Un Jardin en pleine jungle belge
La Flandre trépigne pour prendre possession de » son » Jardin botanique de Meise. Les francophones veulent éviter la spoliation de ses collections. Sept ans que le blocage dure… Quel temps prendrait une séparation totale des biens de la Belgique ?
Petite devinette, bien de chez nous : » La petite graine d’une plante fédérale, mais arrosée à l’eau flamande par un jardinier flamand, pourra-t-elle rester fédérale ? » Ce genre de remue-méninges à la belge ne fait pas rire tout le monde.
C’est le cas de Jérôme Degreef, 41 ans : du fond de son labo niché au c£ur du Jardin botanique – de moins en moins – national de Meise, ce chercheur s’inquiète. Traversé par la crise existentielle qui mine, depuis près de sept ans, ce joyau belge de la botanique. Depuis qu’à la faveur des accords institutionnels de mars 2001 Flamands et francophones se sont mis en tête de lui ôter son label belge pour lui coller une étiquette flamande. Sous prétexte que, bien que situé à portée de canon de la Région bruxelloise (l’Atomium est à quatre kilomètres…), ce domaine de 92 hectares se trouve en Flandre. La suite de l’histoire est nettement moins limpide. Communautés flamande et française n’en finissent pas de se crêper le chignon. Dame ! On ne partage pas, les yeux fermés, un outil enrichi et entretenu depuis plus de deux siècles avec la même passion par le nord et le sud du pays. » Ici, c’est du vivant qui est en jeu ! » lance Jérôme Degreef, soucieux du sort qui pourrait être réservé aux 18 000 espèces de plantes vivantes.
La Flandre revendique la propriété exclusive des nouvelles acquisitions qui seront opérées à partir de ces collections, que lui prêterait l’Etat fédéral pour une durée illimitée. Ainsi irait donc la vie végétale vue de Flandre : le rejeton d’une plante morte sous la nationalité belge entamerait son existence sous les couleurs de la Flandre. Les francophones flairent la spoliation : » Il ne faudrait pas oublier que ces collections sont aussi le fruit des recherches de générations de botanistes et d’agronomes, notamment francophones. » Pas question de voir un tel patrimoine filer sans coup férir dans l’escarcelle flamande.
Bien d’autres pommes de discorde déchirent les Flamands, impatients de marquer leur territoire à Meise, et la Communauté française, décidée à y défendre son bout de gras. Dans une ambiance pourrie par la méfiance : » La bonne foi du gouvernement flamand ne suffit pas ! Quelques exemples dans les communes à facilités nous démontrent à quel point il est nécessaire de disposer des textes de référence pour défendre les droits des francophones « , clame la ministre-présidente Marie Arena (PS).
Tout est dès lors matière à disputes : le devenir des chercheurs francophones, payés par la Communauté française, au sein d’une institution sous le giron de la Flandre ; l’avenir de l’herbier géant et de ses trois millions de spécimens (son inventaire, inexistant, prendrait trois ans…) ; le futur des 200 000 volumes de la bibliothèque. Jérôme Degreef, lui, fait partie de ces chercheurs francophones de plus en plus égarés en terre flamande : 82 % du personnel est déjà néerlandophone, au sein d’une institution encore fédérale…
Ils sont taraudés par la crainte d’y être de moins en moins tolérés, lorsque leur travail scientifique sera soumis au seul bon vouloir de l’argent flamand. » Le chercheur francophone qui revient d’une mission à l’étranger devra-t-il céder le fruit de ses récoltes aux nouvelles collections flamandes ? » En attendant, le Jardin botanique, sous une gestion fédérale minimale, est condamné à dépérir. Forcément : alors que ses racines ne sont déjà plus vraiment ancrées en terre belge, elles ne plongent pas encore réellement dans le terreau flamand. A la grille principale, le panneau bilingue annonçant l’entrée du Jardin fait défaut. Seule l’enseigne lumineuse surmontant l’abribus annonce un » Welkom in de nationale plantentuin « . Comme si les francophones à Meise ne devaient déjà plus être qu’ un (mauvais) souvenir… l
Pierre Havaux
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