Questions royales (bis)
Pour comprendre la polémique qui frappe la reine Fabiola, il faut comparer sa fameuse fondation avec celle créée par le roi Baudouin il y a vingt ans. Décodage.
Réaction en chaîne fulgurante. En créant une fondation privée pour soutenir ses éventuels neveux dans le besoin, comme l’a révélé Sud Presse le 9 janvier, la reine Fabiola s’est mise à dos la quasi-totalité du monde politique.
Mais ce monde politique, et médiatique, ne s’est-il pas emballé trop vite ? N’a-t-on pas surinterprété l’initiative d’une dame de 84 ans, privée d’enfants, extrêmement pieuse, et qui de surcroît voue un culte à son mari décédé ? » L’un des buts, qui semble avoir échappé, est que la reine souhaite poursuivre la mission du roi Baudouin « , souligne Jean Van Rossum, son avocat. De fait : la fondation Fons Pereos de la reine ressemble comme une soeur à la Fondation Astrida que le roi avait créée par testament en mars 1992, avant son décès le 31 juillet 1993. La première appuie la seconde, les deux partagent une bonne part d’administrateurs communs (voir tableau). On ne saurait comprendre l’une sans faire référence à l’autre. Aussi, comparons-les.
Des fondations dans quels buts ?
Astrida » Aider sur le plan religieux, scientifique, artistique et pédagogique les neveux et nièces du roi Baudouin, de la reine Fabiola, ainsi que leurs descendants. » Objectif subsidiaire : apporter une aide semblable à toute personne physique ou morale, » et plus particulièrement à celles qui sont réputées aujourd’hui appartenir au tiers et au quart-monde « .
Fons Pereos En résumant très fort : aider et soutenir ses neveux et leurs descendants » pour une période limitée « , à condition que ceux-ci soient confrontés à » de sérieuses difficultés physiques, matérielles, psychologiques ou morales » ; conserver et promouvoir les idéaux de la reine et du roi ; aider la fondation Astrida, » uniquement si celle-ci est à court de ressources » ; encourager diverses initiatives catholiques.
Avec quel argent ?
Astrida Le roi a doté sa fondation d’une (petite) partie de ses biens privés. A savoir le domaine d’Opgrimbie, en Limbourg, celui de Rekem, ainsi que 10 millions de francs belges (250 000 euros). En 2011, le capital mobilier et immobilier de la fondation s’élevait à 1,49 million d’euros. Mais ce patrimoine ne peut être entamé. Seuls les intérêts sont à la disposition de la fondation, soit quelque 8 000 euros par an. Qu’en est-il dans les faits ? De 1995 à 2005, détaillait Le Soir en février de l’année dernière, la Fondation Astrida a dépensé environ 59 000 euros. Moins de 6 000 euros par an, donc. La majorité de cette somme (60 %) a servi à financer des voyages aux petits-neveux du roi et de la reine. » Des voyages permettant de les sensibiliser au sort des personnes défavorisées « , précise le comte Baudouin du Parc, délégué à la gestion journalière de la fondation. Par exemple, accompagner des malades en pèlerinage à Lourdes. Le reste (40 %) a permis d’aider des initiatives humanitaires en Belgique et dans le tiers-monde. Scoop : en début d’année, la reine Fabiola a » fortement augmenté » le capital d’Astrida. Cet apport de fonds, dont le montant ne nous a pas été précisé, viserait à financer de gros travaux dans la villa Fridheim au domaine d’Opgrimbie, dont la reine Fabiola est l’usufruitière.
Fons Pereos Selon la reine, le patrimoine de cette fondation sera constitué du produit de la vente de » biens meubles et de tableaux » donnés de leur vivant, lors des deux guerres mondiales, par des membres de sa famille paternelle qui résidaient en France. Il n’a jamais été question d’y injecter de l’argent issu de sa dotation, assure-t-elle. Impossible à vérifier, dès lors que le budget public de la reine ne fait jusqu’ici l’objet d’aucun contrôle.
Fraude aux droits de succession ?
Dans les deux cas, les experts se montrent sceptiques. Si leur intention était de narguer le fisc, Baudouin et Fabiola disposaient de moyens bien plus discrets et plus efficaces. Pour Philippe Verdonck, conseiller du ministre de la Justice Marc Verwilghen lors de la confection de la loi de 2002 sur les fondations privées, quelqu’un qui souhaiterait éluder les droits de succession » serait complètement idiot de constituer une fondation de droit belge, dont les statuts sont publiés au Moniteur belge et dont les comptes doivent être déposés « . D’autant qu’il existe une différence, pour un héritier, » entre recevoir un patrimoine en pleine propriété, dont il peut faire ce qu’il veut, et être bénéficiaire d’une fondation sous des conditions bien définies « , ajoute le notaire Pierre Nicaise, maître de conférences à l’UCL. Par ailleurs, le nombre de bénéficiaires possibles dépasse de loin les héritiers directs du roi et de la reine. A l’heure actuelle : au moins 41 neveux et petits-neveux de la branche belge. Côté espagnol… au minimum 75 neveux et petits-neveux, selon le site Web GeneAll.net, manifestement incomplet. Sans compter les arrières-petits-neveux. A ceux-là s’ajoutent les » personnes dévouées » ou » méritantes » dont parle la fondation de la reine. Bref, quelque 200 bénéficiaires au strict minimum.
Une évasion de capitaux ?
Astrida En cas de dissolution, les actifs de la Fondation Astrida seront transférés à la Fondation Roi Baudouin, créée en 1976 pour soutenir » des projets et des citoyens qui s’engagent pour une société meilleure « .
Fons Pereos En cas de dissolution toujours, les actifs devront être partagés entre la Fondation Astrida et… une autre fondation créée par la reine en Espagne le 5 octobre 1999. La répartition entre les deux sera fixée par le conseil d’administration. C’est le point le plus polémique. Nous n’avons pas réussi à identifier cette mystérieuse fondation espagnole, dont on ignore jusqu’au nom. Quoi qu’il en soit, la loi de 2002 stipule que les actifs d’une fondation ne peuvent être attribués qu’à des fins désintéressées. Le texte ne précise pas que ces fins doivent être exécutées en Belgique. Si le Fons Pereos était un jour dissous, un tribunal de première instance devra se pencher sur l’affectation de son capital et déterminer si la fondation poursuit des buts nobles ou pas.
Est-ce bien légal ?
On peut se demander si Astrida poursuit des missions d’utilité publique. Mais lors de sa création, les fondations privées n’existaient pas. Le ministère de la Justice avait donc marqué son accord par arrêté royal du 29 octobre 1993, signé par le ministre PSC Melchior Wathelet (père de).
Le Fons Pereos ? » Ses objectifs s’inscrivent totalement dans le cadre d’une fondation privée transgénérationnelle « , conclut le notaire Pierre Nicaise. A un point près : le fait que ses administrateurs » présents et futurs « , selon ses statuts, pourraient aussi bénéficier de son aide. Or la loi de 2002 est formelle : une fondation ne peut procurer un gain matériel ni aux fondateurs ni aux administrateurs. Mais les statuts de Fons Pereos ne sont pas gravés dans le marbre. La reine Fabiola peut les modifier à sa guise jusqu’à la fin de sa vie.
ETTORE RIZZA
En début d’année, la reine Fabiola a fortement augmenté le capital de la fondation Astrida
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