Récupérations du ballon
Qu’importe que le foot soit considéré comme un sport de beaufs. Les beaufs, ça vote. Partant de ce principe, les hommes politiques ont toujours aimé se glisser sur la photo du vainqueur. Voici 20 des plus beaux exemples.
1. Le mondial de la junte
Une image, une seule : le 25 juin 1978, le général Jorge Rafael Videla, chef de la junte militaire au pouvoir à Buenos Aires depuis 1976 (environ 30 000 morts et disparus), remet sous les vivats de la foule la Coupe du Monde au capitaine de l’Albiceleste Daniel Passarella. Pouvait-il seulement en être autrement ? Déjà, pour se hisser en finale, l’Argentine avait eu besoin de battre le Pérou par quatre buts d’écart. Elle avait gagné 6-0. Comme au tennis.
2. L’AC de Berlusconi
La récupération politique des succès du Milan AC fut plus qu’un sport quotidien chez Berlusconi : une raison de vivre. Dans la vitrine, ce bel épisode. Avant la finale de la Ligue des Champions 2007, Silvio réunit ses joueurs à Milanello et leur déclare : » Nous allons faire une grande campagne électorale : faire gagner la Ligue des Champions par une équipe italienne. Une victoire pourrait convaincre beaucoup de milanistes d’aller voter. » Après deux essais pour se chauffer, Berlusconi a été président du Conseil italien pendant 3 ans, 6 mois et 8 jours, du 8 mai 2008 au 16 novembre 2011. Record national.
3. Les Léopards de Mobutu
Ou vous me ramenez la Coupe, ou vous ne rentrez pas. » Mobutu avait bien motivé son équipe du Zaïre lors de la Coupe d’Afrique des Nations de 1974. Conséquence : une victoire finale, et un retour effectué en héros dans l’avion présidentiel. Lorsque la sélection revient quelques mois plus tard du mondial allemand avec trois défaites, 14 buts encaissés et une historique fessée 9-0 face aux Yougoslaves, l’ambiance a changé : les Zaïrois errent plusieurs heures dans l’aéroport désert de Kinshasa. Mécontent, leur chef se détourne du football et organise le Rumble-in-the-jungle entre Mohamed Ali et George Foreman. Mobutu 1, Léopards 0.
4. Les espions du Dynamo
Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, le Dynamo Moscou, chouchou de Joseph Staline, est envoyé en Angleterre pour vendre son fameux style » passovotchka » et récupérer quelques indices sur les méthodes d’entraînement locales ; 33 jours sur place et quatre confrontations contre Cardiff ou Arsenal plus tard, la délégation repart surtout avec des clichés de l’aéroport de Northolt, qu’elle transmet ensuite au NKVD, la police politique soviétique. La Guerre froide, en fait, c’était surtout de l’imagination.
5. Les Lions flamands de Dewinter
Mars 2007. Le Portugal gifle la Belgique dans la course qualificative à l’Euro 2008 : 4-0. Filip Dewinter, leader du Vlaams Belang, pique une colère. » Les joueurs se sentent à peine attachés à l’équipe nationale. La scission en deux équipes flamande et wallonne peut sortir notre football du pétrin. » Pour remplacer les Diables rouges ? De Vlaamse Leeuwen, les Lions flamands. Car courir pour l’équipe nationale constitue » une mission ennuyeuse, voire une corvée. L’Angleterre et l’Ecosse alignent des équipes qui défendent leur nation avec fierté. Pourquoi la Flandre ne pourrait-elle pas en faire autant ? » Le Portugal en salive déjà.
6. Le Diego de Menem
De la junte des seventies à Kirchner (pour qui il appelle à voter en 2007) en passant par Raul Alfonsin au balcon de la Casa Rosada en 1986, Diego Maradona a toujours fasciné les politiques sud-américains. Sans parler d’Evo Morales, Hugo Chavez ou Fidel Castro. Avec le très controversé Carlos Menem à la fin des années 1980, c’était encore autre chose. Venus des villas de la périphérie, les deux kiffaient Peron, la Vierge Marie, le football, les voitures de luxe et les femmes rapides (à moins que ce ne soit l’inverse). Menem ne manquait pas une occasion de se faire prendre en photo avec l’idole du peuple. Une fois au pouvoir, en 1989, le politicien n’allait plus se prendre la tête avec la déchéance de son ex-ami ; pas que ça à faire.
