Travail au noir
Deux nouveaux coffrets de Jimi Hendrix et Miles Davis posent la question de l’exploitation ad vitam des archives : doit-on, sous prétexte de versions inédites, vendre de vieux concerts parfois semblables juste pour encaisser les dividendes de la légende ?
Jusqu’où peut-on aller dans l’exploitation du mythe des stars défuntes ? L’actualité télescope la question via deux sorties employant le même principe. Aligner dans un même objet discographique plusieurs enregistrements live captés au même endroit ou dans la même tournée, a-t-il une autre valeur que strictement commerciale ? Mort le 18 septembre 1970 à l’âge de 27 ans, Hendrix est un artiste très prolifique au rayon post mortem : dix albums studio sont parus depuis sa disparition et l’actuel coffret 4 CD qui nous mène en octobre 1968 à San Francisco, est le 19e live édité depuis sa fatale overdose londonienne !
Au Winterland, ancienne patinoire de hockey où s’entassent 5 400 personnes, Hendrix fait flamber, à six reprises en trois jours, son trio avec les Anglais Mitch Mitchell et Noel Redding : on est à deux semaines de la parution de l’ultime album studio enregistré de son vivant ( Electric Ladyland) . On n’a jamais cessé de fantasmer sur la géniale dextérité d’Hendrix, mais ce qui frappe une nouvelle fois, c’est la sexualité émanant du chant et des glissandi de guitares, magma de blues tectonique d’une émotion séminale. Même si la liste de chansons se nuance au fil des trois soirées, il n’y a rien ici qui n’ait été évoqué ailleurs auparavant, une première version du concert étant d’ailleurs parue en 1987. Les fans hardcore adoreront ces quasi cinq heures de musique fluviale à l’excellence sonore, les novices s’avoueront bluffés et désarmés, le grand public pensera que c’est juste un objet de culte supplémentaire, sans nouvel éblouissement. A l’exception, peut-être, de l’inclusion des 19 minutes d’interview de Jimi bouclées le 16 novembre 1968, à Boston…
Freebop
Autre blaxploitation, celle concernant Miles Davis (1926-1991), trompettiste ayant élargi le sens du mot jazz, notamment par ses inductions rock, funk et world au tout début des années 1970. Mais, à l’époque concernée par ce coffret live de 1967, Miles en est encore à régler ses comptes avec l’héritage be-bop, improvisant de plus en plus vers une approche modale. Ce freebop qui renaît chaque soir est porté par quatre musiciens d’exception : Ron Carter à la contrebasse, Herbie Hancock au piano, Tony Williams à la batterie et Wayne Shorter au saxophone. Le second quintet de Miles – après l’éblouissement fifties mené en compagnie de John Coltrane – est à une année de sa désintégration et donc en pleine combustion musicale. Miles & C° brûlent leurs standards de la mid-sixties ( Masqualero, Gingerbread Boy, Riot), y rajoutent Round Midnight, et semblent changer de peau, ou tout au moins d’impro, à chaque soirée, l’une d’entre elles étant d’ailleurs bouclée à la salle Reine Elisabeth d’Anvers. Le vrai bonus tient dans le DVD et ces images noir et blanc à la fois fripées et transcendantes où cinq mecs en costard étalent leur version indémodable du XXe siècle. Par rapport au box Hendrix, celui-ci dégage un moindre sentiment de répétition.
PHILIPPE CORNET
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