Quand la mer monte
Devant l’absence de plus en plus récurrente de terrains et la volonté affirmée de préserver la nature qui la définit, la côte belge va-t-elle finir par s’élever ? Les signaux de la raison tendent à répondre par la négative. Mais les projets de Knokke et de Coxyde pourraient infirmer cette tendance.
Pas folichonne, la vue, sous l’Europacentrum. Le dessous des balcons a beau être peinturluré en orange, on a tout de même l’impression d’être écrasé par un mur de ciment bien décidé à tutoyer le ciel : c’est là, sur une base de marchands de sandwichs, de cafés glauques et de bars à strip-tease que s’élève, sur trente-cinq étages, la plus haute tour de la côte. Verdict : il fait frisquet et l’ombre a l’air de s’être installée pour un bon moment !
L’exemple de cet édifice ostendais pourrait-il faire des émules ? Les avis sont partagés du côté des digues belges. Les tours, solution flamande au rehaussement du niveau de la mer ? Verra-t-on Bart De Wever se réfugier au cinquantième étage d’une hypothétique Vlaams Tower, lion agité au vent ? Nous n’y sommes pas encore, loin de là. Et dans le cas de certaines stations, comme Le Coq, on n’y sera pas de sitôt : ces communes n’ont aucune intention de brader leur spécificité architecturale pour attirer le chaland. A Blankenberge, même si les constructions neuves font partie intégrante du paysage local, on remarque, comme un peu partout à la côte, que des promoteurs rachètent des pâtés de maisons qu’ils démolissent pour les transformer, par la suite, en immeubles à appartements. » Notre optique est effectivement d’essayer d’améliorer le bâti existant. On encourage avant tout la rénovation. Pas les constructions en hauteur « , lance d’emblée l’échevine Cathy Verburgh (Open VLD), qui combine sa fonction scabinale à Blankenberge avec un pied dans l’immobilier.
La côte à un tournant de son histoire
Pour autant, tous les politiques n’excluent pas le recours aux cimes pour dessiner le futur résidentiel de leur commune. A l’instar de Knokke-Heist ou de Coxyde, on se verrait parfois bien entrer par le haut dans les guides touristiques. En filigrane du débat : quel avenir pour la côte, sachant qu’il est peu probable, au vu notamment du vieillissement de la population, qu’elle se désemplira un jour. Au contraire. » Les bulletins officiels montrent que la côte compte 85 000 secondes résidences. Sachant que ce parc augmente, selon les statistiques, de 1 000 à 1 500 appartements par an, on devrait atteindre assez vite la barre des 100 000. Je me demande biencomment nous allons faire pour absorber tout cela. Mais le plus amusant, c’est que je me posais la même question quand on a dépassé la barre des 60 000 ! » sourit Jan Jassogne, figure de proue de la section côte de la CIB (Confédération des immobiliers de Belgique) et probablement l’un des plus grands connaisseurs du marché côtier. Pour le spécialiste, le littoral belge se trouve ni plus ni moins à un tournant de son histoire. Les deux grands projets qu’il met en exergue pour étayer son propos résident (ou plus exactement résideront, s’ils sont finalisés un jour) évidemment à Knokke, avec le nouveau casino imaginé par Steven Holl, et à Coxyde, où la commune souhaite ériger une énorme tour mixte, façon Dubaï (mais en plus raisonnable). » Même à Bruxelles, on a longtemps pensé que les tours n’étaient pas agréables, qu’elles induisaient trop de nuisances. Mais il semble que, dans l’esprit des urbanistes, les tours soient redevenues acceptables, ce qui pourrait, dans un futur que j’estime à vingt ou vingt-cinq ans, changer sensiblement le visage de la côte « , poursuit Jan Jassogne. Son argumentaire ? Tant que le projet se révèle de qualité, et pour peu qu’il ne crée pas trop de nuisances aux alentours, » pourquoi se contenter sempiternellement d’une architecture banale à la côte ? Il ne s’agit pas de refaire un nouveau Benidorm, mais on peut se demander comment la côte va faire pour absorber tous ses nouveaux arrivants. Est-il plus raisonnable de construire 300 appartements sur un espace réduit ou de construire 300 maisons de pêcheurs sur trois hectares ? Or, selon moi, il ne peut être question de toucher à la nature, qui est aussi une spécificité de la mer « .
Pour relayer l’argumentaire du courtier, le discours de Marc Vanden Bussche (Lijst Dedecker) tombe à point nommé. Le bourgmestre de Coxyde est à l’origine de ce projet de tour de plus de cent mètres de hauteur : » Nous avons 700 hectares de zones vertes et agricoles à Coxyde. Et on ne souhaite pas y toucher. Il n’y a plus de terrains : la solution est donc soit de reconstruire sur ce qu’on démolit, soit de construire plus haut. On ne peut plus se limiter à faire des blocs comme dans les années 1960. Il suffit de voir, pour s’en persuader, quelle direction prennent les constructions dans le monde moderne ! «
Du côté de Knokke, on se veut plus nuancé par rapport à la question de la hauteur. Même si, avec le projet de casino, le signal est plutôt envoyé cent mètres au-dessus du sol. » Ce débat sur la hauteur me fait sourire. Regardez le beffroi de Bruges ou la cathédrale d’Anvers : il y a cinq siècles, on construisait déjà à cent mètres de hauteur. Cela dit, Knokke-Heist veut rester une station balnéaire, pas devenir une ville, sûrement pas Benidorm et encore moins Dubaï. En tout cas pas tant que j’y serai. Le casino est certes haut, mais il représente une énergie, un signal, une nouvelle dimension « , confie Léopold Lippens, mayeur de la plus riche et de la plus chère des stations balnéaires du pays.
