Stade, stars et chantier: comment Sam Baro veut faire grandir Gand
Nouveau propriétaire de La Gantoise, l’entrepreneur belge Sam Baro transforme tout ce qu’il touche en or. Réussira-t-il pour autant dans l’univers impitoyable du ballon rond?
C’est sans doute un caprice de patron. Ses employés s’y prêtent toutefois sans trop rechigner, peut-être parce qu’ils se souviennent que c’est le boss qui règle l’addition de cette fête du personnel plutôt fastueuse, organisée dans l’un de ses châteaux. Chacun est placé avec minutie, pour que la photo prise du ciel forme 24 lettres et une phrase: «Sam Baro is een echte Buffalo.» (Sam Baro est un vrai Buffalo).
L’entrepreneur flamand n’a pourtant rien d’un Buffalo pur jus. Avant de racheter le club, il n’était pas un supporter de La Gantoise, KAA Gent de son nom officiel. Sam Baro n’a pourtant pas injecté ses millions dans la moderne Ghelamco Arena pour un séjour de courte durée. On dit de lui qu’il veut réussir une prouesse que seul Bart Verhaeghe (à Bruges) est parvenu à accomplir sur le sol belge: rendre un club de football rentable sans compter sur les plus-values engendrées par le marché des transferts.
Avec lui, Gand épouse une forme de continuité. Parce que comme son prédécesseur Ivan De Witte, Baro est l’un de ces self-made-men que la Flandre vénère, qui a fait fortune dans le secteur des ressources humaines. Hudson, l’entreprise aujourd’hui revendue par De Witte, est active dans le secteur de la consultance et des chasseurs de têtes. Planet Group, la boîte du nouveau patron gantois, s’est spécialisée dans les missions d’intérim dans l’informatique, les ressources humaines et les soins de santé. Des domaines souvent sujets à pénurie, et aux marges élevées pour ceux qui peuvent fournir du personnel. Baro l’a bien compris, lui qu’un chef d’entreprise qui le connaît bien décrit comme «enthousiaste et infatigable», mais aussi «opportuniste dans le bon sens du terme: quelqu’un qui voit les opportunités». Une caractéristique qui mène forcément à la diversification, et le met aujourd’hui à la tête d’une entreprise de catering, d’un bureau de design, d’un restaurant, d’une maison de production de films d’entreprise, d’une ferme biologique et d’une marque de liqueur de poire. Egalement actif dans l’immobilier, avec une préférence pour les biens historiques, Sam Baro réside actuellement dans un château, à Assenede, en Flandre-Orientale, mais possède également une chapelle baroque du XVIIe siècle en plein centre de Gand et le château de Jemeppe, près de Marche-en-Famenne, que visait également Axel Witsel.
Comme son prédécesseur Ivan De Witte, Baro a fait fortune dans les ressources humaines.
Au printemps, l’homme d’affaires a encore mis la main sur AVS, l’une des deux chaînes de télé régionales de Flandre-Orientale. Le contrat à peine signé, Baro ressortait le stylo. En juillet, ce sont 95% des parts du KAA Gent qui sont arrivées dans son escarcelle. «Comment je fais pour gérer tout ça? Je me le demande tous les jours», confiait-il voici deux mois au magazine en ligne Bloovi.
Les projets de Sam Baro
Hormis lors d’une conférence de presse, lors de laquelle il a surtout laissé parler Ivan De Witte et le manager Michel Louwagie, Sam Baro n’a pas encore parlé aux médias depuis son intronisation à la tête des Buffalos. Signe que peu de choses ont changé malgré le rachat de l’été. De Witte et Louwagie restent en poste jusqu’au terme de la saison, et il n’est pas impossible que le second, qui dirige les affaires sportives gantoises depuis plus de trois décennies, prolonge son bail.