7. La puissance de la Corée
Nous portons l’honneur de notre pays sur nos épaules / Nous pouvons battre n’importe qui, même la meilleure équipe. » Tel était le chant qu’entonnaient les joueurs de la République populaire démocratique de Corée lors du mondial 1966. Un quart de finale plus tard, les héros furent accueillis en prophètes par le régime lors de leur retour à Pyongyang. Le président Kim Il-sung, père de Kim Jong-Il et surnommé le » professeur de l’humanité tout entière « , offrit même une médaille à chaque joueur et une Mercedes à Pak Doo-ik, le buteur du match contre l’Italie. Une fois encore, la Grande Corée avait vaincu, et l’impérialisme avait été terrassé.
8. L’OM du PS
En 1990. Bernard Tapie vole de succès en succès avec l’OM. Député apparenté PS depuis 1989, Nanard fait vibrer les huiles socialistes souvent invitées au Vélodrome, toutes réjouies des retombées positives du club phocéen sur le pays (et sur leur parti !). » Tout ce qui est bon pour l’OM est bon pour la France « , proclame même Pierre Mauroy. 1993. Mis en examen et forcé de quitter le gouvernement, l’éphémère Nanard se retourne : il n’y a plus personne. Le bon Mauroy : » Tapie ? Il n’a jamais été ma tasse de thé… «
9. Le Diable du MR
En 2002, Marc Wilmots, jeune retraité de l’équipe nationale, annonce avec fracas sa présence sur les listes MR pour les législatives de 2003. Un transfert de rêve pour le parti du président Daniel Ducarme. Le capitaine des Diables lors du Mondial 2002 incarne la réussite sociale, le courage, l’abnégation. Et surtout un fameux attrape-voix : 4e sur la liste libérale pour le Sénat, Wilmots recueille près de 110 000 voix de préférence. Bingo. Mais le terrain politique se révèle moins passionnant. En 2005, désenchanté et se jugeant inutile, l’ami de Louis Michel annonce qu’il ne siègera plus, devient sénateur fantôme, renonce à ses indemnités parlementaires et les reverse à des £uvres caritatives. Peut-être sa meilleure action politique.
10. Le tour d’honneur de Sékou Touré
Le 18 décembre 1977, alors que l’équipe guinéenne du Hafia FC vient de remporter sa troisième Coupe des champions d’Afrique, ce ne sont pas ses joueurs, mais Sékou Touré, le président de la République, qui s’élance dans un tour d’honneur triomphal. Si Paris vaut bien une messe, la république de Guinée peut bien mériter un match de foot.
11. Le calcio de Benito
Mussolini n’aimait pas le foot, mais sa » nation prolétaire » si. Alors lorsque la Fifa lui refile, après le retrait de la Hongrie, la 2e édition d’une Coupe du monde balbutiante, le Duce, nostalgique de la Rome antique, saute sur l’occasion. Stades rénovés, office du tourisme mis dans la combine pour attirer le plus de journalistes étrangers possible, présence obligatoire des membres du Parti national fasciste lors des matchs, et, pour finir, victoire finale de la nazionale contre la Tchécoslovaquie. Jules Rimet lui-même admettra que Mussolini devint de facto le véritable président de la Fifa durant la compétition. Le Qatar a-t-il retenu la leçon ?
12. La Marseillaise de Le Pen
Jean-Marie Le Pen s’en est pris deux fois à l’équipe de France, et toujours pour la même raison : la Marseillaise. A l’Euro 1996, le chef du FN dénonce une équipe qui, contrairement aux autres, n’entonne pas son hymne national » de grand coeur et à pleine voix « . En 2006, rebelote. Il ne se reconnaît pas dans les Bleus à cause » peut-être d’une proportion exagérée de joueurs de couleur « , et exhorte Fabien Barthez à chanter plus fort. Attention, 2016 résonne déjà.
13. Le soccer des cocos US
En 1927, le Parti communiste américain, fondé par John Reed, reçoit comme consigne du Komintern de développer sur le sol yankee un puissant sport ouvrier. Considérant le base-ball et le basket comme des disciplines représentatives des valeurs de la bourgeoisie locale et visant essentiellement les récents immigrants européens, la petite structure choisit de tout miser sur le ballon rond. Et après, on s’étonne que John Wayne n’aimait pas le soccer.