Pas une tendance, des épiphénomènes
Toutefois, si l’on en croit Bart van Opstal, président de la Fédération du notariat belge et actif à Ostende, la tendance générale ne serait pas à la hauteur sur le littoral. Les deux projets susmentionnés ne seraient ainsi que des épiphénomènes peu représentatifs de ce qui se développera dans un futur proche. » Côté néerlandophone, chaque ville a la possibilité de réaliser un plan urbanistique exécutoire, où elle indique les options qu’elle veut prendre pour l’avenir. Or, en général, on ne constate pas de demandes pour des immeubles contenant plus d’étages. La tendance serait plutôt à lutter contre les étages, en essayant de revitaliser le bâti existant, comme pour l’ancien hôpital militaire d’Ostende. Mais cela n’empêche pas les initiatives individuelles. » D’après Me van Opstal, il n’y aurait actuellement aucune pénurie d’appartements à la côte, pas de quoi, en tout cas, s’affoler. Et s’il fallait bel et bien accueillir des habitants en plus à l’avenir, la solution passerait, selon lui, par l’élargissement des zones où sont autorisés les remplacements de maisons par des immeubles à appartements. » Les échevins responsables de l’urbanisme ont bien compris que des projets de tours devenaient automatiquement des projets sensibles « , poursuit le notaire. Or rares sont ceux qui mettraient leur popularité en jeu pour que des privilégiés jouissent d’une vue imprenable sur la mer du Nord…
Un regain d’activité depuis 2010
En attendant de voir, ou non, s’élever les promotions immobilières, on ne peut pas faire 200 mètres à la côte sans tomber sur un immeuble en construction. La preuve que l’activité ne s’est pas totalement arrêtée. Un peu partout, nos interlocuteurs politiques se sont voulus rassurants. Léopold Lippens, en premier. Celle que d’aucuns se plaisent à qualifier de » Monaco du futur » aurait, selon son inamovible bourgmestre, » très bien tenu le coup en matière immobilière « . Intox destinée à rassurer Madame la Marquise ? Le mayeur a des mots si durs envers ses confrères politiques, les » véritables intoxicateurs » selon lui, qu’on se contentera de souligner de loin cette véhémence. » Je suis un modéré. Ce que je dis n’est pas de l’intox. Un journal anglo-saxon rapportait d’ailleurs les résultats d’une enquête menée auprès de sept ou huit grands investisseurs mondiaux qui, tous, estimaient que les lieux de luxe restaient du pain bénit pour l’immobilier. Les quartiers les plus qualitatifs de Londres, par exemple, se seraient fort bien maintenus. Dans chaque crise, il y a des gens qui perdent de l’argent, d’autres qui en gagnent. Et si nous avons peut-être un rien de demandes en moins au niveau des constructions au collège, le contexte reste quand même très positif. » Même son de cloche à gauche, à droite, mais pas à La Panne, où l’échevin de l’Urbanisme, Roland Florizoone, balaie d’un revers de la main cet optimisme ambiant. » Au croisement de la Zeelaan et de la Nieuwpoortlaan, un promoteur possède un terrain mais a peur de commencer à construire. Et ce n’est pas le seul à faire preuve d’attentisme, vu le contexte économique. Auparavant, on vendait la moitié des appartements sur plan mais, aujourd’hui, des biens déjà prêts peinent à trouver acquéreur. Le marché est calme, la crise a fait son effet. Je suis honnête et c’est partout la même chose d’après ce qu’on me dit : si les résidences principales continuent à être soutenues, les secondaires, qui restent malgré tout un luxe, souffrent davantage. Les familles sont prudentes. «
Balle au centre chez Bart van Opstal : le notaire, on ne peut mieux informé, dispose en outre des chiffres liés aux études notariales de la zone. Pour lui, 2009 fut évidemment une année moins percutante que 2008, mais sans que cela soit catastrophique. Et Bart van Opstal de prendre l’exemple qu’il connaît probablement le mieux pour illustrer son propos : » Ostende est une ville où on peut parler d’une véritable stabilisation. En 2007 et 2008, nous n’y avons pas connu de hausses de 12 à 15 % comme à Knokke ou à Oostduinkerke, deux marchés qui ont subi des chutes de prix qu’Ostende n’a pas expérimentées. De manière plus globale, on peut dire que le premier trimestre 2010 voit les prix augmenter légèrement par rapport à 2009, une hausse qui se vérifie également au niveau des transactions. 2009, à cet égard, a bel et bien été soumise à des baisses d’activité, mais pas dramatiques. » Bart van Opstal rappelle également les promoteurs au bon souvenir de la raison : en 2009, les hausses de prix constantes qu’ils pratiquaient l’année d’avant n’ont, manifestement, plus eu droit de cité. Tout bénéfice pour les candidats acheteurs.
GUY VERSTRAETEN
Il ne s’agit pas de refaire un nouveau Benidorm
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