Un pays, trois réalités politiques
Les Belges voteront dans un peu plus de cent jours. Qui sortira vainqueur des urnes? Qui perdra des plumes? Quid des partis au pouvoir? Voici les enseignements de la grande enquête réalisée par Le Vif auprès des Wallons, des Bruxellois et des Flamands.
La campagne est lancée, les partis dévoilent leur programme et peaufinent leurs listes. Les électeurs, eux, peuvent commencer à songer à qui ils attribueront leurs suffrages. Le 9 juin, les Belges voteront à l’occasion d’un triple scrutin: régional, fédéral et européen.
A quoi faut-il s’attendre? Un des enseignements majeurs se situera vraisemblablement en Flandre, où un électeur sur quatre s’apprête à voter pour le Vlaams Belang, qui y deviendra le premier parti. En Wallonie, les trois partis des majorités gouvernementales enregistrent un recul par rapport aux élections de 2019, au profit de l’opposition. Du côté de la Région de Bruxelles-Capitale, un petit séisme pourrait bien se produire, le PTB-PVDA se retrouvant en tête des intentions de vote, pendant que les socialistes dégringolent. Tels sont les principaux enseignements du grand sondage réalisé par Kantar pour Le Vif auprès des électeurs belges.
En Wallonie, le PS se maintient
Il a été demandé aux sondés à quel parti irait leur préférence, si des élections fédérales devaient se tenir dès à présent. En Wallonie, à vrai dire, les intentions de vote ne provoquent pas de bouleversement majeur des équilibres politiques.
Les trois partis de la coalition au pouvoir tant aux échelons fédéral que régional subissent une baisse, mais pas de sanction brutale.
Un peu moins d’un électeur sur quatre opte pour le PS (24,3%), qui se maintient dans la position de premier parti. La tendance qui se dessine dans deux des places fortes des socialistes correspond au mouvement général: ils reculent mais restent en tête en provinces de Liège et de Hainaut, où les présidents Paul Magnette, Georges-Louis Bouchez et Jean-Marc Nollet se livreront bataille. Ils pourraient, par contre, perdre leur position dominante en province de Namur, au profit des Engagés de Maxime Prévot.
Le MR, toujours dominant en provinces de Brabant wallon et de Luxembourg, figure en deuxième position à l’échelle de la Wallonie, récoltant 19,9% des intentions de vote. Ecolo glisse de la position de troisième parti de Wallonie à celle de quatrième, en pâtissant de la progression annoncée du PTB.
Les sondages successifs traduisent en effet une tendance persistante, mais dans des proportions diverses. Le parti de gauche sera un des vainqueurs au soir du dimanche électoral. Du moins, le sondage du Vif le place en troisième position en Wallonie, à la faveur d’une progression de 4,6%.
Parmi les questionnements qui traversent le sud du pays figure l’état de forme des Engagés. L’ancien CdH, à la suite à la défaite de 2019, avait opté pour l’opposition, avant de se lancer dans un processus de refondation. Le mouvement reste dans la course, à une distance raisonnable des écologistes, en obtenant 13,2% des intentions de vote.
DéFI, par contre, peine à se forger une place en Wallonie, en n’y franchissant pas la barre des 5%.
A Bruxelles, le PTB se hisse en tête
Si une certaine stabilité caractérise les intentions de vote en Wallonie, le sondage prédit, en revanche, un bouleversement dans la hiérarchie en Région bruxelloise.
Dans la capitale plus qu’ailleurs, les enseignements d’une enquête méritent d’être considérés avec les précautions d’usage. Cela étant, l’excellente forme du PTB-PVDA s’y confirme de façon assez spectaculaire. La formation de gauche grimpe de 8,5% par rapport au scrutin fédéral de 2019, ce qui lui permet d’accéder à la place de premier parti.
A l’exception du CD&V, les autres partis du gouvernement fédéral sont regroupés, dans le calcul des intentions de vote, par familles politiques.
Les libéraux du MR et de l’Open VLD figurent dès lors en deuxième place. Le sondage porte sur le scrutin fédéral, mais un résultat comparable aux élections régionales placerait le MR en position favorable pour revendiquer la ministre-présidence. Parmi les répondants au sondage, d’ailleurs, les seuls francophones sont 19,7% à voter pour le MR, qui ambitionne de redevenir le premier parti de la capitale. C’est, dans l’absolu, un score moindre que celui du PTB, mais supérieur à ceux de tous les autres.
