Quand Frears décoiffe la couronne
Stephen Frears entre dans l’intimité de la famille royale britannique au moment de la mort de Diana, avec The Queen, où brille une grande actrice : Helen Mirren
N ever complain, never explain » (1). La famille royale britannique s’est toujours tenue à ce ferme mot d’ordre (une formule attribuée à Disraeli), quelles que soient les critiques exprimées à son égard. Une attitude qui garantit, soit dit en passant, aux satiristes du cru une liberté que nous pourrions leur envier. Un programme de télévision comme Spitting Image, où aucun membre éminent de la cour, reine comprise, n’échappait au trait acide des humoristes, serait par exemple totalement impossible en Belgique… Mais les temps changent, et une tempête survenue à la fin de l’été 1997 mit à rude épreuve la proverbiale insensibilité de la couronne au qu’en-dira-t-on. Suite à la mort brutale de Diana, divorcée de l’héritier du trône, lors d’un accident de voiture dans la nuit du dimanche 31 août à Paris, l’absence de réaction émue d’Elisabeth II suscita l’incompréhension d’une vaste partie de la population, et même sa colère. Et, tandis que le Palais maintenait un silence obstiné, la rumeur antimonarchiste enfla jusqu’à remettre en cause, dans l’esprit de certains, le régime politique…
Avec The Queen, Stephen Frears retrace librement ces terribles journées de septembre 1997, en nous emmenant dans l’intimité de la reine et aussi dans celle d’un Tony Blair alors fraîchement installé au poste de Premier ministre et qui, alarmé par la tournure des choses, s’efforça d’obtenir d’Elisabeth la réaction attendue, espérée. Poursuivant une thématique du dialogue entre ce que la société britannique peut avoir d’immuable et les changements qui s’y produisent néanmoins, le réalisateur de My Beautiful Laundrette et de Prick Up Your Ears réussit son étonnant pari de dévoilement, de questionnement et d’interprétation en résistant à la tentation de juger. Observateur lucide, fasciné, parfois ému, il tire un parti appréciable et séduisant du travail scénaristique de Peter Morgan, lequel avait déjà écrit pour lui le téléfilm The Deal sur les rapports entre Blair et son challenger au sein du parti travailliste, Gordon Brown.
Une image maternelle
Très logiquement, Frears a repris le jeune et très efficace acteur de The Deal, Michael Sheen, pour camper Tony Blair face à une Elisabeth II que joue de formidable façon Helen Mirren. La grande comédienne de théâtre et de cinéma ( Gosford Park, Calendar Girls, Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant) fut faite en 2003 dame de l’Empire britannique… par celle-là même qu’elle incarne aujourd’hui de manière si extraordinaire. L’interprétation de Mirren est le meilleur atout de The Queen, et pourrait bien mener, après un prix d’Interprétation au Festival de Venise, vers l’oscar, pour lequel l’actrice a déjà été nominée par deux fois.
» Les contradictions de la société britannique n’ont jamais cessé de m’intéresser « , explique Stephen Frears, qui avait délaissé son pays pour travailler outre-Atlantique après le succès des Liaisons dangereuses, et était d’ailleurs aux Etats-Unis quand la mort de Diana déclencha la crise dont son nouveau film fait son miel. » Notre société est profondément divisée sur plus d’un plan, mais réussit généralement à maintenir une surface cohérente… sauf en certaines occasions, dont l’épisode narré dans The Queen fournit un exemple assez spectaculaire « , poursuit le cinéaste, qui ajoute voir en la reine » un élément de stabilité bienvenu, une image maternelle au sens freudien du terme pour chacun d’entre nous « . Sans manifester pour autant de sympathie particulière pour la royauté, Frears avoue clairement » préférer cela à une république où Tony Blair aurait été président « .
S’il se montre on ne peut plus critique à l’égard de ce qu’est devenu l’actuel Premier ministre (et il n’accorde pas plus de confiance à son successeur probable, Gordon Brown), le réalisateur n’est pas loin d’approuver pleinement l’attitude de Blair durant les événements suivant la mort de la princesse de Galles : » Il n’a pas agi par opportunisme politicien. Il n’en avait nullement besoin, puisqu’un triomphe électoral massif venait de le porter au pouvoir. Son discours du dimanche, plein d’émotion et célébrant » la princesse du peuple « , était non sans logique. Une personnalité très aimée venait de disparaître tragiquement. Ce que fit Blair n’a rien de singulier, c’est au contraire l’attitude de la reine qui l’est… »
Entre hystérie et sentiment populaire
Si l’écriture du scénario par Peter Morgan fit appel aux » trésors de son imagination « , ce ne fut qu’après » des recherches historiques approfondies non seulement sur ce qui s’est passé dans la sphère publique, mais aussi sur ce qui a pu réellement se dérouler derrière les portes closes de Balmoral (2) ou de Buckingham Palace « . Pour ce qui est des rencontres entre la souveraine et le Premier ministre, scènes clés du récit, il fallut en inventer les dialogues, » car, même si ces rencontres ont lieu chaque mardi, rien ne s’en ébruite jamais « . Le souci de » crédibilité, de vraisemblance » aura tout au long habité Frears et son équipe. » C’était la moindre des choses, commente le réalisateur, car faire un tel film est, au fond, quelque chose de tellement impertinent, de tellement audacieux, qu’on ne saurait, en plus, se montrer frivole. »
Sur l’ampleur incroyable des réactions populaires suscitées par le décès de Diana, Frears ne fait pas mystère de ses difficultés à comprendre » un phénomène qui semble relever tout à la fois de l’hystérie de masse et du vrai sentiment populaire « . » Diana, conclut-il, était devenue quelque chose comme une figure de la culture pop, comme une star de cinéma. Les médias, bien sûr, ont été pour beaucoup dans sa quasi-sanctification post-mortem, et ont démontré par là un degré de pouvoir inconnu auparavant, un pouvoir effrayant si vous voulez mon opinion… »
(1) » Ne jamais se plaindre, ne jamais s’expliquer. »
(2) La résidence d’été de la reine, dans les Highlands, en Ecosse, où elle séjournait lorsque tomba la terrible nouvelle de la mort de Diana.
Entretien : Louis Danvers
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