Salut les copains
Il y a eu la rencontre décisive des années lycée. Puis les retrouvailles trente ans plus tard. Entre le romancier-éditeur et le roi des » tubes « , ça swingue à vie.
Ce sont peut-être les amitiés les plus solides, celles de l’adolescence. Qu’elles aient ou non connu des interruptions, elles rassurent, tels les derniers témoins de ce que l’on a pu être, font oublier les rides et semblent tout à coup éternelles. » Maintenant, on ne se quittera plus « , affirme Jean-Marc Roberts, l’un des rois du Saint-Germain des lettres. » On s’est retrouvés comme si l’on avait dîné la veille ensemble « , confirme Didier Barbelivien, le prince de la variété.
Trente ans ou presque sans se voir ! Les deux anciens camarades du lycée Chaptal n’en reviennent pas. Un sacré pan de vie, le temps de se marier, de divorcer, d’avoir des amours, des enfants ; le temps aussi d’écrire – une grosse vingtaine de romans pour Roberts, plus de 2 000 chansons pour Barbelivien. Puis vient un jour, il y a quatre ans environ, où l’auteur-compositeur-interprète joue, un dimanche après-midi, les maîtres de cérémonie sur le plateau de Michel Drucker. Parmi ses invités, Nicole Croisille, Claude Lelouch, Pascal Sevran età Jean-Marc Roberts. Le romancier et patron des éditions Stock accepte l’exercice, bien sûr, trop content de pouvoir dire du bien du parolier de C. Jérôme et de Patricia Kaas, mais de loin, en duplex. Car, ce même jour, sur les canapés rouges de France 2, il y a Nicolas Sarkozy, grand ami du chanteur de la porte d’Auteuil. Il est comme cela, Roberts, inflexible : pas de costume, pas de cravate, pas de connivence avec les ténors de droite, pas de palais de l’Elyséeà Ainsi a-t-il refusé de se rendre, en janvier dernier, à la cérémonie de remise de la Légion d’honneur à son copain par le président – rosette que le décoré arbore aujourd’hui sur son treillis de soixante-huitard. Barbelivien n’en prend pas ombrage, il en serait presque admiratif : » Jean-Marc a de vraies convictions, il s’y accroche ; comme un gardien de but, il veut défendre la cage jusqu’au bout « , souligne celui qui a suivi avec gourmandise une partie de la campagne électorale de son vieux compère de Neuilly. » Les élus sont les derniers héros des temps modernes « , affirme-t-il, sans ironie.
Sarkozy, la politique, le mode de vieà Sur le papier, les deux hommes semblent bien différents. Quoi de commun, en effet, entre l’intellectuel de gauche et le cador du show-biz ? Le premier déteste les voitures et les virées nocturnes, fuit les pince-fesses, se lève tôt, n’aime rien tant que les habitudes, ponctuées par ses allers-retours quotidiens entre son cher IXe arrondissement et le Ve, triangle d’or de l’édition, le tout ponctué par quelques courtes vacances (hier en Italie, aujourd’hui à Londres). Le second, la main baguée et le poignet ceint de bracelets, n’a, depuis ses 22 ans – l’âge de son premier magot (800 000 francs français de gains en 1976) – cessé de flamber, » en bon ancien pauvre « , multipliant les dépenses extravagantes : appartements, maisons, voitures, fringuesà Naviguant entre les quartiers chics de l’Ouest parisien et Cap Skirring, au Sénégal, Barbelivien, la tripe nomade, est capable à tout moment de sauter dans un avion pour aller faire coucou à son pote Julio Iglesias outre-Atlantique. Les Etats-Unis, le » cauchemar » de l’auteur de Mon père américain, Jean-Marc Robertsà Enfin, le plus grand faiseur de tubes de la fin du xxe siècle joue essentiellement les oiseaux de nuit et a peu de chances de rencontrer son ami au petit matin, à l’heure de l’embauche. Mais arrêtons là ! Et remettons une pièce dans le juke-box.
En les écoutant, chacun séparément, raconter leur adolescence, l’on comprend vite la force de leurs liens, les passions partagées et les points communs – la précocité et l’appétence pour la célébrité. Tout a commencé dans la cour de récréation du lycée Chaptal, à Paris, en 1969 ou 1970. » Ce fut un coup de foudre immédiat « , se souvient Roberts. Barbelivien est à peine moins emphatique : » Avec son allure de Rimbaud en trench-coat et son air égaré – mais on était tous un peu égarés – il m’intriguait et me fascinait. Et puis il était excessivement drôle. » » Il proclamait : « Vous apprendrez ma mort par les journaux du soir », et moi, je me disais : « Ce type-là est un génie » ; on se prenait beaucoup plus au sérieux qu’aujourd’hui « , reprend, en écho, notre Rimbaud aux cheveux grisonnants. » C’est vrai, on était aussi ambitieux qu’inconscients « , concède l’autre cinquantenaire.
