SOS président
Nicolas Sarkozy multiplie les rendez-vous avec des visiteurs non institutionnels, notamment des victimes. Regard sur un chef de l’Etat qui reçoit, console, promet.
C’est une histoire qui commence avec des allures de canular et se termine par une boutade présidentielle. C’est une histoire que n’oublieront jamais ceux qui l’ont vécue. Mbiavanga Lusikama est chauffeur livreur pour La Poste. Le 22 août, après un appel du directeur du cabinet du préfet des Vosges, il est reçu par le sous-préfet, dans son bureau. Au mur, le portrait officiel du président de la République. » Vous voyez ce monsieur, derrière vous, en photo ? Eh bien, il souhaite vous rencontrer à l’Elysée. » Mbiavanga Lusikama croit à une blague. Certes, la veille, le professeur qui avait lancé des insultes racistes à son fils a été condamné à un mois de prison avec sursis. De là à imaginer un rendez-vous avec le chef de l’Etat françaisà
Dès le lendemain, la voiture du sous-préfet amène le père et l’adolescent jusqu’au palais de l’Elysée. Au jeune homme, Nicolas Sarkozy, informé du dossier dans ses moindres détails, explique qu’il a été » très choqué » : il veillera même à ce que le proviseur, qui n’a pas réagi, soit blâmé. Il ajoute qu’il n’accepterait pas de voir l’adolescent grandir avec une blessure morale : » Tu n’as aucune honte, ni aucune gêne à avoir en ce qui concerne tes origines. Tu es français avant tout. » Une demi-heure de discussion, avec même une digression sur le basket, la passion du garçon, et une séance photo pour finir. » Est-ce que vous voulez que je mette une veste, ou je peux rester en chemise ? » interroge le président. » Si cela ne vous ennuie pas, je préférerais que vous mettiez une veste « , ose le père. Qu’à cela ne tienne : le chef de l’Etat file dans son bureau et revient : » Est-ce que je suis beau comme ça ? » Le père de l’adolescent injurié est bluffé. » J’ai toujours voté à gauche, mais, depuis que je l’ai vu, je me dis que j’aurais dû voter pour lui, avoue-t-il. Grâce à lui, mon fils est aujourd’hui considéré. Même moi, au travail, on ne me regarde plus de la même manière. »
A l’Elysée, la directrice de cabinet, Emmanuelle Mignon, a installé une cellule qui travaille vingt-quatre heures sur vingt-quatre : trois policiers et trois gendarmes se relaient pour repérer les faits d’actualité susceptibles de prendre de l’ampleur. Les conseillers signalent aussi toute victime lançant un appel au président français, qui décèle parfois lui-même, dans la presse, certaines histoires. » Dans six mois, être reçu à l’Elysée sera l’indice de l’importance d’une affaire « , s’inquiète un opposant.
Pour le moment, la méthode fonctionne pleinement. Premier principe : rapidité et réactivité. Le 3 août au soir, le jeune Alexandre est enlevé, dans le centre-ville de Saint-Denis, sur l’île de la Réunion. Moins d’une demi-heure après la libération de l’enfant, le lendemain, la mère reçoit un appel de Nicolas Sarkozy, en vacances à Wolfeboro. Elle n’a même pas encore eu le temps de se rendre à l’hôpital où son fils a été envoyé pour examen. Le 24 août, le président s’entretient avec les familles des aides-soignantes tuées en 2004 à l’hôpital psychiatrique de Pau. Le mari de l’une des victimes, Hervé Gariod, avait à maintes reprises contacté l’Elysée, en vain. La venue du président dans la région a permis la rencontre. L’ambiance est tendue, les familles ne comprennent pas comment l’assassin de leurs proches peut bénéficier d’un non-lieu parce qu’il serait » irresponsable « . Alors, le chef de l’Etat appelle en direct la ministre française de la Justice, Rachida Dati, pour lui demander de trouver des solutions au problème.
Deuxième principe : l’implication personnelle. » Quand je me suis retrouvé devant la famille d’Enis, je me suis dit : « Et si j’avais été à leur place ? » » explique Sarkozy le 20 août. Là encore, l’entretien avec le père et le grand-père du petit garçon victime d’un pédophile à Roubaix a marqué les participants. » Il a pris des engagements, qui restent confidentiels, pour l’épanouissement de l’enfant « , confie l’avocat de la famille.
