Un discret à la Une
Qui se cache derrière Eric Fottorino, nouveau directeur du Monde ? Un bon romancier. Portrait de l’auteur de Baisers de cinéma.
Longtemps, il a été sa propre doublure lumière. Alternant les rôles d’écrivain modeste et de journaliste discret. Recréant le monde, chez lui, aux aurores blêmes du petit matin, le commentant, les quinze heures restantes, pour son quotidien. Une double vie un brin chronophage, mais relativement classique.
Depuis 2004, tout se complique : deux romans, coup sur coup, Caresse de rouge, en février, et Korsakov, en août, le propulsent sous les sunlights. Les critiques se penchent sur son cas, sa livraison automnale apparaît dans la liste des » goncourables « . Côté presse, même échappée belle. A croire que ce fan de vélo a, comme tout vrai grimpeur, accéléré quand la côte s’est accentuée. Appelé au début de 2005 par Jean-Marie Colombani, directeur du Monde, à plancher sur une nouvelle formule, le voilà propulsé à la tête de la rédaction. Avant de voir, début juillet, son nom briller en haut à droite du quotidien, auprès de celui de son fondateur, Hubert Beuve-Méry. Eric Fottorino, tout juste 47 ans, ne boude pas son » immense fierté « .
Pas blasé pour un sou, il dit aussi le bonheur de se retrouver, une fois encore, sur la couverture blanche de Gallimard. Mais Fottorino n’est pas dupe. Il sait bien que, devenu plus grand que son ombre, il n’est plus un simple forçat de la plume. Ses amis (Jean-Marc Roberts, son ex-éditeur et patron de Stock, Erik Orsenna, son » grand frère « , Michel Braudeau, son éditeur chez Gallimard) l’affirment : » Fotto n’a pas changé, il est toujours aussi simple et accessible. » Lui l’assure : » J’ai la faculté de rendre les choses étanches. » Mais les autres ? Les flagorneurs ? Les envieux ? Au bénéfice du douteà
Sa puissance de travail, son souffle, son ambitionà Telles sont, selon son entourage, les principales qualités du sixième directeur du Monde, élevé à La Rochelle, loin du sérail et des réseaux, et diplômé, presque par hasard, de Sciences po Paris. Etonnant Fottorino. Qui se passionne pour les matières premières, les agriculteurs, parcourt l’Afrique, écrit sur tout. Qui se lance, en 1991, dans le roman ( Rochelle, Fayard), s’élance à vélo, en 2001, avec son physique à la Woody Allen, sur les pentes du Grand Prix du Midi libre, dévore Simenon, regarde mourir, impuissant, les enfants de ses romans et finit de dévoiler, dans Korsakov, sa quête éperdue du père.
Nouvelle variation avec Baisers de cinéma. C’est sa mère que Gilles, le héros de son huitième roman, cherche désespérément dans les salles obscures du Quartier latin. Car, avant de rendre l’âme, son père, Jean Hector, brillant chef opérateur de la Nouvelle Vague, lui a déclaré qu’il serait né d’une brève rencontre avec une actrice. Alors, à 40 ans, cet avocat divorcé scrute pour la centième fois les doux visages de Françoise Dorléac, Anouk Aimée, Delphine Seyrig, Martine Carol, à l’affût d’un sourire familier, d’une pommette rassurante. Mais c’est Mayliss, 36 ans de chair et d’os, qui l’éblouit lors d’une séance de Ma nuit chez Maud.
Il ménage le suspense jusqu’au clap final
Gilles est ferré. Malgré les escapades à Cabourg et à Rome, la belle rousse ne se décide pas à quitter son assureur de mari. Notre homme vit à l’envers, enchaîne les nuits blanches et les jours noirs, délaisse les mots du prétoire pour les maux de l’amour. Truffaut, Rohmer, Lelouch s’exécutent devant lui, mais c’est le film de sa vie qui tourne au cauchemar. Comme à son habitude, Eric Fottorino joue avec l’intrigue, ménage le suspense jusqu’au clap final. On n’en dira donc pas plus sur ce bel hommage à la lumière dans tous ses éclats, si ce n’est pour confirmer la bonne forme de l’écrivain de chez Gallimard. Auquel, espérons-le, son patron de presse laissera encore un peu de tempsà
Baisers de cinéma, par Eric Fottorino. Gallimard, 190 p.
Marianne Payot
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