Une chose est sûre, nos compères, nés tous deux en 1954, ne rêvent, en ces années 1970, ni de Polytechnique ni de HEC. Incollables, hier comme aujourd’hui, sur le répertoire chansonnier français et étranger, transfusés vingt-quatre heures sur vingt-quatre à Salut les copains, volontiers passagers clandestins à l’Olympia ou au Don Camilo, ils égrènent alors leurs idoles : Julien Clerc, Michel Polnareff, Bob Dylan, les Beatles, les auteurs-compositeurs Etienne Roda-Gil, Jean-Loup Dabadie, Maurice Vallet, mais aussi Aragon, Flaubert, Lautréamont, Saganà
» En fait, il voulait être écrivain, et moi chanteur « , affirme Roberts. Tous deux écrivent et chantent, en effet, avec plus ou moins de bonheur. Auprès de leur ami Gérard Stern ( » Un génie « ), pour qui ils composent les chansons d’un 45-tours (Barbelivien la face A, Roberts la face B), ils connaîtront même leur heure de gloire commune : le prix de la Critique à la Rose d’or d’Antibes – le must de l’époque, paraît-il. Mais c’est Roberts qui, le premier, se distingue, l’année de son bac, à 17 ans, avec la publication (après trois manuscrits refusés), au Seuil, de son premier roman, Samedi, dimanche et fêtes, couronné illico par le prix Fénéon. » Pour nous, ses copains, explique Barbelivien, Jean-Marc, c’était le nouveau Françoise Sagan. Il était invité à la télé, salué par la presseà » » Du coup, je la ramène un peu, confesse Roberts. Je deviens légèrement puant pendant un an. » De son côté, Barbelivien n’a pas à trop patienter. Après un essai romanesque insatisfaisant et d’intenses cours de solfège, il compose moult chansons qu’il dépose chez un éditeur. Il n’a que 20 ans lorsqu’il découvre, divine surprise, que l’une d’entre elles, Romanella, est retenue et chantée par Gianni Nazzaro.
A 22 ans, en 1976, c’est le jackpot. Tout le monde s’entiche de sa Michèle, interprétée par Gérard Lenorman. Le premier des centaines de tubes que ce fan de Léo Ferré et de Barbara livrera à, dans le désordre, Christophe (Petite fille du soleil), Michèle Torr (Les Amoureux), Philippe Lavil (Il tape sur des bambous), Gilbert Montagné (Les Sunlights des tropiques, On va s’aimer), Johnny Hallyday (Elle m’oublie), Patricia Kaas (Mademoiselle chante le blues, D’Allemagne, Mon mec à moi), C. Jérôme (Et tu danses avec lui), Michel Sardou (La Rivière de notre enfance, Marie-Jeanne)à Aux succès d’auteur viennent bientôt s’ajouter ceux d’interprète, seul (Elsa, Là où je t’aime) ou en duo avec Félix Gray (A toutes les filles) puis Anaïs (Les Mariés de Vendée).
Parallèlement, Roberts mène une double carrière, tout aussi brillante, mais moins sonnante et trébuchanteà Conseiller littéraire chez Julliard puis au Seuil dès la publication de son premier livre, il enchaîne les romans d’inspiration modianesque, à la musique douce-amère : Les Petits Verlaine, La Comédie légère, Les Enfants de fortuneà En 1979, coup de torchon ! Affaires étrangères, histoire de relations ambiguës entre un patron et son employé, décroche le Renaudot et son adaptation avec Piccoli (Une étrange affaire) le prix Louis-Delluc. On s’arrache l’ancien » petit gros « , comme sa mère, la comédienne Ada Lonati, a longtemps appelé son fils unique. Le futur éditeur d’Orsenna, d’Alexakis, d’Angot, de Claudel et grand manitou des prix littéraires approfondit sa veine romanesque autobiographique : Méchant, Mon père américain, Une petite femme, jusqu’à ces Cinquante ans passés (2006) où apparaît, sous son vrai nom, un certainà Didier Barbelivien.
Autant de romans que ce dernier s’est toujours empressé de lire, Roberts, lui, reprenant volontiers – et à tue-tête – les chansons de son mélodiste d’ami. Insatiables ils étaient, insatiables ils sont. » Finalement, à 55 ans, il est plus connu comme parolier que comme chanteur, et moi comme éditeur que comme romancier « , note, avec une pointe de regret, Jean-Marc Roberts.
» Il faut laisser le temps parler librement / Il faut laisser les heures couler doucement / Il faut laisser nos c£urs chanter différent / Il faut laisser le temps au temps / Il faut laisser passer les nuits les jours les années / Il faut laisser danser nos vies nos rêves nos idées / Il faut laisser tomber la pluie les matins d’été / Et renaître au soleil levant « , pourrait lui répondre Barbelivien. l
marianne payot
» On se prenait beaucoup plus au sérieux qu’aujourd’hui «
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