Tricheries et champignons
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En 1935, Sacha Guitry publie les Mémoires d’un tricheur. Le héros – à moins qu’il soit antihéros ? – inaugure l’histoire par une petite tricherie : il vole 6 sous dans la caisse de l’épicerie familiale. La sanction tombe : le grand-père prive l’enfant d’un plaisir important pour lui : » Ce soir, tu seras privé de champignons ! » Peu de temps après, l’intéressé se retrouve seul derrière les sept corbillards qui emmènent tous les autres membres de la famille, empoisonnés par des champignons vénéneux. La leçon est claire : la tricherie sauve la vie. A partir de là, il l’érige en système et en fait son mode de vie.
En 2005, le contexte social n’est-il pas truffé de champignons ? J’entends par là des signes lancés, tous azimuts, que la tricherie paie et que celui qui s’en prive n’est qu’un idiot.
Une déclaration libératoire unique, même si elle ne blanchit pas complètement le déclarant, déclare à tout contribuable moyen qu’il y avait plus malin que lui et que, pour des raisons budgétaires pressantes, les malins peuvent quand même profiter largement de l’élasticité de leur sens civique face à l’impôt. Et, pour être sûrs qu’on ait bien compris, un an plus tard, les concepteurs de ce projet en remettent au monde un frère jumeau : les tricheurs peuvent se refaire une virginité à moindres frais, proportionnels à la rapidité de la repentance. C’est plus simple et sans doute plus rentable qu’un repérage soigneux des fraudeurs et une application stricte et juste des sanctions prévues par la loi. Quelles sont, dans ces Mémoires d’un fraudeur, les victimes des champignons vénéneux ? Les naïfs qui considèrent que la fraude fiscale équivaut à plonger la main dans la poche de chacun de ses voisins.
Mais ceux qui nous appellent au civisme, les responsables du bien commun que sont les hommes politiques, nous montrent-ils la voie à suivre ? Partout ailleurs, peut-être, que dans les sociétés qui gèrent le logement social. Car là, on découvre soudain des tricheries éhontées qui transforment l’objet social en calcul électoral et l’argent des rénovations en frais de restauration. On s’indigne et on en a » marre « . Mais est-il si certain que tout sera fait pour débusquer les abus partout où ils se terrent et que les abuseurs ne fourniront pas des explications assez convaincantes pour s’en sortir avec quelques peines symboliques ?
Et que dire des lettres adressées ici à un juge, là à un procureur, et qui seront classées comme des maladresses et pardonnées à ceux qui prient de les excuser, parce que leurs intentions étaient, tout compte fait, louables, mais leurs moyens, malencontreux ? La droiture politique serait pourtant le premier et le plus droit chemin pour que le citoyen marche droit et respecte le droit. Celui qui marche droit en arrive-t-il nécessairement au carré d’amanites phalloïdes ?
Il y a peu, pour ne pas être en reste de signes inquiétants, le monde de l’éducation s’est manifesté. La commission de recours chargée de superviser les décisions d’échec prises par les écoles a donné le blanc-seing à un étudiant qui a tout juste triché – subtilisé les questions d’examen à son père, professeur, pour les vendre aux amateurs – et qui n’a pas représenté l’examen incriminé, pour cause de maladie certifiée par la Faculté. Quels que soient, en l’affaire, les principaux tricheurs et les » bonnes » raisons qui ont dû présider à cette décision, celle-ci sera interprétée par la plupart comme une prime à la fraude. Et notre héros regardera passer les cercueils de tous les étudiants corrects, assassinés par les champignons.
Ce dernier cas se distingue des autres parce qu’il s’intègre dans un contexte éducatif. La tricherie pendant la formation prépare la tricherie de la vie courante, professionnelle et citoyenne. Seules la réprobation unanime et la répression de tous, éducateurs et parents solidaires, empêcheront de considérer cette façon d’agir comme normale, sinon comme habile, et de la transposer dans les comportements de l’adulte. Sans manquer au respect du coupable, nous sommes tous appelés à dénoncer la faute en fuyant toute ambiguïté.
A ce prix seulement, nous rendrons son éclat à une valeur sans laquelle toute vie sociale périclite, la droiture. Sinon, la tricherie sous toutes ses formes inventives et malignes ira de l’avant en appuyant à fond sur le champignon.
Par François-Xavier Druet, docteur en philosophie et lettres, enseignant dans l’enseignement second
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