Car le président veille aux répercussions des affaires, notamment aux difficultés matérielles. Dans la nuit du 23 au 24 juin, le chef d’escadron Norbert Ambrosse est tué lors d’une intervention contre des cambrioleurs. Le lendemain, l’Elysée appelle sa femme : » Voulez-vous parler au président de la République ? » Le chef de l’Etat présente ses condoléances, demande le prénom des enfants, pose des questions : » Alors, vous allez retravailler ? » L’heure de la cérémonie militaire est fixée en fonction de l’agenda présidentiel. » On va faire une belle cérémonie pour votre papa, lance Nicolas Sarkozy aux enfants. Vous vous en souviendrez toute votre vie. Vous viendrez m’aider pour décorer votre papa, tout à l’heure ? » A l’issue de l’hommage, il s’isole avec les membres de la famille. Il leur propose de demeurer à vie dans leur appartement actuel, à Lyon. Et comme l’épouse préfère changer d’air, l’Elysée aidera à son déménagement. De même, le dossier judiciaire sera étudié. L’avocat a reçu un courrier en ce sens, signé Sarkozy : » Amicalement, bien cher confrère. » A la mère, le président a laissé son numéro de portable, » en cas de besoin « .
C’est le troisième principe : le suivi des affaires. Le 22 août, juste avant les obsèques de son mari, un patron pêcheur tué dans le naufrage de son bateau, Yvette Jobard accueille à son domicile le président. Après lui avoir donné les coordonnées d’un collaborateur, il ne classe pas pour autant le dossier. Quatre jours plus tard, c’est lui-même qui la rappelle pour la prévenir qu’il n’aurait pas au téléphone dès le lendemain, comme prévu, son homologue des îles Kiribati, dont le pavillon flotte sur le cargo responsable de l’accident. Le 30 août, il a reçu Mme Jobard, pour la tenir informée de l’enquête.
La famille d’Ingrid Betancourt, otage en Colombie depuis 2002, se sent également soutenue. Au moment du deux millième jour de détention, en août, le président a appelé Mélanie pour lui redonner le moral : » Elle est vivante, on va y arriver, on va la sortir de là. » Les rendez-vous donnent l’impression d’être utiles. Le premier mari d’Ingrid, Fabrice Delloye, évoque le contraste avec Jacques Chirac : » Il n’y a pas chez Nicolas Sarkozy cette onction souvent liée à la fonction de chef de l’Etat. Il se comporte en capitaine de navire, tranchant des questions concrètes. »
L’action, au-delà de la compassion, constitue le quatrième principe de la démarche présidentielle. Osange Silou-Kieffer, épouse du journaliste disparu en Côte d’Ivoire depuis 2004, et Bernard, son frère, ont été reçus le 23 août, alors qu’une rencontre avec Chirac, maintes fois demandée, n’avait jamais eu lieu. » Nous n’avons pas eu droit aux questions habituelles, qui, dès le début, prouvent que l’interlocuteur ne connaît pas le dossier « , raconte Mme Kieffer. Au contraire, sur le travail des juges ou le rôle de la brigade criminelle, le chef de l’Etat décide.
Les Borrel ont pu mesurer les effets d’une rencontre présidentielle. » J’ai senti chez lui une liberté de ton qui changeait radicalement par rapport au mépris de l’époque précédente, où nous nous heurtions à une obstruction systématique, pour des raisons diplomatiques « , relève l’avocat de la veuve du juge Borrel, brutalement décédé à Djibouti en 1995. Dans les heures qui suivirent l’entretien, le 19 juin, le parquet de Paris rendit public un communiqué affirmant que les derniers éléments de l’enquête » militent en faveur d’un acte criminel » – alors que la justice française a longtemps privilégié jusqu’alors la thèse du suicide. » C’est l’une des premières fois que nous rencontrons un dirigeant international qui place les choses sur un plan concret « , se réjouit aussi un participant à la rencontre entre le chef de l’Etat et les proches des soldats israéliens, dont un a aussi la nationalité française, enlevés en 2006 par des groupes armés palestiniens.
Aurore Berthe et Eric Mandonnet, avec Axel Gylden, Christine Kerdellant, Eric Pelletier, Romain Ros
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