Un cinéaste est né !

Louis Danvers Journaliste cinéma

Gela Babluani se révèle de façon éclatante avec un 13 tzameti aussi prenant qu’intense. Ce jeune auteur semble à l’aube d’un passionnant parcours

(1) Il a réalisé quatre films, dont La Migration des oiseaux (sélectionné à la Semaine de la critique au Festival de Cannes 1988) et Le Soleil des veilleurs (Ours d’argent au Festival de Berlin 1993).

Il est des réalisateurs qui entrent en cinéma sur la pointe des pieds. Gela Babluani n’est pas de cette timide et pâle étoffe, où se tissent tant de premiers films hésitants ou mous, marqués déjà par les plus navrants compromis. 13 tzameti ( » tzameti  » signifie  » treize  » en géorgien) est une £uvre radicale, superbe et sombre à la fois, plongeant dans les abîmes d’une masculinité violente et calculatrice, animée par la fascination de la mort et de l’argent. Son auteur est un jeune artiste d’origine géorgienne, né à Tbilissi voici vingt-sept ans et vivant en France où son père Temur, cinéaste lui-même (1), l’envoya encore adolescent pour y faire ses études.  » Le premier film que je me rappelle d’avoir vu, enfant, est un film de mon père, et je l’ai trouvé très chiant ! Aujourd’hui, bien sûr, il figure parmi mes films préférés… « , sourit Gela Babluani. Chronique d’une initiation au Mal, son premier long-métrage porte le deuil d’une certaine innocence enfantine.

Sébastien, le jeune héros de 13 tzameti, est un immigré d’Europe de l’Est, pauvre et vivant de petits boulots, qui répare le toit d’une maison quand son occupant se suicide. L’ouvrier avait eu le temps de surprendre une conversation où il était question d’un travail mystérieux, dangereux, mais très bien payé. Il va dès lors se substituer au défunt pour découvrir de quoi il s’agit, et en profiter peut-être. Mais, de l’univers où il va pénétrer, les chances de revenir vivant sont ténues…

Une affaire de famille

Filmé en noir et blanc, avec une sensibilité extrême et un art captivant de la mise en scène, 13 tzameti a été réalisé dans un mélange de dénuement matériel (un tout petit budget) et de luxe temporel (cinq mois et demi de tournage, huit mois de montage !) par un cinéaste qui s’était initialement destiné à la littérature, mais qui s’est tourné vers le 7e art  » pour donner corps à cet imaginaire que je voulais explorer « .  » Ma culture vient essentiellement de l’Est, où le cinéma met l’accent sur l’image et le montage, ne recourant à la parole que lorsque quelque chose ne peut être exprimé visuellement « , poursuit celui qui aime  » voir les comédiens parler sans dire aucun mot, avec le corps, le regard, le geste « .

Pour jouer le rôle principal de son film, le réalisateur a choisi son propre frère cadet, Georges Babluani,  » pour son mélange de traits juvéniles, encore porteurs d’innocence, et sa capacité à restituer au fil des séquences la profonde complexité de ce que vit le personnage « . Le résultat est passionnant, enrichi qu’il est d’une masse de seconds rôles extraordinairement incarnés au sens le plus physique et littéral du terme.

Les Festivals de Venise (avec un Lion de la meilleure première £uvre) et de Sundance (avec un prix du jury) ont déjà reconnu la fulgurance étonnante de 13 tzameti, expérience cinématographique extrême aux secrets à ne pas dévoiler d’avance. Son propos moral assurément universel dans son apparente abstraction ouvre largement les portes de la réflexion par-delà l’anecdote en elle-même très prenante. Il se chuchote à présent que le Festival de Cannes pourrait bien sélectionner le second film du jeune prodige, L’Ame perdue du sommet, qu’il a tourné en Géorgie avec son père comme coréalisateur !  » Il avait écrit le scénario voici quelques années déjà, et nous l’avons retravaillé ensemble, commente le fils. Puis, au tournage, nous avons tout partagé, mais je me suis occupé seul du montage, un processus organique où tout peut encore arriver et dont je savoure chaque instant !  »

Louis Danvers

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