Trump dans le rôle idéal de martyr
Son inculpation pour une simple affaire de comptes de campagne fait taire les dissensions au sein du Parti républicain. Mais la suite de son agenda judiciaire est plus sensible.
Donald Trump a été officiellement mis en examen le 4 avril pour avoir inclus dans ses comptes de campagne de l’élection présidentielle de 2016, au titre de frais juridiques, la somme de 130 000 dollars versée par son avocat à une actrice de film pornographique afin d’acheter son silence sur une relation sexuelle consentie datant de 2006. Escorté par la police et les services secrets, l’ancien président s’est rendu dans les bureaux d’Alvin Bragg, le procureur en charge de son dossier, pour se voir signifier ses chefs d’accusation, après avoir passé la nuit dans son ancienne résidence de Midtown, à Manhattan.
Cette inculpation, une première pour un ancien président, attise les fantasmes d’une partie de l’électorat sur une «conspiration démocrate» contre Donald Trump, accusation relayée par le milliardaire lui-même depuis qu’il a fait savoir à ses abonnés du réseau Truth Social, le 22 mars, qu’il serait mis en examen. Cette procédure, diligentée par un procureur démocrate qui a poursuivi le travail de son prédécesseur du même bord politique, intervient alors que l’ancien président, en campagne électorale pour 2024, se bat déjà sur plusieurs autres fronts judiciaires.
Il fait toujours l’objet de deux enquêtes conjointes du département de la Justice, l’une pour son implication dans le soulèvement populaire ayant mené à l’invasion du Capitole le 6 janvier 2021, l’autre pour avoir emmené à son domicile des centaines de documents classifiés après son départ de la Maison-Blanche. Il est aussi au centre d’une enquête dans le comté de Fulton, en Géorgie, pour l’appel télé- phonique passé au secrétaire d’Etat local Brad Raffensperger, lui intimant de trouver les quelque onze mille voix nécessaires pour renverser en sa faveur l’élection présidentielle de 2020 dans cet Etat. Dans les jours précédant son arrivée à New York, Donald Trump s’est gardé de trop haranguer ses partisans à manifester leur soutien à sa cause, car il se sait suivi de près dans le cadre de tous ces dossiers. Un nouveau faux pas pourrait donner du grain à moudre aux enquêteurs.
Les promesses de don à la campagne de Trump ont afflué entre la révélation de sa prochaine inculpation et sa notification officielle.
Une «victime du système»
L’inculpation de l’ancien président pour un délit d’une gravité relative en regard des autres charges qui pèsent sur lui, est un pari de taille pour Alvin Bragg. Elle pourrait bien amener à renforcer l’image de Donald Trump comme «victime du système». C’est en tout cas la ligne de défense du principal intéressé, reprise par l’ensemble d’un Parti républicain uni comme jamais, mais davantage en opposition aux démocrates qu’en soutien à Donald Trump. C’est au nom de ce virulent sentiment antidémocrate rarement observé dans la période contemporaine que Ron DeSantis, son principal rival dans la course à l’investiture républicaine, ex-protégé et actuel gouverneur de Floride, n’a pas eu d’autre choix que de le soutenir.
En retard dans les sondages par rapport à Trump, Ron DeSantis ne peut pas, au stade actuel, prendre le risque de se mettre à dos la base républicaine, unie derrière l’ancien président. C’est une carte supplémentaire dans le jeu de Donald Trump: ses ennuis judiciaires accroissent son aura plus qu’ils l’affaiblissent. Le sentiment est corroboré par les promesses de don à sa campagne qui ont afflué entre la révélation de sa prochaine inculpation et sa notification officielle. Elles ont totalisé sept millions de dollars.
Dans les sondages réalisés depuis l’annonce de la mise en accusation formelle de Donald Trump, la tendance est similaire. Ils montrent un affermissement du soutien du camp conservateur au 45e président des Etats-Unis: plus de 50% des votants républicains porteraient en effet leur choix sur ce dernier si la primaire républicaine devait avoir lieu prochainement. Dans un tel contexte, les deux poursuivants les plus crédibles de l’ancien président, Ron DeSantis et l’ex-ambassadrice à l’ONU Nikki Haley, ne peuvent se permettre de l’attaquer frontalement. Ils en sont réduits à suivre le mantra trumpiste de la victimisation permanente.
Des voix modérées inaudibles
Donald Trump, qui n’ira pas en prison, du moins pas pour cette affaire, se retrouve dans une position qu’il affectionne particulièrement, celle de bouc émissaire d’un système entièrement construit contre lui. Il est suivi dans ses revendications par l’ensemble de son camp, et, comme le rappelle Laurence Nardon, directrice du programme nord-américain à l’Ifri (Institut français des relations internationales), «les (rares) voix républicaines modérées sont actuellement complètement inaudibles». Compétiteur hors pair, Trump ne manquera sans doute pas, durant sa campagne, de se profiler comme un guerrier en résistance. Pour Angie Wong, de l’organisation des «Vétérans pour Trump», «le camp démocrate, à travers ses procureurs, joue un jeu qui se retournera contre lui, en persuadant la population que la seule chose qui est visée est la campagne de Trump».
Compétiteur hors pair, Trump ne manquera pas, durant sa campagne, de se profiler comme un guerrier en résistance.
La suspicion par défaut envers la classe politique fait partie de l’ADN politique américain. Le pays s’est fondé sur une rébellion contre le joug anglais. Et les pères fondateurs ont mis tout en œuvre pour éviter une tyrannie du pouvoir exécutif et législatif contre la population, notamment à travers les nombreux amendements à la Constitution censés garantir la liberté des citoyens. Donald Trump surfe depuis des années sur ce sentiment antiélites. Les procureurs démocrates – tout comme le département de la Justice – sont censés faire preuve de prudence pour ne pas renforcer l’image de martyr de l’ancien président. Les prochains mois s’annoncent cruciaux à cet égard. L’affaire de l’affectation controversée de la somme d’argent versée à l’actrice porno Stormy Daniels dans ses comptes de campagne n’est que la première étape – et sans doute la plus légère – d’une lutte qui s’annonce impitoyable. Reste à voir qui de la justice ou de Donald Trump en tirera le meilleur profit.
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