Quand la BD raconte la résistance : » c’est d’abord une envie, pas un devoir»
La bande dessinée, déjà friande de Seconde Guerre mondiale, aime désormais en expliquer toutes les horreurs aux enfants. «Un devoir de mémoire et de pédagogie qui tient surtout de l’envie», justifie Jean-David Morvan, le scénariste de Irena, Simone et Madeleine, toutes résistantes.
L’un, scénariste, s’est d’abord fait un nom dans la science-fiction, entre autres avec Sillage. L’ autre, dessinateur sous le sobriquet de E411, a longtemps été «la petite main» du Journal de Spirou, capable de pondre du gros gag au kilo. Rien ne prédestinait donc le français Jean-David Morvan et le belge David Evrard, copains depuis leur formation à Saint-Luc, à devenir les spécialistes, avec quelques autres, d’une nouvelle bande dessinée jeunesse capable de raconter à hauteur d’enfant la folie des ghettos, les affres de la collaboration, les horreurs de la Shoah ou les tortures de Klaus Barbie. C’est pourtant ce que le duo fait, très bien, depuis les cinq albums de Irena (dans lesquels les deux quinquas racontaient la jeunesse d’Irena Sendlerowa, une Juste parmi les nations, résistante et militante polonaise), entame avec Simone (récit en trois tomes de la vie de Simone Lagrange, alias Simy Kadosche, témoin capital au procès de Klaus Barbie (1)) et poursuivra avec une biographie en plusieurs tomes sur Jean Doisy, le résistant historique du Journal de Spirou, commandée par les éditions Dupuis.
Cette expression de « devoir de mémoire » m’emmerde un peu ; c’est d’abord une envie, pas un devoir.
«Rien ne me prédestinait effectivement à me plonger d’aussi près dans la vie de ces résistants, et souvent résistantes, même si je raconte depuis toujours des héroïnes qui luttent non pas pour mais contre quelque chose, tel un ordre établi», souligne Jean-David Morvan, qui travaille, par ailleurs, avec Dominique Bertail et la principale intéressée, sur Madeleine, résistante, biographie de la résistante Madeleine Riffaud dont le premier volume a fait sensation. «Mais gamin, poursuit-il, j’ai été marqué par Stand the Ghetto, la chanson de Bernard Lavilliers, et par ce mot, que je ne comprenais pas et qui me restait dans la tête. Ce n’est que bien plus tard, en visitant une exposition de photos au Mémorial de la Shoah, que j’ai pu mettre des visages et une réalité sur ce terme. Un choc pour lequel j’ai longtemps cherché une histoire et, peut-être, une légitimité. Je l’ai trouvée avec Irena, qui, comme moi, n’était pas juive. Ensuite, c’est un fil qui est devenu sans fin: sur la Seconde Guerre mondiale, il y a au moins une chose à dire par personne qui l’a vécue. Et on essaie de le faire à l’intuition mais surtout en ne prenant pas les enfants pour des enfants. Ils sont capables de comprendre, et s’avèrent souvent passionnés par ces questions terribles.»
Pistes de transmission
Avec Simone, Jean-David Morvan revient donc sur le parcours d’une femme exceptionnelle, et, surtout, sur le courage qu’il lui aura fallu pour témoigner contre son bourreau lors d’un procès historique.Pour ce faire, il use, tels le duo Ers et Dugomier avec Les Enfants de la Résistance ou Emile Bravo avec son Spirou qu’il confronte à la Shoah, de toutes les ficelles que la fiction jeunesse met à sa disposition, se permettant ainsi un début de récit tout à fait déroutant et onirique pour ce qui reste un biopic précis et documenté.
«Avec David, quitte à concevoir de telles bandes dessinées, autant essayer de le faire avec une approche d’auteurs, en mettant dans le récit et sa narration des choses qui viennent de nous et pas de l’histoire: on ne peut pas se contenter, comme beaucoup, de narrer une suite d’événements, les biographies Wikipédia, j’ai un peu de mal avec ça. Il faut que ce soit une BD avant d’être un témoignage historique. Et surtout, cette expression de « devoir de mémoire » m’emmerde un peu ; c’est d’abord une envie, pas un devoir.» Une envie qui le mène désormais de classe en classe pour expliquer, raconter et ne pas laisser disparaître dans l’oubli ces grandes figures de la Résistance: «Madeleine Riffaud elle-même a 97 ans. Quand ces résistants ne seront plus là, il faudra trouver d’autres moyens que le témoignage direct pour transmettre leurs histoires. Nos albums sont des pistes en ce sens. On sait tous que ce qui mène à l’extrême droite, à se laisser glisser sur des pentes dégueulasses, comme on le voit dans Simone, c’est l’ignorance. Si on peut éclairer ne fût-ce qu’un gamin par classe sur les notions de bouc émissaire ou de résistance, ce sera déjà ça de gagné.»
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici