Pourquoi il réussit
A peine affaibli, le voici réélu pour un troisième mandat. Il faut dire que, là où les autres responsables européens échouent, le Premier ministre britannique aligne, lui, les succès : croissance en hausse, quasi-plein-emploi, services publics en voie d’amélioration… Analyse d’un phénomène politique
La victoire dans les urnes doit beaucoup à une réussite économique indéniable, dont, curieusement, on persiste, sur le continent, à ne pas mesurer l’ampleur. Le 17 mars dernier, à la Chambre des communes, le chancelier de l’Echiquier, Gordon Brown, avait, pourtant, lui, rendez-vous avec l’Histoire en présentant le nouveau budget : » Le royaume connaît la plus longue période de croissance ininterrompue depuis trois cents ans. » L’économie galope à un taux supérieur à celui de la zone euro. Tous les indicateurs sont au vert. Le chômage a été réduit à 4,6 % de la population active (12,6 % en Belgique) û on n’est pas loin, en pratique, du plein-emploi. Le déficit et la dette publics sont limités, pour 2004, à 3,1 % et 41,6 % du PIB (92,6 % en Belgique). L’inflation, longtemps une maladie endémique au Royaume-Uni, est la plus faible depuis trente ans. La confiance est au rendez-vous. Depuis l’arrivée aux affaires de Tony Blair et de son équipe, en 1997, 1,5 million d’emplois ont été créés, 150 000 personnes se sont mises à leur compte, 300 000 entreprises se sont établies. Le salaire minimum a augmenté de 40 % depuis 1999. Les prix de l’immobilier ont, en moyenne, augmenté de plus de 90 % depuis huit ans ; 67 % des Britanniques sont propriétaires de leur logement, dont plus de 1 million depuis 1997. L’effet de richesse joue à plein et stimule la consommation. Tony Blair peut marteler sans être démenti : » Le Labour est devenu le parti de l’économie. »
La gauche britannique revient de loin. En 1979, il avait suffi d’un slogan génial du Parti conservateur de Margaret Thatcher pour que celui-ci remporte les élections. Labour is not working. Un jeu de mots assassin : » Le Labour, ça ne marche pas « , mais aussi : » Avec le Labour [le labeur], on ne travaille pas « . Car, dans les années 1970, les gouvernements travaillistes sont dépassés face à un pays en proie à un déclin accéléré. Bloqué par des grèves quotidiennes, le royaume est l’homme malade de l’Europe. L’industrie est sclérosée. Les appareils syndicaux détiennent la réalité du pouvoir. Aucune réforme n’est possible. Disqualifié, le Labour va être rejeté dans l’opposition pendant dix-huit ans. Il y serait probablement encore si une jeune garde impatiente, conduite par un député, tout juste élu à 30 ans, en 1983, et promu à la tête de la formation en 1994, n’avait pas décidé de moderniser le parti à marche forcée.
Tony Blair et ses alliés û Gordon Brown, l’actuel responsable des Finances et successeur présumé, Peter Mandelson, aujourd’hui commissaire européen û vont bouleverser le vieux Labour. Bravant le dogmatisme de l’aile traditionaliste, ils plaident pour que le parti s’adapte à la nouvelle Angleterre, métamorphosée par cette révolution culturelle sans précédent en Europe occidentale qu’est le thatchérisme. Les Britanniques se sont convertis au primat de la responsabilité individuelle, ils croient aux vertus du libéralisme économique, deviennent rétifs à l’impôt, tournent le dos au dirigisme étatique. Le parti, plaide Blair, doit suivre et séduire cette middle England (l’Angleterre des classes moyennes) ou alors il va mourir dans l’opposition. Quitte à devoir reprendre à son compte l’héritage de la Dame de fer, pour laquelle, d’ailleurs, le dirigeant travailliste n’a jamais caché son admiration. Sans Maggie, il n’y aurait jamais eu Tony. » Une fois au pouvoir, le New Labour n’a pas rendu aux syndicats les droits dont les conservateurs les avaient dessaisis, explique Christopher Pissarides, professeur au Centre for Economic Performance à la London School of Economics. Au contraire, il a poursuivi la stratégie consistant à rendre le travail plus flexible et moins protégé, ce qui a permis à de nombreuses entreprises de se lancer. » Dans l’opposition, Blair modifie les statuts du parti : il limite l’influence syndicale dans les votes internes, abolit la clause IV prévoyant la collectivisation des moyens de production. A l’aile gauche médusée, il lance, insolent : » J’ai une bonne nouvelle pour vous, j’ai décidé de ne pas changer le nom du parti. » Ce qui n’est pas tout à fait vrai : le Labour devient le New Labour. » Tout ce qui pose encore un problème à la gauche française û la libéralisation de l’économie, la mondialisation, l’acceptation de l’Union européenne comme cheval de Troie du libéralisme û a été intégré par le parti au début des années 1990 « , analyse Aurore Wanlin, chercheuse au Centre for European Reform.
