Un double pour la route

Philippe Cornet Journaliste musique

Récemment dans La Tempête et prochainement dans deux pièces de Jodorowsky à La Balsamine, Natacha Belova propose ses fascinantes marionnettes, créatures animées d’une vie qui dépasse leur emballage de mousse et de tissu.

Les yeux perçants dévorent un visage crispé : bouche tordue, nez boxé, joues creusées, crâne rond revenu d’un enfer indéterminé. De tout cela émane pourtant un regard perçant, quelque chose d’organique et même peut-être d’enfantin. Une forme de vie.  » Oui, j’en rêve parfois la nuit « , dit Natacha Belova alors qu’elle saisit l’une de ses créatures par une main plongée dans le dos, l’évocation d’une humanité supposée n’étant pas un hasard :  » Pour les construire, il m’arrive de prendre des dizaines de photos de l’acteur qui va les manipuler : d’une certaine manière, il doit se retrouver dans ce double. « 

Au mur de l’atelier bruxellois incorporé aux locaux de la Cie Point Zéro – avec laquelle Natacha tisse un lien ombilical depuis 1999 – des croquis et des photocopies chiffonnés :  » C’est à ce degré-là de trouble que je voudrais arriver.  » A côté de ces culs-de-jatte inanimés, un bac de matière première où s’accumule la mousse d’anciens locataires, un atelier de tapissage. Sur une étagère, l’arme fatale de cette sculpture particulière : des couteaux-scies électriques,  » modèles des années 1970, bien plus rapides et tranchants que les actuels « . Récemment, les héritiers inattendus de ces tranches-rosbif, les marionnettes donc, ont traversé La Tempête de Shakespeare en Belgique (Namur, Mons, Liège, Bruxelles), laissant derrière elles un parfum d’âme 3D collé à l’acteur tel un siamois qui retournerait à sa fatale inertie après l’étreinte.

Les créations de Point Zéro et de son metteur en scène, Jean-Michel d’Hoop, doivent beaucoup à ces bébêtes sorties d’une histoire russe, nationalité de Natacha (aujourd’hui belge), née en 1969 à Toula, ville militaire à 200 kilomètres de Moscou :  » J’ai fait des études d’histoire et de philosophie. J’avais 14 ans et je travaillais au théâtre quand mon père, comédien et metteur en scène, m’a montré cette photo d’un tableau de Jérôme Bosch. Elle est restée en moi.  » Et dans ces marionnettes à la vertigineuse monstruosité. Arrivée à Bruxelles au début des années 1990, pour raison amoureuse, Natacha n’en a plus décollé, s’essayant d’abord aux costumes – toujours son métier – puis passant aux marionnettes après un stage en 2006 en France et des cours chez Neville Trenter, grand marionnettiste australien installé aux Pays-Bas. Toujours avec la Cie Point Zéro, elle présente prochainement deux reprises d’Alejandro Jodorowsky, l’auteur chilien baroque barré, L’Ecole des ventriloques et Trois Vieilles.  » Les marionnettes se conservent étonnamment bien, elles ont une belle durée de vie. Plus quand elles sont en noir et blanc qu’en couleurs…  »

L’Ecole des ventriloques du 3 au 7 mai, et Trois Vieilles, du 17 au 28 mai à La Balsamine, à Bruxelles, www.balsamine.be

Installation de Natacha Belova, du 20 mai au 12 juin, à côté de la gare Centrale, à Bruxelles, www.zinneke.org

PHILIPPE CORNET

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