Qui va gagner la guerre de la navigation ?
Les fabricants de systèmes GPS comme TomTom ou Garmin ont porté un coup dur à la bonne vieille carte routière. Eux-mêmes sont à présent désorientés par les Google, Nokia ou Apple qui proposent des fonctions GPS, gratuites ou moins chères, sur leurs smartphones. Quelles sont les routes alternatives ?
Mes enfants n’ont plus du tout le sens de l’orientation. » Le constat vient de Benoît De Bergeyck, directeur général de Garmin Belgique, qui ironise au passage sur l’importance vitale qu’ont prise ses systèmes de navigation par géolocalisation satellitaire (GPS). Il est probable que la génération Internet (grosso modo les moins de 25 ans), ne devra plus jamais déplier une carte routière, tellement la diffusion des écrans de cartes numériques s’est accélérée ces dernières années. L’explosion du marché GPS a largement profité à des acteurs spécialisés comme le néerlandais TomTom ou l’américain Garmin, dont les systèmes de navigation portables ont connu une belle heure de gloire. Combien de papas n’ont en effet pas reçu ces boîtiers à connecter à l’allume-cigare comme cadeau ?
Mais il convient déjà d’écrire au passé. » Le marché des appareils de navigation dédiés (PND) s’est sensiblement réduit en Europe et devrait encore décliner ces prochaines années « , observe Tim Sheperd, analyste au bureau d’études de marché Canalys. La cause : la concurrence croissante depuis trois ans des fabricants des smartphones (Apple, Nokia, Samsung, Google avec son Androïd, etc.), qui proposent de plus en plus souvent une fonction GPS sur le téléphone portable. » Et même si le prix des appareils de navigation dédiés a fort diminué [ NDLR : modèles d’entrée de gamme à moins de 100 euros], une application sur smartphone reste beaucoup moins chère (quelques dizaines d’euros). Les consommateurs qui n’ont besoin qu’occasionnellement d’un système GPS peuvent s’en contenter. »
Certes, les spécialistes du GPS ont réussi à capter une partie du boom des smartphones (les logiciels GPS de TomTom ou Navigon par exemple sont parmi les applications les plus populaires sur l’App Store d’Apple) mais pas suffisamment pour stopper l’érosion de leur chiffre d’affaires. » Le marché des applications sur téléphone mobile reste un marché important pour nous, mais la concurrence y est très rude : Google, Nokia, Apple « , concède Harold Goddijn, CEO de TomTom, qui craint en premier lieu la plate-forme Androïd de Google. Décidément, la navigation pourrait être une plume de plus au chapeau de l’omniprésent Google. Quant à Nokia, en pleine tourmente, la navigation fait carrément partie de sa stratégie de retour à la croissance. Le Finlandais entend bien récolter les fruits du rachat du concepteur de cartes numériques Navteq. Google à travers Google Maps Navigation ou Nokia, avec Ovi Maps, misent par ailleurs sur la navigation en 3D.
Garmin a bien tenté de se faire une place sur le marché des smartphones, à travers un partenariat avec le fabricant taïwanais Asus (via l’Asus-Garmin ou Garmifone). Mais il vient de jeter l’éponge, préférant se concentrer sur la fourniture d’applications aux marques leaders. Garmin peut à cet égard notamment capitaliser sur le relatif succès des applications de l’allemande Navigon, que Garmin vient d’acquérir, sur l’iPhone.
A peine installées, des marques comme TomTom, Garmin ou Mio sont-elles donc déjà condamnées à capituler ? De l’avis général, le marché des appareils GPS dédiés ne va pas disparaître. Il y aura toujours une demande pour des produits spécifiques pour la voiture, vendus avec les accessoires nécessaires. » Votre GSM comprend sans doute un appareil photo ou un lecteur MP3. Avez-vous pour autant jeté votre appareil photo ou votre iPod ? » lance Benoit De Bergeyck. D’ailleurs, un système GPS est de plus en plus souvent intégré en standard dans le tableau de bord. D’après TomTom, fournisseur privilégié de Renault, le taux de pénétration de systèmes GSM intégrés dans les véhicules du constructeur français atteint désormais 40 %. TomTom et Garmin peuvent donc espérer faire pas mal de business directement auprès des constructeurs. Mais en tenant compte d’une pression très forte sur les prix. » Le marché va encore se consolider. Les TomTom et Garmin de ce monde doivent encore améliorer la valeur ajoutée de leurs produits « , ajoute Tim Sheperd. Les fournisseurs en sont bien conscients. » Notre mission n’est plus d’aider un automobiliste à aller simplement de A à B, mais d’apporter plus d’intelligence dans la gestion du trafic en temps réel, y compris dans les économies émergentes où il y a explosion du parc automobile « , affirme Harold Goddijn, patron de TomTom, estimant à un milliard le nombre de voitures dans le monde. L’entreprise néerlandaise mise à cet égard sur les solutions de navigation communicantes qui intègrent des données trafic en temps réel (validation des routes fermées, détection de véhicule à l’arrêt, temps d’arrivée mieux calculé).
Champion de la mobilité
Le consommateur sera-t-il toutefois prêt à payer pour des services de mobilité, simplement au motif que ceux-ci sont un peu plus précis que l’info-trafic à la radio ? Benoît De Bergeyck, du grand rival Garmin, en doute. » Par contre, le Belge est certainement prêt à payer pour le Coyote, qui permet de détecter les radars. «
Dans le même ordre d’idée, TomTom, qui a récemment classé Bruxelles » ville plus embouteillée d’Europe « , se verrait bien en champion de la mobilité, y compris auprès des entreprises et des autorités publiques. TomTom fournit déjà des données trafic à un certain nombre de provinces ou villes aux Pays-Bas et au Danemark. Un contrat » public » devrait également être signé prochainement en Belgique, nous dit TomTom. Toutes ces données provenant des déplacements de chaque véhicule individuel sont agglomérés anonymement, mais le spectre du » Big Brother » n’est jamais loin. TomTom a récemment provoqué un tollé aux Pays-Bas lorsqu’il est apparu qu’il avait fourni des données à la police néerlandaise pour l’aider à identifier les endroits où il y a le plus d’excès de vitesse…
Au bout du compte, le plus bel atout de TomTom est peut-être… belge : le spécialiste des cartes numériques TeleAtlas, racheté en 2008. » TeleAtlas représente une importante activité de ventes de licences pour TomTom, qui fournit ainsi des solutions cartographiques sur mesure à d’autres éditeurs de logiciels de navigation ou à certaines compagnies d’assurances « , fait remarquer Tim Sheperd.
Pour la course à pied ou le golf
Garmin, pour sa part, rappelle que la navigation n’est pas limitée au seul marché automobile. Gary Burrell et Min Kao, les deux fondateurs de l’entreprise, proviennent d’ailleurs des secteurs aéronautique et maritime. Les appareils de navigation pour les bateaux et les avions représentent respectivement 4 % et 13 % du chiffre d’affaires de l’entreprise dans le monde. Et les petits appareils de navigation » outdoor » (pour la randonnée ou la promenade) pèsent déjà 15 % du chiffre d’affaires en Europe, talonnés de près (13 %) par les montres de navigation » fitness » adaptées à la course à pied. » Le segment sportif est en plein boom en Belgique. On vient également de lancer une solution de navigation pour le golf « , souligne Benoit De Bergeyck. Décidément, plus personne n’aura l’occasion de se perdre.
OLIVIER FABES
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