Le nombre de femmes touchées reste incertain, comme la durée et les conséquences des troubles. © getty images

Règles perturbées: des signaux et des inconnues

Le Vif

«Deux semaines de retard», des règles «très douloureuses après le vaccin», «des flux plus abondants», «des saignements intermenstruels», «des saignements anormaux postménauposiques»: sur les réseaux sociaux ou dans les conversations amicales, les témoignages variés évoquant des anomalies du cycle menstruel survenues après une vaccination à ARN Messager anti-Covid sont légion.

Dans son enquête de pharmacovigilance datée du 12 août 2021 (les professionnels de la santé et les vaccinés signalent des éventuels effets secondaires inconnus sur le portail créé à cet effet), l’ Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS) évoquait pour la première fois ces troubles associés à l’injection des produits des sociétés Pfizer-BioNTech et Moderna. Au total, et à ce jour, quelque deux mille cas ont été rapportés à l’organisme public depuis le début de la campagne vaccinale. L’ AFMPS ajoute que ces syndromes menstruels sont «très courants» et «peuvent survenir lors de nombreuses affections sous-jacentes» – «des cas ont également été signalés après une infection par le Covid-19». Les remontées liées à ces produits concernent des femmes de tous âges, et donc également ménopausées. Majoritairement, «ces effets indésirables n’étaient pas graves et se sont résolus spontanément». Des anomalies potentielles, classées dans la catégorie «affections des organes de reproduction et du sein» dans les tableaux de l’institut, sur lesquelles l’AFMPS doit enquêter pour déterminer si un lien peut ou non être établi avec les vaccins à ARN Messager.

L’impureté associée aux règles demeure un puissant frein à la légitimité des recherches sur le sujet.

Il s’agit, ici, de cas notifiés à l’AFMPS. De (très?) nombreux autres signalements passent sans aucun doute sous le radar, dans la mesure où toutes les femmes concernées n’ ont évidemment pas déclaré leurs troubles menstruels. Les autorités sanitaires belges ne sont pas les seules à avoir reçu des notifications de perturbations du cycle menstruel. En Espagne, en France ou encore au Royaume-Uni, des signalements sont recensés et concernent tous les vaccins.

Si les événements indésirables demeurent le plus souvent «non graves», ces notifications spontanées (c’est-à-dire réalisées par les vaccinées directement) suscitent de nombreuses interrogations. Dès lors, l’ Agence européenne des médicaments (EMA) a décidé d’investiguer davantage, de mener une «évaluation approfondie de toutes les données disponibles, y compris les rapports provenant des notifications spontanées, des essais cliniques et de la littérature scientifique publiée». Les données disponibles ne permettent pas non plus de décrire le mécanisme de survenue de ces troubles. Les autorités sanitaires n’ont pas démontré, jusqu’ici, de lien de cause à effet. Certes, plusieurs hypothèses existent, liées aux effets généraux des vaccins, comme la réactogénicité (fièvre, maux de tête, nausées, etc.) qui pourrait, comme lors d’une infection, influer sur les hormones impliquées dans le cycle menstruel. Ou encore un stress et une fatigue importante, engendrés par la vaccination elle-même, susceptibles de perturber l’ entité physiologique qui régule le bon déroulement du cycle.

Néanmoins, les investigations se poursuivent. A ce stade, il n’existe que très peu de publications scientifiques sur le lien entre les vaccins contre le coronavirus et les perturbations du cycle menstruel rapportées dans plusieurs pays. La question a tout bonnement été exclue de la plupart des grandes études scientifiques sur le Covid-19, notamment des essais cliniques. Résultat: le nombre de femmes touchées reste incertain, comme la durée et les conséquences des troubles. Des chercheurs, notamment britanniques, estiment que leur nombre pourrait être beaucoup plus élevé, parce que des femmes n’auraient pas fait le lien avec le vaccin, parce qu’ elles n’ en auraient pas parlé, se sentant mal à l’aise, parce que leur médecin ne les aurait pas encouragées… Les travaux manquent, aussi, pour mieux comprendre ces effets secondaires présumés, même si des enquêtes sont en cours.

Plus largement, la science s’intéresse peu aux règles. Les maladies et les troubles liés aux menstruations sont encore peu connus et peu documentés par la recherche scientifique. Pourquoi, par exemple, sont-elles douloureuses pour une majorité de femmes? Aucune réponse satisfaisante n’a été apportée par la science, d’ailleurs sous-financée pour mener ce type d’études – l’impureté associée aux règles demeure un puissant frein à la légitimité des recherches sur le sujet et pour l’imposer dans l’espace public. Les biais sexistes peuvent aussi expliquer pourquoi, au-delà du tabou, les douleurs et les troubles rapportés par les femmes sont minimisés, voire niés.

Or, l’enjeu est de taille, selon l’infectiologue Yves Van Laethem: à la veille de la rentrée (et avec elle, une recrudescence des cas) et d’une quatrième campagne vaccinale, il ne faudrait pas accroître l’hésitation face à la vaccination des femmes réglées.

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