Plutôt qu’à une conférence de presse, c’est à un événement dédié aux supporters au début du mois de septembre que l’on a assisté pour connaître les plans à long terme du nouveau patron. L’occasion d’apprendre également que lors du mercato, il s’est personnellement opposé au départ de Gift Orban, sensation des premiers mois de l’année 2023. Le Nigérian, 21 ans à peine, transformait chaque ballon touché en but, au point de convaincre des clubs comme Tottenham, Fulham ou Lille de proposer 25 millions d’euros pour ses services. Baro a dit non. Les fans ont gardé le sourire, l’entraîneur Hein Vanhaezebrouck en a esquissé un, mais les comptes gantois sont moins ravis. La hype autour d’Orban a diminué en même temps que son insoutenable ratio de buts par rencontre. Aujourd’hui, il est même régulièrement mis sur le banc, et pas mal de ses soupirants sont déjà passés à la rising star suivante.
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Ce soir-là, Sam Baro avait aussi quelque chose à demander à ses supporters. Il aimerait les voir arriver au stade plus tôt et plus nombreux. «On encaisse souvent un but dans le premier quart d’heure, constate le nouveau proprio des Buffalos. Si le stade est rempli pour chaque match à domicile et que les supporters mettent déjà de l’ambiance, ce soutien des tribunes s’imprimera dans la tête des joueurs. Je suis psychologue de formation: avec l’adrénaline, les joueurs démarreront mieux les matchs.» Il faut dire que dans les tribunes belges, le Gantois est connu comme un client difficile. Malgré une septième participation consécutive à une Coupe d’Europe et un stade flambant neuf, les vingt mille sièges de la Ghelamco Arena ne sont souvent remplis qu’aux trois quarts, loin de la folie du milieu des années 2010 où trouver un ticket était quasi mission impossible.
Certains feront remarquer qu’un stade rempli comble les intérêts de Sam Baro, et même plutôt deux fois qu’une. Son entreprise de catering, De Feestarchitect, vend depuis peu des «haute dogs», une version plus guindée du traditionnel pain- saucisse des abords de stade. En prélude à l’affrontement européen face aux Islandais de Breidablik, programmé un jeudi à 18 h 45, De Feestarchitect avait ainsi organisé un afterwork. Dans le milieu de l’entrepreneuriat, on appelle ça les synergies. Celles qui veulent aussi qu’AVS a récemment lancé Studio Buffalo, un programme qui renforce l’impact de la chaîne régionale et l’image du club.
Finances mesurées, stade sous-exploité?
Quadragénaire, riche mais pas encore dans la même cour que les poids lourds Marc Coucke (Anderlecht), Paul Gheysens (Antwerp) ou Bart Verhaeghe (Bruges), Sam Baro est un propriétaire de club atypique. Sa prise de pouvoir à la Ghelamco Arena résulte surtout de la volonté des anciens dirigeants de ne pas transmettre leur bébé à des investisseurs étrangers, de plus en plus nombreux et gourmands chez nous. La Gantoise devait rester ancrée dans sa région, dirigée à l’image de ce qui se fait chez les Buffalos depuis la fin des années 1990, quand Ivan De Witte et Michel Louwagie ont sauvé le club de la banqueroute pour l’amener progressivement dans les hautes sphères du football belge.
Ces derniers temps, se maintenir en haut de tableau est toutefois devenu plus difficile. Les Gantois doivent lutter contre des concurrents qui souffrent bien moins de leurs pertes financières, tant qu’elles sont assorties de succès sportifs, dans un football belge devenu l’esclave des augmentations de capital qui masquent les pertes structurelles, identiques partout: la masse salariale des joueurs est trop élevée pour être comblée par les revenus de l’Horeca, du stade et des droits télévisés, et seuls de gros transferts sortants permettent de soulager les comptes. Dans un entretien accordé au magazine Trends, Michel Louwagie la jouait cynique: «Un club du top belge doit avoir un déficit d’exploitation. C’est presque la garantie d’éviter les problèmes sportifs, parce que ce déficit vient principalement des salaires élevés, qui sont normalement le signe que vous avez de bons joueurs. Un déficit d’exploitation offre une sécurité sportive.» Même La Gantoise, réputée pour sa fiabilité, connaît ainsi des pertes financières pour la quatrième année consécutive.
