Turbulences dans la coalition alliée
Le chancelier Olaf Scholz donne son feu vert à la livraison de chars Leopard 2 à l’Ukraine. Mais les tensions qui ont précédé cette issue laisseront des traces. Et pendant ce temps, une affaire de corruption ternit le sérieux des dirigeants d’Ukraine…
Sésame pour la reconquête par l’Ukraine des territoires conquis par la Russie ou escalade pour précipiter le conflit dans une autre dimension, la livraison de chars lourds à l’Ukraine est élevée au rang de tournant majeur potentiel dans la guerre. Comme le Leopard 2 allemand est le plus accessible tant sur le plan du maniement que de la fourniture pour répondre à l’attente de Kiev, c’est sur le chancelier Olaf Scholz que la pression est exercée par les partisans de l’aide inconditionnelle à l’Ukraine.
Elle a été interne et externe et a produit des effets: le 25 janvier, le chef du gouvernement allemand a accepté de livrer des Leopard 2 à Kiev et a autorisé d’autres pays de faire de même. La Pologne, principale puissance européenne exposée par la géographie à la menace russe, est à l’avant-garde de la campagne pour livrer les chars lourds. Elle dispose d’un solide stock (247) et était prête à faire traverser la frontière à certains d’entre eux. Mais, règles commerciales obligent, elle ne pouvait agir qu’avec l’autorisation de Berlin. Elle en a donc fait la demande officielle. Non sans avoir sermonné son «frileux» voisin. «Des preuves de crimes de guerre de l’armée russe peuvent être vues à la télévision et sur YouTube. De quoi l’ Allemagne a-t-elle besoin de plus pour ouvrir les yeux et commencer à agir conformément à son potentiel?», a lâché le Premier ministre Mateusz Morawiecki, le 22 janvier.
On jaugera l’ampleur des dégâts que ce débat aura produits sur la crédibilité des Occidentaux à la façon dont se passeront in fine les livraisons.
Les hésitations d’Olaf Scholz résultaient aussi de divergences intestines. Si la Pologne veut fournir des Leopard à l’armée ukrainienne, «nous ne nous y opposerons pas», a assuré la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock. Son collègue de la Défense, fraîchement nommé, Boris Pistorius, s’était montré plus prudent: «Nous devons réfléchir soigneusement à ce que nous pouvons faire», tout en assurant que l’ Allemagne aiderait l’Ukraine à gagner la guerre. Cette différence de ton traduisait les divisions au sein de la coalition au pouvoir en Allemagne entre les Verts, et au premier chef leurs leaders au sein du gouvernement Annalena Baerbock et le vice-chancelier en charge de l’Economie et du Climat Robert Habeck, et les libéraux du FDP, favorables à l’autorisation d’envoi des chars, et les sociaux-démocrates du parti d’Olaf Scholz, qui y sont plus réticents.
Plus la discussion avançait, plus on comprenait qu’ avec ou sans l’aval de Berlin, Varsovie était bien décidée à monter en gamme dans l’armement de l’Ukraine. Un coup de pression supplémentaire sur le chancelier allemand. On jaugera l’ampleur, limitée ou profonde, des dégâts que ce débat aura produits sur la crédibilité des Occidentaux à la façon dont se passeront in fine les livraisons.
La crédibilité de la partie ukrainienne est sans doute aussi un des objectifs poursuivis par l’annonce, à Kiev, le 24 janvier, de la démission de trois hauts responsables soupçonnés de corruption dans le cadre de contrats d’achat à des prix gonflés de provisions à destination de l’armée. L’importance de leur fonction (le vice-ministre de la Défense, le chef-adjoint de l’administration présidentielle, un procureur général adjoint) situe la gravité de l’affaire dans un pays réputé de longue date «expert» en la matière. La «bonne» nouvelle est que ces actes ont été dénoncés par le sommet de l’Etat. La mauvaise est que de telles pratiques puissent perdurer même en temps de guerre. «Ignorer la guerre est un luxe que personne ne peut se permettre», a rappelé Volodymyr Zelensky. Sale temps pour l’Ukraine et ses alliés.
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