La famille écologiste, composée d’Ecolo et de Groen, en tête lors des élections fédérales de 2019 à Bruxelles, est rétrogradée en troisième position.
Mais le recul le plus net est celui des socialistes, qui perdent 5,2% par rapport à 2019 – PS et Vooruit réunis. A l’instar des verts, les socialistes seraient alors rétrogradés de deux places dans le classement.
Les formations du centre, elles, ne parviennent pas à s’extirper du bas de classement, DéFI perdant au passage 2,5%, tandis que Les Engagés peinent à se détacher véritablement du seuil électoral fixé à 5%.
En Région bruxelloise, un autre fait marquant se situe du côté des partis néerlandophones, puisque le Vlaams Belang y obtient 5,2% des intentions de vote. C’est bien davantage que lors des dernières élections, mais cela lui permettrait en outre de décrocher un siège à la Chambre dans la circonscription.
En Flandre, l’extrême droite victorieuse
Ce même Vlaams Belang, selon toute vraisemblance, savourera sa victoire en Flandre. Les sondages se suivent et se ressemblent au nord du pays, avec une installation du parti d’extrême droite en tête des intentions de vote. En l’occurrence, un Flamand sur quatre exprime sa préférence pour lui, ce qui en fait potentiellement le parti le mieux représenté au Parlement fédéral au cours de la prochaine législature.
La N-VA de Bart De Wever, malgré un recul de presque 5%, deviendrait alors le deuxième parti flamand. Mais ces deux-là – extrême droite et droite nationaliste – se détachent à ce point des autres partis que si cette arithmétique électorale se confirme, elle placera de facto Bart De Wever dans un rôle quasi incontournable au moment des négociations postélectorales.
En progressant, malgré une participation au gouvernement fédéral, Vooruit devient le premier des partis dits traditionnels. C’est également le signe que l’électeur ne tient que peu rigueur aux socialistes flamands des déboires de leur ancien président, Conner Rousseau.
La dégringolade se confirme toutefois pour les autres, à savoir le CD&V, Groen et, surtout, l’Open VLD, parti du Premier ministre, Alexander De Croo. Malgré une certaine popularité personnelle de ce dernier, son parti figure en queue de classement.
Comme ailleurs, enfin, le PTB-PVDA est promis à une poussée électorale, en doublant pratiquement son score.
Les coalitions envisageables
Les intentions de vote sont une chose, leur traduction en répartition de sièges à la Chambre en est une autre. C’est en effet la composition future du Parlement fédéral qui permettra d’envisager des coalitions gouvernementales.
Deux prédictions semblent s’imposer. Premièrement, le Vlaams Belang deviendra probablement le parti comptant le plus grand nombre de députés. Deuxièmement, la Vivaldi, coalition au pouvoir au fédéral, comprenant les familles socialiste, libérale, écologiste et le CD&V, pourrait être reconduite d’un point de vue arithmétique. Mais de justesse et de façon très minoritaire en Flandre, si bien qu’une reconduction en tant que telle serait très peu envisageable, politiquement parlant.
Les résultats diffèrent quelque peu en fonction du mode de calcul. Une application de la clé D’Hondt – système qui prévaut lors des élections – aux résultats du sondage du Vif, donne, sur un total de 150 sièges, 26 députés au Vlaams Belang et 75 à l’ensemble des formations de la Vivaldi. Ce sont les résultats d’une projection réalisée par Herman Matthijs (VUB/UGent).
Une autre projection, effectuée par le politologue Pascal Delwit (ULB), établit à 25 le nombre de sièges attribués au Vlaams Belang et à 21 pour le PTB-PVDA. Ce modèle, usuellement appliqué dans le cadre de sondages, présente l’avantage de ne pas tirer abusivement de conclusions d’intentions de vote obtenues dans des circonscriptions où l’échantillon est relativement faible en nombre. La méthode consiste à pondérer les tendances générales du sondage en les appliquant aux scores des précédentes élections dans chaque circonscription. «Ce système présente l’inconvénient de ne pas tenir compte des variations de tendance qui surviennent d’une circonscription à l’autre», prévient cependant Pascal Delwit.