Il n’a rien d’un Buffalo pur jus. Il n’était même pas un supporter de La Gantoise.
La Ghelamco Arena ne devait-elle pas résoudre ces problèmes? En 2013, quand le club a pris ses quartiers dans son nouveau stade, on évoquait une décennie d’avance sur ses concurrents. Les revenus prouvent aujourd’hui que ce nouveau stade porte ses fruits, avec de bonnes recettes, mais Baro y voit un potentiel à encore mieux exploiter. Le nouveau propriétaire des Gantois se serait ainsi informé sur la possibilité d’organiser des événements dans le stade, à l’image des concerts au stade roi Baudouin. A la mi-temps du match contre Breidablik, il a également invité les supporters visiteurs à se rendre dans une autre tribune, afin de pouvoir fermer deux bars superflus et de mieux utiliser le personnel œuvrant derrière les comptoirs.
Les remous de la revente
Avec sa façon de déambuler sans complexe entre les blocs de supporters, serrant des mains et posant pour des selfies, Sam Baro s’est rapidement fait apprécier du public. Il a également marqué des points en ramenant les porte-drapeaux d’autrefois, éveillant un sentiment de nostalgie auquel le public gantois est sensible.
Difficile, de toute façon, de ne pas susciter un sentiment d’enthousiasme dans la foulée de celui, négatif, qu’avaient fini par provoquer les anciens patrons. Le ressentiment remonte à 2016, quand le club a cessé d’être une asbl pour devenir une société coopérative, distribuant à une cinquantaine de vieux serviteurs du club des actions qui étaient alors décrites comme purement symboliques. Sept ans plus tard, au moment où Sam Baro est passé à la caisse, l’explication a pris des airs de mensonge. Les actionnaires ont été largement récompensés, notamment Ivan De Witte (2,5 millions d’euros) et Michel Louwagie (1,5 million), mais aussi des personnes qui n’avaient jamais injecté d’argent dans le club, voire n’y avaient jamais travaillé. Au conseil communal de Gand, on parlait alors de scandale. Il y avait même une impressionnante unanimité des partis politiques locaux pour condamner l’accord, agrémentée de termes comme «enrichissement personnel éhonté» ou «manque de sens moral». La conclusion de Sofie Bracke (Open VLD), échevine des sports, était alors qu’il n’y avait aucun moyen légal d’empêcher la vente de ces actions, «même si cela ne correspondait pas aux déclarations antérieures des actionnaires. Je partage l’indignation à ce sujet.»
Controversé, ce deal reste néanmoins une bonne affaire pour le club, tout comme pour le nouveau propriétaire quand on connaît les normes du milieu. A Anderlecht, Marc Coucke a payé quatre-vingts millions d’euros, entièrement offerts aux actionnaires précédents. Il a trouvé un club avec des caisses vides, des cadavres dans les placards et s’est vu contraint de procéder à une série d’augmentations de capital. De son côté, Baro n’a payé «que» 31 millions pour La Gantoise, dont 7,7 pour acheter les parts des anciens administrateurs. Le reste est disponible pour le club, à l’unique condition que le nouveau propriétaire consacre quelques millions pour des actions caritatives et des bonnes œuvres. Avec cette vente, le club a donc rempli sa tirelire, vidée par la crise sanitaire et financière.
Sam Baro l’a déjà bien compris: le football n’est pas seulement une question de beaux bilans financiers. Le terrain reste le juge de paix. A court terme, Gand lui donne de nombreuses raisons de sourire: l’équipe n’a plus semblé si forte depuis plusieurs années et le Top 3, voire le titre, n’est plus un objectif inaccessible. Les principales questions se poseront probablement la saison prochaine. Qui prendra en charge la gestion sportive, que doit normalement quitter Michel Louwagie? L’aventure continuera- t-elle avec Hein Vanhaezebrouck, entraîneur très influent et actuellement dans sa dernière année de contrat?
Quelques entretiens d’embauche s’annoncent au menu. Heureusement, le nouveau patron en connaît un rayon en matière de ressources humaines.
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