Un esprit de réforme permanent
Au pouvoir, Blair va s’emparer avec application de tous les arguments sur lesquels les conservateurs pourraient bâtir un programme alternatif. Il n’y a pas de tabous. La sécurité ? » Il faut être dur contre la criminalité et dur sur les causes de la criminalité « , avait-il lancé naguère. Aujourd’hui, le New Labour se vante d’avoir renforcé les rangs de la police pour lutter contre les » attitudes antisociales dont les plus déshérités sont les premières victimes « . L’immigration clandestine ? Le chef des tories, Michael Howard, démissionnaire vendredi, en a fait son cheval de bataille. Le gouvernement Blair se targue d’avoir diminué le nombre de demandeurs d’asile, passé de 84 000 en 2002 à 34 000 l’an dernier. La politique économique ? La Banque d’Angleterre est devenue indépendante dès 1997. Le gouvernement a renforcé la productivité dans les services publics, poursuivi la déréglementation, accéléré le redéploiement vers les services et les nouvelles industries. Surtout, l’équipe Blair, s’inspirant des réformes de Bill Clinton, a rompu avec la gestion passive et sociale du chômage et forcé les demandeurs d’emploi de longue durée à retourner sur le marché du travail. Les jobs peuvent être précaires, peu gratifiants û dans le centre de Londres, les hommes-sandwichs ne sont pas rares û le but est de pousser à la réinsertion par le travail, quitte ensuite à offrir une formation personnalisée pour grimper dans l’échelle des emplois qualifiés (où il y a pénurie). Dans un contexte de croissance et de quasi-plein-emploi, cela ne relève pas de l’utopie. La résorption du chômage a d’ailleurs eu des effets immédiats : le taux de » parents pauvres » û ceux qui disent n’avoir pas assez pour le nécessaire à la fin de la semaine û est passé de 40 % à 17 % en huit ans.
» Le parti était si heureux de revenir aux affaires qu’il a donné à Blair un chèque en blanc, analyse Steven Haseler, chargé de conférences à la London Guildhall University. Le Labour suit cet Anglais éduqué dans une école privée, ce ôfils de Thatcher », parce qu’il a été une carte maîtresse pour gagner les élections. Mais la base ne sait pas où l’on va. » Le mode de scrutin uninominal à un tour dissuade, pourtant, d’éventuelles rébellions. Même les syndicats ont été convertis. Mi-avril, quand les chiffres mensuels du chômage tombent û une légère augmentation, en l’occurrence û Brendan Barber, secrétaire général du TUC, la confédération syndicale, préfère faire preuve d’optimisme : » Le marché du travail continue à être en expansion. La population employée est de nouveau en hausse. La baisse du nombre d’inactifs fait plus que compenser l’augmentation du nombre de demandeurs d’emploi. » Labour is not working ! clamaient les conservateurs il y a vingt ans. Britain is working, rétorque aujourd’hui, en guise de revanche, le parti de Tony Blair. Du coup, les syndicats se satisfont des prudentes avancées sociales du dernier programme électoral, comme les quatre semaines de congés payés, l’extension du congé de maternité à neuf mois ou l’augmentation du salaire minimum, introduit par le New Labour (de 5,05 à 5,35 livres l’heure).
