Un Russe sort de l’ombre
Grand succès populaire à Moscou, Les Sentinelles de la nuit paraissent en français. Le premier volet d’une saga fantastique signée Loukianenko
Il a les épaules d’un docker, le torse d’un lanceur de javelot, la moustache d’un gendarme des années 1960… Bref, Sergueï Loukianenko, 38 ans, n’a rien d’un dandy de la Star Ac’ ni d’un golden boy moscovite. Pourtant, les filles l’assaillent dans la rue, les garçons lui arrachent des autographes. Depuis que les trois tomes de sa saga se sont écoulés à plus de 2,5 millions d’exemplaires, il ne peut plus prendre le métro.
Mais l’homme est franc : ce succès, il le doit essentiellement à la sortie du film librement adapté du premier volet de son épopée, Les Sentinelles de la nuit. Avec ses 4,5 millions d’entrées et ses 16 millions de dollars de recettes en 2004, le long-métrage de Timour Bekmambetov a révolutionné le cinéma russe et… la vie de Sergueï. Jusque-là, en effet, il n’était qu’un écrivain » raisonnablement » populaire (avant Les Sentinelles…, éditées en 1998, il a publié une dizaine d’ouvrages), ce qui, à l’aune du pays et du genre – le fantastique, fort prisé ici – équivaut à des ventes de quelque 30 000 exemplaires par titre.
Au départ, Sergueï est médecin. Comme ses parents, son frère. » Et Tchekhov ou Boulgakov « , ajoute-t-il dans un grand sourire. Petit-fils de Tatars par sa mère – dont il a hérité les traits – il passe sa jeunesse au Kazakhstan, du côté d’Alma-Ata. Dans sa famille, on lit. Beaucoup. A 9 ans, il dévore les £uvres complètes de Victor Hugo, bientôt celles de Dickens. Et puis, bien sûr, Lewis Carroll, Edgar Poe et toute la littérature fantastique. Psychiatre à 24 ans, il n’exercera qu’une année, avant de se confronter aux monstres, mages et autres lycanthropes de son imaginaire : » En fait, j’ai commencé à écrire à l’âge de 17 ans, un soir d’ennui où je n’avais rien à lire. » En 1992, les éditeurs russes indépendants sortent de l’ombre ; Sergueï laisse définitivement tomber le divan.
Avec Night Watch – le titre anglo-saxon choisi pour le film – tout change, donc. Alerté par ses » honorables correspondants » moscovites, l’agent londonien Andrew Nurnberg – désormais célèbre pour l’un de ses poulains, Jonathan Littell – prend en main la destinée du natif du Kazakhstan. Et décroche près de 10 contrats, des Etats-Unis à l’Italie ! En France, c’est Albin Michel qui jette son dévolu sur la nouvelle coqueluche. » A des conditions convenables « , souligne son éditeur, Tony Cartano, fasciné par cet auteur qui tient tout à la fois » d’Asimov, de Stephen King et de Bernard Werber « . Un premier tirage de 45 000 exemplaires est prévu. A juste raison, tant cette formidable mise en scène de la fantasmagorie russe, ce combat entre le Bien et le Mal, les altruistes et les égoïstes, peut attirer au-delà du cercle des adeptes du genre.
Moscou, janvier 1998. La ville grelotte. Anton se prépare à affronter un couple de vampires. C’est la première opération sur le terrain de ce sympathique célibataire pour le compte des Clairs. Doté d’étonnants pouvoirs magiques, Anton est un Autre, qui a choisi le camp de la Lumière. Le camp de la vulnérabilité et du doute. Que peut-on justifier ? Qui doit-on pardonner ? Autant de questions qui l’agitent en permanence, lui et ses amis du Contrôle de la nuit. Face à eux, les Sombres, beaucoup moins anxieux. Un grand Traité les lie, car leur lutte pourrait détruire le monde. A coups d’heureuses trouvailles (la Pénombre, zone, à l’abri des humains, permettant aux Autres de développer leurs talents), de rebondissements permanents et d’une bonne dose d’humour, l’auteur nous plonge dans une fascinante et grande parabole métaphysique.
Baptisé à 33 ans, bientôt appelé à collaborer avec Hollywood, Sergueï Loukianenko intrigue. Et n’est pas près de quitter nos pensées : alors que le quatrième volet de sa saga à peine achevé, il songe déjà au cinquième..
Les Sentinelles de la nuit, par Sergueï Loukianenko. Trad. du russe par Christine Zeytounian-Beloüs. Albin Michel, 476 p.
Marianne Payot
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