14. Le Real de Franco
En 1959. Lors d’un banquet organisé par le régime suite à la victoire du Real Madrid face au Stade de Reims, José Solis, ministre du » mouvement franquiste « , remercie publiquement Santiago Bernabeu, le président du club espagnol : » Vous avez fait bien plus que certains de nos ambassadeurs dispersés dans les villages de Dieu. Ceux qui nous détestaient nous adorent désormais. Vos victoires constituent une énorme fierté pour tous les patriotes espagnols dispersés à travers le monde. Vous êtes le meilleur corps diplomatique possible et la joie du Caudillo et de son peuple. Viva el Real Madrid y Viva España ! »
15. Les blacks blancs beurs de Chirac
Ah, le mondial 1998 ! 3 juillet, stade de France : après 120 minutes irrespirables, la France et l’Italie doivent se départager aux tirs au but. Zidane s’avance face à Pagliuca, prend le ballon dans ses mains, le pose au point de penalty. Jacques Chirac se penche alors vers Michel Platini : » Mais que font-ils ? Ils s’échauffent ? » Neuf jours plus tard, Jacquouille la fripouille danse au même endroit dans un maillot siglé du coq au son de » Et un, et deux, et trois zéro ! » Un bon homme politique, c’est avant tout un type qui apprend vite. Ou un bon comédien.
16. Le Pelé de Medici
La Seleçao fraîchement couronnée triple championne du monde au Mexique, le général- président Medici décrète, en 1970, un jour férié de grande fête nationale pour célébrer l’événement. Il posera ensuite sans vergogne au milieu des héros auriverde pour des photos officielles. Dans la foulée, de grandes affiches à l’effigie de Pelé fleurissent dans le pays, accompagnées du slogan : » Rien ne peut plus retenir le Brésil, maintenant ! »
17. Le Forever des Malouines
Il existe encore des parties du monde où le naming ne se limite pas à trouver une marque de bière. L’Argentine, par exemple. Un endroit où la défaite lors de la guerre des Malouines n’a jamais vraiment été digérée et où, dans le but de prolonger le rêve d’une revanche, la fédération de football a récemment décidé de rebaptiser son championnat du nom d’un croiseur coulé avec ses 323 marins par la perfide Albion le 2 mai 1982. Simple, discret, efficace.
18. L’Anschluss de la Wunderteam
OK, Hitler n’a pas annexé l’Autriche pour améliorer son équipe. Mais… Jusqu’à l’Anschluss de mars 1938, l’Allemagne n’existe quasiment pas sur la mappemonde du football. Et ça, le Führer n’aime pas. Sitôt l’Autriche confisquée, sa Wunderteam est donc instamment priée de déclarer forfait pour le mondial français et de prêter ses meilleurs éléments à la Mannschaft, sauf les juifs (dont Sindelar, le génie de la sélection qui s’y refusait de toute façon). Peine perdue : l’Allemagne » unifiée » s’incline dès le premier match contre la Suisse, pays neutre…
19. Les matchs amicaux de Kadyrov
Question tour de bide, le président tchétchène Ramzan Kadyrov ressemble plus à un mi-lourd à la retraite qu’à un joueur de football. Mais quand il est question de vendre sur la scène internationale l’image d’une Tchétchénie pacifiée où la jeunesse s’épanouit dans la culture physique, rien de mieux que l’organisation de matchs de bienfaisance sur la pelouse du stade de Grozny. Depuis quelques années, la marionnette du Kremlin signe donc des chèques de plusieurs centaines de milliers de dollars pour affréter d’ex-gloires du football mondial – la sélection du Brésil 1994, Maradona, Figo, Francescoli… – vers Grozny en pariant sur une couverture médiatique bienveillante de l’événement. Chaque fois, Kadyrov joue quarante-cinq minutes sous le maillot de sa sélection tchétchène. Chaque fois, ses invités ont la délicatesse de le laisser marquer. Pas fous.
20. Le Barça de l’autonomisme
Le football, c’est de la politique. » Président du FC Barcelone entre 2003 et 2010, Joan Laporta ne s’en est jamais caché : son Barça teinté de nationalisme catalan était avant tout une rampe de lancement pour son entrée personnelle en politique. Deux ans après son départ du Camp Nou, l’homme qui rêve de faire de la Catalogne » un Etat à part entière » peine pourtant à faire décoller dans les sondages son parti pour l’indépendance. Pas facile d’exister sans Messi et Guardiola…
SO FOOT ET DAVID DE MATTEIS
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