Roy Lichtenstein, pas si comics que ça !

Michel Verlinden Journaliste

Moins spectaculaire que Warhol, Roy Lichtenstein n’en a pas moins développé une ouvre cérébrale qui a fait de la citation sa marque de fabrique. La preuve en images au musée Ludwig de Cologne.

L’anecdote vaut son pesant d’or. Elle raconte qu’en 1962 Andy Warhol se serait présenté chez Leo Castelli, le grand galeriste new-yorkais, avec une série de toiles inspirées de la bande dessinée sous le bras. Castelli aurait répondu :  » Désolé, Monsieur Lichtenstein est déjà passé la semaine dernière.  » Pourtant, entre les deux géants du pop art, pas de copiage, ni de rivalité. Juste des convergences artistiques dues à une même sensibilité quant à la question de la représentation en peinture.

De ces deux démarches similaires a surgi un duo de destins divergents. Si la signature de Warhol attire les visiteurs par milliers, l’£uvre de Lichtenstein s’apparente à une sorte d’iceberg dont le grand public ignore la majeure partie. A peine son nom prononcé que sont dégainées des toiles comme Whaam ! ou Drowning Girl, emblèmes consacrés d’un travail inspiré des  » comics  » américains et de l’imagerie publicitaire des années 1950. Forgé au début des années 1960, ce vocabulaire plastique facilement repérable a désormais marqué l’histoire de l’art : trame de points Ben Day – du nom de l’inventeur de ce procédé de coloriage basique et peu coûteux -, personnages féminins stéréotypés –  » des poupées sentimentales et érotiques « , selon les mots de Lichtenstein – ou encore phylactères au contenu faussement léger.

Pour marquant qu’il soit, ce pan du travail de Roy Lichtenstein est loin d’être le dernier mot de son £uvre. Dès 1965, sa peinture va amorcer un virage réflexif. Pour en prendre la mesure, le musée Ludwig de Cologne vient de mettre sur pied l’exposition Roy Lichtenstein. Kunst als Motiv. A travers une centaine d’£uvres méconnues, celle-ci jette une perspective inédite sur cette icône du pop art.  » L’exposition se penche sur le rapport à la peinture qui est une constante chez Lichtenstein. Il s’agit d’un jeu cérébral avec l’histoire de l’art comme source d’inspiration pour son propre travail. Hommage et ironie se mêlent chez ce talent qui est l’un des artistes les plus intelligents du xxe siècle « , résume Kasper König, curateur et directeur du musée Ludwig. Avec 18 pièces, le musée possède la collection la plus importante d’£uvres de l’artiste hors des Etats-Unis.

Kunst als Motiv répertorie les différents courants picturaux que Lichtenstein s’est appropriés pour les revisiter à sa manière. Tout y est, de la peinture japonaise à l’expressionnisme abstrait, en passant par le néoclassicisme grec, le futurisme ou le folklore amérindien. Les citations sont légion : Magritte, Picasso, Matisse, Klee, Léger, de Kooning, Monet… un vrai jeu de piste référentiel qui s’avère fascinant pour le visiteur.  » La parodie était pour lui une façon de se débarrasser de l’ombre encombrante des géants de la peinture après lesquels il est difficile de peindre « , glisse Kasper König.

Plus thématique que chronologique, l’exposition s’ouvre sur une série de trois Brushstrokes grand format. Peints entre 1965 et 1966, ces  » coups de pinceaux  » figés sur toile symbolisent par excellence la démarche analytique de Lichtenstein. Kasper König explique :  » Ces toiles sont cruciales. Il y a deux façons de les comprendre. La première interprétation consiste à voir ces coups de pinceaux comme une manière de tirer un trait sur les autres peintres et l’histoire de la peinture qui hantent littéralement Lichtenstein. La seconde en fait une réflexion sur l’essence même de la peinture. L’ambition est alors de remonter aux sources en isolant formellement le geste fondateur de tout tableau. « 

L’une après l’autre, les salles livrent chacune une nouvelle sphère d’influences. Ainsi, de trois tableaux inspirés de Monet – la fameuse série de toiles représentant la cathédrale de Rouen au fil de la journée. Alors que l’impressionniste s’attachait à épouser l’impalpable jeu de la lumière sur la pierre, Lichtenstein restitue l’édifice religieux en se basant sur des reproductions d’une qualité exécrable. Le message se veut limpide : puisque la réalité du monde est désormais de seconde main, il revient au peintre de rendre compte de ce nouveau paradigme.

Au final, Kunst als Motiv peut s’enorgueillir d’avoir relevé au moins deux paris. Le premier étant d’ouvrir les yeux sur un Lichtenstein plus seulement estampillé peintre comics – ce qui n’est que justice vu que cette période ne représente que cinq années d’une carrière de près d’un demi-siècle. Le second a pour sa part partie liée avec la critique récurrente d’une £uvre par trop  » bourgeoise  » en raison de son aspect figuratif. A travers la centaine de toiles exposées, il apparaît clairement qu’il ne s’agit pas ici d’un attachement idéologique à un réel rassurant mais bien d’une démarche qui entend restituer le monde tel qu’il était affecté par la technologie d’alors – en l’occurrence la télévision et les techniques de reproduction bon marché.

Roy Lichtenstein. Kunst als Motiv. Musée Ludwig, Heinrich-Böll-Platz, à 50667 Cologne. www.museum-ludwig.de Jusqu’au 3 octobre prochain.

MICHEL VERLINDEN; M.V.

Un iceberg dont on ignore la majeure partie

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