Est-il de gauche ? Est-il de droite ? Tony Blair déplace les lignes. Au fond, le blairisme est peut-être le dernier stade de la » désidéologisation » du combat politique. » Ce qui compte, c’est ce qui marche « , avait-il lancé aux parlementaires de l’Hexagone dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, suscitant des grimaces sur les bancs socialistes. Ce n’est pas seulement l’ambition qui en fait un homme pressé. Sa jeunesse, aussi, le rend plus sensible à la formidable accélération de l’Histoire qu’est la mondialisation. Ce pragmatisme qui, seul, peut désormais, à ses yeux, légitimer l’action politique se fonde sur la conviction qu’il n’y a pas d’autre moteur, pour tirer profit des nouvelles règles du jeu mondial, qu’un esprit de réforme permanent. Une réactivité de tous les instants. Le gouvernement britannique encourage ainsi une immigration qualifiée et régulée qui » vient enrichir le pays « , selon les termes de son Premier ministre. Le Royaume-Uni forme moins d’ingénieurs que la France ? Ce n’est pas grave si, grâce au dynamisme de son économie, elle peut les attirer sur son sol. De plus en plus de Français û 400 000, estime-t-on û vivent d’ailleurs outre-Manche : pour la plupart, ils sont venus chercher un travail ; les Britanniques qui s’installent en France û ils seraient 1,5 million û traversent, eux, le Channel essentiellement pour jouir d’une résidence secondaire, achetée à moindre prix (35 000 achats, en 2003) pour les vacances ou la retraiteà
Une culture de résultats pour les services publics
En novembre 2004, à Budapest û où il est plus écouté qu’à Paris ou à Berlin û lors d’une conférence sur la » gouvernance progressiste « , Tony Blair résumait les recettes du succès en deux phrases : » Notre tâche n’est pas d’arrêter la mondialisation, mais de la faire fonctionner pour tous » ; » Il n’y a pas de justice sociale sans croissance économique préalable et soutien à la création d’entreprise « . Gordon Brown, souvent classé à la gauche du parti, ne dit pas autre chose : » Dans une économie globale, le rôle du gouvernement est de créer et de préserver la stabilité et un environnement compétitif qui permettent aux entrepreneurs, à ceux doués de talent et de dynamisme, de réussir « , déclarait-il à la Chambre de commerce britannique, le 25 avril.
C’est à croire que la social-démocratie britannique s’est muée en une simple méritocratie. Le New Labour accepte le principe d’une société inégalitaire à l’arrivée s’il y a un minimum d’égalités des chances au départ. Elevé par une mère célibataire dans une ville minière, Alan Milburn, coordinateur du parti pour la campagne électorale, résume le sens d’un vote New Labour : » Notre objectif est une société qui repose sur le mérite, le talent, la capacité, pas sur la chance. Nous voulons offrir au plus grand nombre l’ascenseur social pour rejoindre la classe moyenne. » Le New Labour revendique d’avoir sorti un million d’enfants de la pauvreté. » Pour lutter contre l’inégalité, il faut investir dans l’éducation et la formation, explique Nick Pearce, directeur de l’Institute for Public Policy Research, proche du Labour. Mais le débat se déplace désormais vers la prévention. Le tabac et la malbouffe sont aussi des facteurs d’inégalité que les pouvoirs publics peuvent combattre. » Activiste au sein de Compass, un » groupe de pression » à la gauche du Labour, Neal Lawson ne cache pas, lui, son désenchantement : » L’Angleterre d’aujourd’hui, c’est un monde où il n’y a pas d’excuse pour l’échec. A quoi sert d’être à gauche si on ne croit plus qu’on peut collectivement changer la société ? Plus aucun homme politique dans le pays ne parle désormais de redistribution par la dépense publique. »
L’ambition méritocratique du social-libéralisme anglais passe maintenant par une réforme des services publics, en proie à un sous-investissement massif depuis plusieurs décennies. Ce sera la priorité du nouveau mandat. L’Etat, ces dernières années, a déjà versé son écot : 500 000 emplois publics (policiers, médecins, infirmiers, enseignants) ont été créés depuis 1997 dans le secteur public, où règne, il est vrai, une flexibilité qui n’a rien à voir avec celle de la fonction publique belge. La modernisation de l’école et de l’hôpital fait une plus large part au privé : l’appel à des sous-traitants du secteur privé, moins chers, plus efficaces, représentera 18 % des services publics en 2007, selon la société d’analyses Kable. Enfin, les services publics sont appelés à rendre compte de leurs résultats par une batterie d’indicateurs qui permet de tester leurs performances. Taux de réussite aux examens nationaux pour les écoles, délais d’attente pour les patients dans les hôpitaux… le but est de déverrouiller des bureaucraties assoupies et de les contraindre à adopter, sous la pression des usagers, une culture de résultats. A l’égalité se substitue l’équité. Les frais d’inscription ont été relevés (en même temps que les bourses) à l’université, où les enfants de milieux favorisés sont surreprésentés. Les transports restent, eux, un chantier ouvert. Les routes sont congestionnées, les trains bondés et lents. Le sud-est de l’Angleterre, où de nouvelles banlieues se développent, est menacé par l’asphyxie.