En se fiant à sa projection, on notera donc que les résultats du sondage rendent très peu probable la reconduction de la même coalition, qui comptait 88 sièges initialement, si on tient compte des résultats de 2019. Les formules envisageables ne sont guère nombreuses, en partant du principe que ni le Vlaams Belang ni le PTB-PVDA ne sont susceptibles de prendre part à une majorité.
Une Vivaldi augmentée des Engagés résoudrait la question arithmétique, mais déforcerait encore davantage la représentation néerlandophone dans la coalition. Une autre coalition possible associerait la N-VA aux trois familles politiques traditionnelles (PS, Vooruit, MR, Open VLD, CD&V et Les Engagés). En théorie, mais en théorie seulement, il serait également possible d’assembler l’ensemble des partis, à l’exception du Vlaams Belang et du PTB-PVDA, ce qui constituerait évidemment une coalition très hétéroclite et une opposition particulièrement farouche.
Aimés et détestés
Seuls les résultats définitifs du triple scrutin de juin scelleront les destinées des partis. Il est de coutume de considérer qu’avant le dimanche électoral, les indécis demeurent très nombreux. Le sondage nuance cette assertion, puisque lorsqu’il leur est demandé dans quelle mesure ils sont sûrs de leur choix, sur une échelle de 1 à 10, un sondé sur quatre affirme qu’il l’est pleinement. Et 57,5% des répondants cochent un degré de certitude de 8, 9 ou 10.
Tous les partis ne sont pas logés à la même enseigne. Les électeurs du Vlaams Belang sont les plus convaincus de leur vote, tandis que ceux d’Ecolo se montrent les plus indécis.
Deux tiers des sondés, par ailleurs, annoncent qu’ils voteront assurément ou probablement pour le même parti aux trois élections (régionales, fédérale et européennes). Là encore, les électeurs du Vlaams Belang sont, plus que tous les autres, les plus catégoriques.
A l’inverse, lorsqu’il est demandé aux sondés pour quel parti ils ne voteraient en aucun cas, c’est aussi le Vlaams Belang qui est le plus souvent cité (32,3%), signe que le parti d’extrême droite provoque à la fois une forte adhésion et une nette répulsion. En ne tenant compte que des francophones, il apparaît que c’est le PTB qui fait l’objet du plus important rejet (29,8%). Ce qui n’est pas incompatible avec le fait que ce parti sera par ailleurs un des grands vainqueurs du scrutin.
Méthodologie
Ce sondage a été commandé à l’institut Kantar par Le Vif, Knack,Trends, Trends-Tendances, De Zondag, De Krant van West-Vlaanderen et Canal Z. Il a été réalisé en ligne auprès de 2 681 Belges âgés de 18 ans et plus. Il concerne 1 077 Flamands, 1 004 Wallons et 600 Bruxellois. La marge d’erreur maximale est de 3,1% en Flandre, 3,1% en Wallonie et 4% à Bruxelles.
Le Top des personnalités
Qu’elles soient appréciées ou mal aimées, plébiscitées ou rejetées, ce sont souvent les quelques mêmes personnalités politiques, des hommes principalement, qu’on retrouve en tête des classements issus des questions ouvertes posées à nos sondés.
C’est ainsi qu’en Flandre, Bart De Wever (N-VA) fait partie des personnes qui, selon une partie des citoyens, les représente le mieux, mais, selon une autre, les représente le moins bien. Il en est de même, en Wallonie et à Bruxelles, de Raoul Hedebouw (PTB), par exemple.
Lorsqu’il s’agit d’émettre une préférence pour le 16 rue de la Loi, des différences apparaissent logiquement entre Régions, Alexander De Croo étant le seul à occuper le trio de tête partout. L’ex-président de Vooruit, Conner Rousseau, populaire au nord du pays avant sa démission en novembre dernier, se retrouve par contre rétrogradé plus bas dans les classements.
Il a aussi été demandé aux sondés de citer qui ils ne souhaitent absolument pas voir devenir Premier ministre. Bart De Wever arrive en tête dans les trois Régions, cité par 20,8% des Wallons, 20,3% des Bruxellois et 14,5% des Flamands. En Wallonie, Georges-Louis Bouchez (10,5%) et Raoul Hedebouw (7%) complètent le podium. Il s’agit de Paul Magnette (7%) et de Raoul Hedebouw (6,5%) à Bruxelles et de Tom Van Grieken (13,6%) et Alexander De Croo (11,4%) en Flandre.
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