un coût, même si le Royaume-Uni octroie des compensations financières. Elle comporte aussi des contraintes puisque, les contrôles étant conjoints, elle implique la présence sur le territoire français de la police des frontières britannique. C’est donc plutôt le Royaume-Uni qui a intérêt à cet accord. Lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2017, Emmanuel Macron avait affirmé vouloir dénoncer les accords du Touquet. Une fois élu, il a simplement évoqué la contribution financière du Royaume-Uni. Donc on discute de sous plutôt que du fond des accords.
L’Union européenne peut-elle jouer un rôle?
Le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin a demandé à l’agence Frontex de surveiller les frontières, notamment franco- belges, en expliquant que les migrants présents dans le Calaisis avaient, par la force des choses pour la plupart, circulé dans d’autres pays de l’Union avant d’y arriver. La côte française est certes une des frontières extérieures de l’Union européenne, dont Frontex a la charge. Mais empêcher des migrants de quitter l’Union n’est pas du tout dans ses missions.
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