Un collabo bien comme il faut
Dominique Jamet revient sur les années noires de l’Occupation. A travers l’incroyable destin d’un traître qui a réellement existé.
Vingt ans d’une jeunesse classique dans une ville au bord de la Loire, puis trois années » trépidantes » de collaboration sous l’Occupation, suivies de vingt ans de vie » f£tale « , tapi dans le grenier familial ; encore vingt ans de… prison et, depuis lors, naturalisé allemand, une retraite paisible non loin du lac de Constance. Telle a été la vie, stupéfiante, surréaliste, de Jean Deleau, 88 ans. Deux fois condamné à mort, gracié par de Gaulle en 1968, libéré en 1985… On se frotte les yeux devant l’incroyable CV du héros d’Un traître, le nouveau roman de Dominique Jamet. Et pourtant…
Jean Deleau, chef auxiliaire du SD (Sicherheitsdienst, service de sécurité) en Anjou, de 1942 à 1945, n’est pas le fruit de l’imagination de l’auteur d’Un petit Parisien, journaliste de talent et ancien président de la Bibliothèque nationale de France. A quelques changements de dates près, et sous un autre patronyme (son vrai nom est Jacques Vasseur), ce zélé collaborateur de la police allemande, responsable de plus de 400 arrestations suivies de déportations, a bel et bien existé.
» Dés£uvré, un jour de 1965, je pousse les portes du palais de justice de Paris, raconte Dominique Jamet, et je tombe sur l’une des audiences de son procès. A la barre, il y avait cet homme blafard, grimé à la Arturo Ui, déconcertant, avec son petit chapeau de feutre et sa moustache, qui avait l’air d’un revenant et dont la défense était misérable. Son singulier parcours m’a trotté dans la tête, et j’ai pensé écrire sa biographie, après avoir retrouvé sa trace en Allemagne. Il a refusé (1). Finalement, ce n’était pas plus mal, l’histoire dépasse largement le personnage. D’où cette fiction qui s’inscrit dans la réalité. «
Deleau-Vasseur a-t-il été » l’esclave des circonstances, le jouet des événements « , ou bien était-il » forcément responsable » ? C’est le débat, passionnant, que l’auteur nous soumet tout au long de cette re-création. Fils unique d’un chef de bureau à la Banque de France, Jean subit l’influence d’une mère trop aimante et d’une charmante grand-mère allemande. En 1938, le brillant élève de 18 ans a déjà effectué trois séjours dans le Bade-Wurtemberg, dont il admire l’ordre, la propreté et l’ardeur au travail des habitants. Aussi, pour rendre service, devient-il, en mai 1940, interprète, trois mois durant, au bureau d’accueil de la Kommandantur de Neuville-sur-Loire. Sa contribution aurait pu s’arrêter là si, deux ans plus tard, jeune diplômé d’HEC recruté par la Banque de France, il n’avait, à la demande pressante de sa mère, refusé sa lointaine affectation dans le Pas-de-Calais…
Pourquoi, alors, ne pas retourner vers ses employeurs allemands ? C’est l’engrenage. Jean participe bientôt aux interrogatoires des suspects : » Le métier entrait, et le passionnait « , note, laconique, Jamet. Deleau n’est pas Lucien Lacombe, c’est un collaborateur du troisième type : cultivé, aimant le travail bien fait, ne ressentant ni peine ni plaisir devant la torture, seul lui important le résultat, l’aveu. Mais ce buveur de diabolo menthe de 23 ans va bientôt s’enivrer de sa toute-puissance.
La suite, la fuite en Allemagne, à l’été 1944, le passage en Belgique, la cachette sans fin dans le foyer maternel, l’arrestation, en 1965… bref, ce Genitrix au pays des collabos se déguste sous la plume à la fois distanciée, ironique et habile de Dominique Jamet. La – mauvaise – vie comme un – très bon – roman.
Un traître, par Dominique Jamet. Flammarion, 398 p.
(1) Le Vif/L’Express a, à son tour, localisé, dans le nord-ouest du Bade-Wurtemberg, l’ancien collaborateur. Ou, tout du moins, sa femme, qui, contactée par téléphone, a sèchement refusé d’émettre le moindre commentaire sur le roman de Dominique Jamet.
Marianne Payot
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