Un large accord réunit, aujourd’hui, les trois grands partis sur les principales questions û l’Europe mise à part. Le New Labour s’affiche désormais sans complexes comme le champion du libre-échange, des bienfaits de la compétition, de la déréglementation. La disparition de pans de l’industrie au profit du tertiaire est vécue sans psychodrame par le gouvernement. Tout comme le maintien de l’écart entre les revenus, resté inchangé depuis les années Thatcher. Aucune voix n’a réclamé la nationalisation de Rover lorsque, le mois dernier, le dernier fleuron britannique de l’industrie automobile a déposé son bilan. L’opinion reconnaît que l’Etat n’a pas vocation à aider des » canards boiteux » à survivre à coups de subventions. Le gouvernement a promis un accompagnement social et la création d’un parc industriel sur le site des usines de Longwood. Pas plus. Les conservateurs, de leur côté, promettent vaguement de se débarrasser de la » bureaucratie « , mais s’accordent sur l’idée d’investir plus d’argent public dans les services publics. La tentation ultralibérale des années Thatcher a disparu. Le » consensus progressiste » défendu par Blair s’est imposé. Hors la question européenne, le New Labour a, aujourd’hui, gagné la bataille des idées.
Thatcher avait négligé les volets politique et social de la révolution libérale : Blair les additionne. Il incorpore au droit national la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales û qui a permis, par exemple, au prince Charles d’épouser civilement Camilla Parker-Bowles, ce que n’autorisait pas la tradition britannique concernant l’héritier du trône. Il fait voter le Freedom Act, qui permet au public de consulter une masse de documents officiels, des courriels de Buckingham Palace aux rapports sur les ovnis, sans oublier les montants des subventions européennes versées aux fermiers britanniques (la reine y compris). Il abolit la discrimination qui frappait les homosexuels : l’armée, d’où ils étaient hier bannis, fait désormais campagne pour les recruter ; l’âge de la majorité sexuelle des gays a été harmonisé avec celui des hétérosexuels. » Blair défend nos droits avec le zèle d’un activiste gay « , s’amuse Adam Mattera, rédacteur en chef du magazine Attitude. Une réforme aujourd’hui soutenue dans ce même journal par le conservateur Michael Howard, naguère farouche partisan de la discrimination contre la » bougrerie « . Pour saper l’essor des nationalismes dans les régions périphériques, Blair a restauré, avec la devolution (processus de transfert de compétences), le Parlement écossais et donné au pays de Galles une assemblée. Il a supprimé l’anachronisme de la pairie héréditaire à la Chambre des lords.
Sur l’Irak, demi-mensonges, omissions et artifices
Il y aura, sans nul doute, une postérité du blairisme. Même si, paradoxalement, c’est un Premier ministre contesté et affaibli qui vient de remporter les élections. » Tony Blur « , l’homme » pas clair « , comme le surnomme la presse populaire, n’a plus la même cote d’amour qu’en 1997, lorsque, à son arrivée aux affaires, ce jeune père de famille avait rajeuni d’un coup le personnel politique et le discours public. Sa popularité est alors telle qu’un commentateur le surnomme » la princesse Diana de la politique « . Eloquent, acharné à convaincre son auditoire, doté de réels talents de persuasion et d’un vrai sens de la mise en scène û il a fait du théâtre à l’université d’Oxford û il savait capter l’émotion du moment. Au moment du décès de Diana, alors que la reine tarde à intervenir, c’est lui qui exprime le mieux, en une formule ramassée, l’hommage de la nation à la » princesse du peuple « .
