Retour à la terre
Le Français Etienne Davodeau renoue avec la bande dessinée de reportage et le témoignage engagé, grâce à une marche de huit cents kilomètres qui relie le passé et le futur de l’Homo sapiens. Avec un constat sans appel: « Le système capitaliste prédateur, c’est terminé. »
Il y a, au coeur du dernier roman graphique vertigineux et solaire d’Etienne Davodeau (1), « trois thèmes qui me touchent », nous a détaillé l’auteur des Ignorants et de Un homme est mort lors de son passage à Bruxelles pour défendre son dernier et ambitieux opus: « D’abord, j’aime marcher, c’est un de mes centres d’intérêt, j’ai toujours pensé en faire un livre un jour. Puis, il y a ce qui se passe à Bure et la question des déchets nucléaires, question dans laquelle je m’implique beaucoup en tant que citoyen. Enfin, il y a l’art pariétal, qui m’a toujours intrigué, en tant que dessinateur, et en tant qu’Homo sapiens. »
L’humanité n’est pas en danger, au contraire, elle pullule. » Etienne Davodeau
Etienne Davodeau a donc, de fait, fusionné ses trois passions en un album, Le Droit du sol, et une marche de huit cents kilomètres entamée, le 11 juin 2019, à la grotte du Pech Merle « où nos ancêtres ont laissé des souvenirs formidables » sous la forme de peintures rupestres, jusqu’à Bure, au sud de Nancy, et son « laboratoire de recherche souterrain » où la France prévoit d’enfouir, à plus de cinq cents mètres de profondeur, dans la couche géologique profonde, les déchets nucléaires dont elle ne sait que faire, soit « des trucs absolument dégueulasses et qui perdureront pendant des milliers d’années ». Ce qu’Etienne Davodeau nomme « deux traces laissées par des sapiens à d’autres sapiens » entre lesquelles il tracera la sienne, de trace, avec ses pieds, puis avec ses dessins. « Ici se joue quelque chose qui en dit long sur notre rapport à cette planète et à son sol », peut-on lire dans son livre, sous ses splendides dessins au crayon et aquarelle tout en dégradé de gris ; « ce n’est rien d’autre qu’une intuition, mais c’est celle qui m’a lancé sur ces sentiers ».
Un luxe gratuit
Entre deux moments contemplatifs, deux anecdotes de marcheur et un long monologue souvent savoureux et profond que l’auteurmarcheur entretient directement avec son lecteur qu’il tutoie, Etienne Davodeau croisera ainsi sur son chemin un paléontologue, un agronome, un docteur en économie de l’énergie ou des militants antinucléaires qui éclaireront son voyage, ses questions et sa quête – qui, peu à peu, interroge « notre empreinte écologique et notre mode de vie ».
« Poser la question des déchets radioactifs, c’est s’interroger sur le nucléaire, donc sur l’énergie, donc sur notre consommation. Je ne suis pas un scientifique, je ne fais pas de politique, mais je m’interroge. Plus personne ne peut nier aujourd’hui qu’il faudra changer nos modes de consommation, même si on n’est pas prêts: regardez-nous, on en discute en buvant un café qui vient de l’autre bout du monde! Par contre, je ne me retrouve pas dans les discours qui tiennent de la collapsologie, des théories de fin du monde. L’humanité n’est pas en danger, au contraire, elle pullule ; par contre, c’est tout le système capitaliste prédateur, le capitalisme d’extraction, qui est en fin de vie. Notre mode de vie occidental. »
Et quoi de mieux qu’une longue marche pour se reconnecter à la terre et aux racines? » Je le conseille à tout le monde, même deux ou trois jours, s’enthousiasme Davodeau. Quand tu marches, tu te crées un nouvel espace mental autant que géographique. Et lorsque, comme moi, tu es en autonomie, avec de quoi dormir, de quoi se nourrir, tu t’arrêtes où tu veux quand tu veux. C’est le dernier luxe de l’homme occidental, et il ne coûte rien! C’est l’activité la plus décroissante possible, la moins onéreuse, la moins polluante et la plus enrichissante. Et sans doute même la plus fondamentale depuis qu’on s’est dressés sur nos deux pattes arrières. »
Un retour à l’essentiel qui explique aussi son attachement au livre: « Je crois vraiment que c’est la plus belle invention de l’espèce humaine. Un objet physique, pérenne, qui ne tombe pas en panne et qui dure, plus qu’un fichier quelconque. Dans le livre, je me pose d’ailleurs la question de sa pérennité: on m’y répond qu’il pourra être lu pendant plusieurs centaines d’années. C’est déjà pas mal. »
(1) Le Droit du sol – Journal d’un vertige, par Etienne Davodeau, Futuropolis, 215 p.
La BD s’enracine
Etienne Davodeau, s’il a été l’un des premiers à tremper ses BD dans le reportage et l’écologie, entre autres avec Les Ignorants – une plongée dans le monde des viticulteurs devenue phénomène éditorial (on le vend toujours en masse dix ans après sa sortie) – ne prêche heureusement pas pour autant seul dans le désert, que du contraire: la prise de conscience écologique habite désormais maints albums et, surtout, en tous genres. Si le fameux Retour à la terre de Ferri et Larcenet tient plus du ressort du gag que de la remise en question, d’autres bandes dessinées d’humour se veulent pleinement écolos, de la série culinaire (mais bio) Yasmina, du flamand Wauter Mannaert, jusqu’au dernier Titeuf, justement titré La Grande Aventure, et qui voit toute la bande du gamin à la mèche faire un retour à la nature et à la forêt plein de bons conseils et d’infos écolos!
La SF n’est évidemment pas en reste. Elle est même en pointe, puisque les récits postapocalyptiques ou d’anticipation ont fait du réchauffement climatique le miel de leurs fictions et projections, désormais bien plus pessimistes qu’au siècle dernier. Mais c’est évidemment dans la BD documentaire que ce retour à la terre s’exprime le mieux et le plus régulièrement. On citera le formidable Sous terre, du Bruxellois Mathieu Burniat, paru cette année chez Dargaud ; formidable parce qu’il nous fait redécouvrir toute la richesse et l’importance de notre sol et de sa gestion pour notre propre survie ; et formidable parce qu’il intègre ses propos scientifiques et engagés dans une pure fiction haletante et drôle, ouverte à tous, qu’on ait, ou pas encore, la fibre verte.
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