Pourquoi les beaux sont plus riches

Il n’existe pas de loi réprouvant la discrimination contre les laids. Malheureusement pour eux, beauté et succès semblent aller de pair. Voici pourquoi.

Imaginez deux postulants pour un job. Tous deux du même sexe, celui qui vous attire le plus, en l’occurrence. Ils présentent un CV analogue et leurs entretiens d’embauche se sont bien déroulés. Pourtant, malgré vous, vous tiquez d’emblée sur leur aspect physique : la nature a davantage gâté l’un que l’autre. Leur apparence influencera-t-elle votre choix ? Peut-être pas. Mais d’autres s’y montreront plus sensibles. Les entretiens s’avèrent donc déterminants. Et si un physique avantageux facilite les entretiens d’embauche, les beaux auront des carrières plus faciles et plus brillantes que ceux dotés d’un physique ingrat, même dans les secteurs où les atouts esthétiques comptent peu.

Se laisser conduire par la beauté, est-ce vraiment grave, docteur ? Dans une société qui tend à bannir les préjugés, cette inclination peut apparaître très superficielle. Mais il n’en fut pas toujours ainsi. Autrefois, la sagesse populaire assimilait souvent la beauté à la vertu, et la laideur au vice. Bien sûr, on peut rétorquer que  » la beauté est dans l’£il de celui qui regarde  » : une vieille rengaine qui suppose que la beauté est arbitraire. Or rien n’est moins vrai.

En fait, la plupart des individus s’entendent sur ce qui est beau, et la biologie moderne suggère que cette quasi-unanimité se fonde sur de bonnes raisons. Le père de l’étude scientifique de la beauté est Randy Thornhill, de l’université du Nouveau-Mexique (Etats-Unis). Voici dix ans, il a étudié le comportement des insectes, en particulier les mouches scorpions. Résultat : les mâles dont les ailes étaient les plus symétriques attiraient davantage de femelles. Cette préférence pour la symétrie pourrait bien être universelle dans le royaume animal, en a déduit le savant. Randy Thornhill a transposé l’expérience aux humains.

Il s’est d’abord servi de photos de visages puis de corps, qu’il a manipulées pour rendre ceux-ci plus ou moins symétriques. Des volontaires du sexe opposé devaient les classer selon leur attirance. Il s’est aperçu ainsi que tous les aspects de la symétrie corporelle – jusqu’à la longueur des doigts ! – influençaient les sujets. Pourquoi ? Il semble que les embryons humains, en se développant, aient du mal à garder une symétrie parfaite. Autrement dit, les embryons qui y parviennent sont souvent dotés de bons gènes.  » Beauté  » et santé iront donc plus facilement de pair. Ainsi la peau et la texture des cheveux, par exemple, sont très sensibles aux maladies et à la qualité de la nutrition.

Des travaux récents ont également mis en pièces un credo sexiste selon lequel les jolies femmes seraient forcément des écervelées. En fait, elles semblent plus intelligentes que la moyenne. Trois chercheurs de la même université ont démontré une corrélation entre la symétrie du corps et les performances réalisés aux tests d’intelligence. Voici quelques années, les Prs Leslie Zebrowitz et Gillian Rhodes, experts du visage, ont passé en revue les études existantes. Toutes utilisent, plus ou moins, la même méthodologie : on photographie les cobayes, on les soumet à des tests de QI. Puis les chercheurs montrent les photos à d’autres personnes. Celles-ci doivent classer les photos selon l’impression d’intelligence qui se dégage des visages. Résultat : la plupart du temps, les évaluations étaient correctes.

Les beaux profitent d’un plus large réseau social

Daniel Hamermesh, de l’université du Texas, qui explore ce lien entre beauté et succès, est économiste de formation, ce qui donne une autre perspective à ses travaux. Selon lui, la beauté est réellement associée au succès, du moins à la réussite financière. Il a aussi montré que vouloir engager le plus beau ou la plus belle des candidat(e)s est une stratégie commerciale tout à fait fondée !

Voici dix ans, le même Hamermesh a montré qu’aux Etats-Unis et au Canada les personnes peu gâtées par la nature gagnent moins que le revenu moyen, et les jolis minois, davantage. Les chiffres le confirment : 9 % de manque à gagner pour les laids, 5 % de prime pour les beaux ! Etonnamment, les résultats sont plus nuancés chez les femmes. S’appuyant sur ses découvertes, Hamermesh a poursuivi ses recherches dans d’autres pays. A Shanghai, la laideur pénalise plus les femmes, et leur beauté est davantage récompensée : – 25 % pour les hommes  » laids  » et + 3 % pour les beaux ; – 31 % pour les femmes laides et + 10 % pour les belles. Au Royaume-Uni, les laids font pire que les laides, mais la prime de beauté est la même pour tous : 1 %, seulement…

La différence s’établit aussi selon les professions. Hamermesh a jeté un £il sur le parcours professionnel des anciens étudiants d’une faculté de droit aux Etats-Unis. Il a découvert que ceux dont la photo de dossier était  » attrayante  » gagnaient plus que leurs collègues à la symétrie moins heureuse. Plus injuste encore : dans les agences de publicité néerlandaises, les managers les plus agréables à regarder sont ceux qui rapportent le plus à leurs sociétés. C’est du joli !

Finalement, la beauté serait le signe d’autres caractéristiques sous-jacentes : la santé, les  » bons gènes  » et l’intelligence. C’est ce que les biologistes appellent un signal non falsifiable. Donc, préférer les amis et les amants reconnus comme beaux a du sens. Du coup, ceux-ci profitent des opportunités refusées aux laids : l’élargissement de leurs réseaux social et professionnel, par exemple. Ce qui ajoute encore à leur attrait. Voilà comment une différence initiale peut entraîner une profonde injustice…

Mais peut-on corriger un signal non falsifiable ? Les études du Pr Hamermesh soulignent que cette conduite n’est pas très rentable. A Shanghai, où la discrimination à l’égard des laids est la plus forte, il a étudié l’impact du budget que les femmes consacrent aux cosmétiques. Résultat : se maquiller peut entraîner une augmentation de la  » prime de beauté « , mais celle-ci ne dépasse guère plus de 15 % des dépenses effectuées. Pas la peine, donc… Sauf à considérer qu’il y a une vie après le travail !

The Economist (adaptation : François Janne d’Othée)

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