Depuis l’Irak, cependant, le sourire juvénile des premières années a cédé la place à des grimaces plus irritées. La gestion de la crise, prise en main par son équipe de communication, est marquée par les demi-mensonges ou les mensonges grossiers, les omissions, les artifices rhétoriques, toute la panoplie de l’avocat de formation qu’il est. L’Irak a brouillé son image. Seuls parmi les trois grands partis à être opposés à la guerre, les libéraux-démocrates en ont tiré profit en progressant à 22 % des suffrages. » Blairing it up ! « , dans l’argot des ados, ça veut désormais dire » embrouiller « . » Il reste une énigme, sa vraie nature est insaisissable « , note le romancier Salman Rushdie. On le dit, d’un côté, obsessionnel du contrôle ; on reconnaît, de l’autre, sa capacité à écouter, à se forger des convictions, son sens du devoir, probablement hérité de sa formation au collège très huppé de Fettes, ex-pépinière des cadres de l’Empire britannique. » Il est très bon vendeur, mais la profondeur et la complexité juridique lui font défaut pour remodeler un système « , juge Larry Siedentop, professeur de philosophie politique à Oxford. » Une des clefs de la réussite de Blair réside aussi dans sa capacité à faire confiance à une génération plus jeune, témoigne François Lafond, secrétaire général adjoint de Policy Network, à mi-chemin de la boîte à idées et du réseau européen du blairisme. En nommant des trentenaires à des postes stratégiques, dans son entourage, il encourage la fluidité dans les comportements et le renouvellement des idées. »
Beaucoup d’hommes politiques étrangers sont frappés par l’absence de formalisme de l’occupant de Downing Street. La reine, elle, aurait tiqué plus d’une fois. Surtout, l’homme public fait montre de courage et croit dans les vertus du débat : ses récentes émissions de télévision, face à un auditoire a priori hostile, en témoignent. A chaque critique sur l’Irak, il rétorque sans ciller : » Je crois avoir pris la décision la meilleure pour les intérêts de mon pays. » Désormais moins aimé que son rival, le chancelier Gordon Brown, qui devrait lui succéder, Tony Blair conserve néanmoins une aura dans l’opinion, qui, toutes les études le prouvent, reconnaît son charisme et son leadership û sa capacité à diriger. Comme, hier, celle de Thatcher, jamais vraiment aimée de ses concitoyens, mais toujours respectée.
Peut-être parce que la dimension messianique, fréquente dans le discours de Tony Blair, flatte un sentiment patriotique resté vivace. Back the bid, make Britain proud ( » Soutenez la candidature, rendez la Grande-Bretagne fière « ) : le slogan de la candidature de Londres aux Jeux olympiques, affiché dans les couloirs du métro, n’a rien à voir avec » l’amour des Jeux » vanté par Paris. Blair est resté fidèle à ce mythe national qui veut que l’Angleterre, aujourd’hui comme hier, se tienne à l’avant-garde de la civilisation universelle. A Chicago, deux ans avant le 11 septembre 2001, il prononce un discours qui, avec le recul, prend des accents prophétiques : » Nous ne pouvons tourner le dos aux conflits et à la violation des droits de l’homme si nous voulons encore vivre en sécurité. » A la Maison-Blanche, il n’a de cesse de pousser George W. Bush à avancer vers la reconnaissance d’un Etat palestinien. Ou, sans succès, à lutter contre le réchauffement de la planète et le sous-développement persistant de l’Afrique, seul continent à ne pas profiter de la croissance mondiale.
Le refus de l’euro a été payant
Reste l’Europe. Il est fait reproche à Blair d’avoir échoué à arrimer solidement l’archipel au continent. Mais le refus de rejoindre l’euro a été, à ce jour, payant. La City ne cache pas son scepticisme à l’encontre d’un pacte de stabilité allègrement trahi par Paris, Berlin et Rome. Le plus européen des Premiers ministres britanniques n’a pas encore lancé ses forces dans la bataille pour convaincre son opinion û ce sera l’enjeu du référendum sur la Constitution, l’an prochain. En attendant, Londres a dépêché û comme jamais auparavant û dans les bureaux bruxellois ses meilleurs diplomates. L’agenda de Lisbonne, supposé pousser la recherche et la libéralisation des échanges, est largement inspiré du blairisme. » Il y a trente ans, nous nous demandions comment rejoindre l’Allemagne, résume Sundar Katwala, secrétaire général de la Fabian Society, un think tank proche du Labour. Désormais, nous tentons de faire que l’Europe nous ressemble. » L’apathie du Vieux Continent inquiète le Royaume-Uni, qui voit ses principaux clients s’appauvrir et décrocher. » L’Europe peut être frustrante, avouait Tony Blair, lors d’une rencontre récente avec des hommes d’affaires, à Canary Wharf. Mais c’est de l’intérieur qu’il faut se battre pour la changer. » Cela n’empêche pas la classe politique française de continuer à mépriser les enseignements britanniques. Interpellé sur le plateau de TF 1, le 14 avril, à propos du quasi-plein-emploi outre-Manche, Jacques Chirac balayait toute comparaison : » Les méthodes, les règles sociales en Grande-Bretagne ne seraient pas acceptées ou acceptables pour nous. » Comme si le chômage de masse à la française ou à la belge était, lui, » acceptable « .
Jean-Michel Demetz
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