Sortilèges poétiques
Le Pays noyé parcourt l’ouvre de l’écrivain belge Paul Willems en mosaïques délicates : un très beau voyage d’arts multiples, dessiné par Frédéric Dussenne
Le Pays noyé. Au théâtre du Rideau de Bruxelles, jusqu’au 14 avril.
Tél. : 02 507 61. Paul Willems est édité chez Labor, Fata Morgana, le Cri et les Cahiers du Rideau de Bruxelles.
Voyage de mélancolie et de sourires sur les berges poétiques qui » crachent des mots comme des bulles de savon « , voyage raffiné, dansé, chanté, joué, entre les £uvres de Paul Willems (1912-1997). Ne cherchez pas à vous accrocher aux éclats fragmentés de ses pièces, poèmes lettres, conversations qui jonglent avec la logique et en tissent de subtils échos. Laissez-vous dériver au gré des » sensations des sons, des tessons de lumière « , comme le propose le metteur en scène Frédéric Dussenne qui a donné vie à ce spectacle plein d’émotions diffuses, de fragilités et de tendresse pour l’univers du poète et dramaturge belge, » francophone de Flandre « .
L’£uvre de Willems, ces Arrière-pays, Cathédrale de brume, Herbe qui tremble, Miroirs d’Ostende, Pays noyé…, le metteur en scène en a souvent goûté les sortilèges, au gré des plateaux et des rencontres avec l’auteur. Pour le Rideau de Bruxelles, maison de l’un et de l’autre, il a soudé une très belle équipe dans un décor-mirage de Vincent Lemaire : long mur courbe de boiseries blanchies, aux trois portes, noires comme le piano, comme les vêtements des hommes. Et, lorsque ceux-ci frôlent ce mur, le blanc d’Espagne les macule et dévoile par fragments ses reflets noirs. » Dire des choses qui signifient autre chose « , plages de mémoire, reconquête de l’innocence, fusion des hommes et des lieux, espace de contagion des rêves, vagues d’eau sur la terre : le spectacle s’appelle Un pays noyé, il parle de paradis perdu, de guerre, d’amour, de mort, d’arbre, d’Escaut qui respire… » Ne pas jouer au théâtre, mais être la musique « , écrivait Willems à Dussenne.
Pascal Charpentier, qui a composé des mélodies se lovant sur les mots du poète, ne quitte pas son clavier et Thibaut Lenaerts, qui offre son timbre chaud et doux de mélodiste, emmène Le Voyage d’hiver, de Schubert, dans sa valise qui, elle, passe de main en main… Benoît van Dorslaer mène le jeu, il est Astrov le chat, il en a la souplesse, l’imprévisible détente, il est le passeur du poète, il ose le rire, le seau sur la tête, la robe noire… un peu fou, mais toujours juste. Béatrice Wegnez se coule dans l’enfant, la femme, à fleur de peau, et son sourire, son haussement d’épaules rompent toutes les digues ! Juan Martinez et Emmanuel Gaillard, l’acrobate et le piéton de l’air, se glissent entre bien des personnages, tous en connivence entre eux et avec le public. Le mariage des corps (en courbes dansantes mues par Edith Depaule), des voix et la si belle approche des souffles et des sensations d’une £uvre par Frédéric Dussenne réussissent un mystérieux alliage que l’on emporte avec soi comme un trésor. Chapeau !
Michèle Friche
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