Réparer les globules rouges
La drépanocytose est la maladie génétique la plus fréquente. Cette affection sanguine va bénéficier d’une expérience thérapeutique révolutionnaire
Oui, le jeune homme est volontaire pour participer au premier essai au monde visant à guérir par thérapie génique la grave maladie du sang dont il souffre depuis sa naissance. » Je n’ai rien à perdre « , lâche Yahaya Baradji, 25 ans, en regardant son interlocuteur droit dans les yeux. Rien, parce que la drépanocytose, l’anomalie génétique la plus fréquente à l’échelle de la planète, a contrarié un à un tous ses projets. » Je voudrais avoir une femme, des enfants et une belle situation « , poursuit ce natif du Mali, rencontré en France à l’hôpital Henri-Mondor, à Créteil (Val-de-Marne). Il est célibataire, et ses hospitalisations à répétition ne lui ont jamais permis de garder un emploi.
Ce 5 décembre, lors du Téléthon organisé en France, il sera beaucoup question de l’essai auquel le jeune homme doit participer. Car l’expérience, financée pour partie par les dons collectés grâce à l’émission, est l’une des plus prometteuses dans la lutte engagée contre les maladies génétiques. » La guérison des bébés-bulles par thérapie génique a montré que nous pouvions aller sur la lune, commente Laurence Tiennot-Herment, présidente de l’Association française contre les myopathies (AFM). Maintenant, nous allons y faire nos premiers pas. » Le chemin est tracé pour les années à venir. D’abord, résoudre le problème le plus simple, celui posé par des maladies bien localisées dans l’organisme. Par exemple, la drépanocytose et la thalassémie, qui ne touchent que le sang. Ou l’épidermolyse bulleuse, qui affecte uniquement la peau. Le moment viendra ensuite de s’attaquer à des affections aussi complexes que les myopathies, qui altèrent tous les muscles, y compris le c£ur.
L’heure est donc venue, pour la drépanocytose, d’occuper le devant de la scène. Une revanche ! Cette anomalie héréditaire des globules rouges, qui se solidifient en prenant la forme d’une faucille, touche principalement les familles originaires d’Afrique noire et des Antilles. Elle n’a jamais suscité beaucoup d’émotion En France, » les malades eux-mêmes évitent de faire des vagues par peur que leurs communautés ne soient stigmatisées « , constate le Pr Frédéric Galactéros, à l’hôpital de Créteil. Les symptômes, d’ailleurs, ne sautent pas aux yeux.
Qui devinerait, derrière l’allure décontractée de Yahaya Baradji, la grosse poignée de médicaments qu’il avale chaque jour ? Les tuyaux qui le relient chaque nuit à une bonbonne d’oxygène ? Les crises de douleur aiguë et les multiples transfusions sanguines ? Baissant sa chaussette, le jeune homme découvre une plaie tout juste refermée, qui s’étale autour de la cheville. Un ulcère, le dernier d’une longue série. Celui-ci lui a valu quatre mois de pansements quotidiens et de repos forcé.
La maladie, redoutable, est familière. L’essai clinique, au contraire, sera un saut dans l’inconnu pour les 10 candidats qui y participeront, au début de 2004. Le principe û transférer un gène sain pour suppléer celui qui est déficient û est celui qui a déjà permis aux bébés-bulles de sortir de leur prison de plastique. Dans les deux cas, la technique consiste à prélever des cellules dans la moelle osseuse du patient, de les infecter avec un virus inactivé porteur du nouveau gène, puis de les réinjecter. Ainsi corrigées, elles deviennent capables de générer correctement les différentes sortes de cellules qui composent le sang. Les bébés-bulles y gagnent les globules blancs qui leur manquaient, et les drépanocytaires, des globules rouges normaux.
Plusieurs semaines dans une bulle
A ce stade, l’essai portant sur la drépanocytose risque de se corser. Car les nouvelles cellules n’arrivent pas, cette fois, en terrain vierge. Elles doivent être suffisamment vaillantes pour se multiplier et s’imposer au milieu d’homologues anormales. » Dans les expériences menées chez la souris, 30 % des globules rouges qui circulaient dans le sang étaient bel et bien corrigés, note le Pr Eliane Gluckman, hématologue à l’hôpital Saint-Louis, à Paris. Le même résultat, chez nos patients, réduirait déjà la sévérité de leur maladie. Mais le vrai succès serait d’atteindre une proportion de 50 %. »
Les candidats à la thérapie génique ne s’engagent pas dans une partie de plaisir. Ils devront notamment passer plusieurs semaines dans une bulle stérile après le traitement de leur moelle osseuse par chimiothérapie. Pour Yahaya Baradji, il n’y a pas d’alternative. Le seul traitement disponible actuellement est la greffe de moelle. Mais cet aîné d’une famille de 11 enfants, dont 4 atteints de la maladie, n’a pas de donneur compatible parmi ses frères et s£urs.
Estelle Saget
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